Alors que se tenait du 18 au 20 mars 2011 le Left Forum à New-York, Raquel Garrido, porte-parole internationale du Parti de Gauche, revient sur «le soulèvement populaire extraordinaire» en cours aux États-Unis contre la politique d'austérité voulue par le gouverneur de l'État du Wisconsin, le Républicain Scott Walter.
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L'édition 2011 du Left Forum a battu des records d'audience, avec plus de 4000 participants par jour, 700 panels, et 200 panelistes. Organisé chaque printemps à New York, le Left Forum est le plus grand rassemblement de la gauche aux Etats-Unis. Animé par des universitaires, il s'agit d'un événement où intellectuels, militants syndicalistes ou associatifs se réunissent alors que la vie politique des USA est surplombée par le système bi-partisan qui voit tout le pouvoir partagé entre Républicains et Démocrates. Cette chape de plomb a semblé toutefois être ébranlée cette année car les nouvelles sont bonnes du côté du Mid-West, où se déroule un soulèvement populaire extraordinaire depuis le 14 février dernier, dans la continuité -assumée comme telle- de l'occupation victorieuse de la Place Tahrir au Caire. Invités d'honneur au Left Forum, les militants syndicalistes et politiques du Wisconsin ont raconté leur lutte à un amphithéâtre galvanisé de la PACE University, juste en face de l'Hotel de Ville de New York.
Le 11 février, le Gouverneur du Wisconsin, le Républicain Scott Walker a annoncé une série de mesures drastiques contre les services publics et notamment la fin du droit à la négociation collective pour les syndicats du secteur public. Prenant prétexte de la crise, le Gouverneur a par ailleurs pour objectif de réduire brutalement les subventions aux écoles publiques, à l'Université de Madison (UW Madison), et de couper bien des programmes de soutien aux familles les plus pauvres comme en matière de couverture maladie.
L'élection étant récente, le Parti démocrate qui est représenté dans le Parlement de l'Etat avait bien l'intention de s'opposer mais, étant minoritaire, il savait qu'il perdrait et ne proposa rien d'autre, finalement, que d'attendre la prochaine élection pour changer de majorité. C'était sans compter sur la force propulsive venue directement de la Place Tahrir, en Egypte, où, la veille, les Cairotes ont renversé pacifiquement Moubarak après 18 jours d'occupation. C'est ainsi que le rassemblement du 14 février, prévu originellement par le syndicat étudiant de l'Université du Wisconsin pour protester contre les mesures du Gouverneur Scott (et notamment celle qui consiste à ne plus reconnaître ce syndicat!) s'est transformée en énorme manifestation où des milliers de «Wisconsinites» sont montés au Capitole pour déposer des pétitions en forme de cœur au Gouverneur. Et puis, n'ayant pas obtenu satisfaction, ils sont revenus le lendemain, puis le lendemain, puis le lendemain. Le jour du vote, 50 000 personnes étaient amassées devant le Capitole, lui-même occupé par 10 000 personnes. Les sénateurs démocrates ont décidé de ne pas siéger, pour ne pas donner le quorum. Et, craignant d'être contraints de siéger par les forces de l'ordre, ils ont fuit l'Etat du Wisonsin vers l'Illinois voisin!
Le Gouverneur Scott a mis en place des mesures de sécurité dignes de la lutte anti-terroriste pour tenir une session et même en l'absence des démocrates, et en violation de la loi, il a fait voter la mesure anti-syndicale. L'occupation de la place du Capitole n'a fait que grossir depuis. Une chaîne de solidarité sans faille s'est mise en place, la nourriture afflue, le peuple s'active, la vie n'est qu'une longue conversation politique qui commence avec un inconnu et continue avec le suivant et ainsi de suite.
La Constitution de l'Etat prévoit une clause de révocation (comme au Venezuela!) et les signatures sont d'ores et déjà réunies pour provoquer une nouvelle élection (recall) dans les circonscriptions des républicains et probablement de certains démocrates. Parallèlement, la lutte continue et l'entrée en jeu des fermiers a provoqué une manifestation en tracteurs où certains ont parcouru des heures de route au travers de la campagne pour soutenir le peuple mobilisé à hauteur de 150 000 manifestants place du Capitole.
Les occupants n'ont aucune intention de reculer, et ils n'ont pas l'intention de s'en tenir à la revendication syndicale concernant la négociation collective. Ils veulent en finir avec toutes les politiques d'austérité du Gouverneur Scott et veulent mettre en place une taxe sur les riches et sur les corporations pour faire face à la crise. Déjà, leur lutte a fait tâche d'huile dans les Etats voisins du Michigan et de l'Ohio. A New York, au Left Forum, une militante de Madison disait que c'était la fin de l'exception américaine. Comment ne pas lui donner raison, après ce que nous avons vu dans les pays arabes? Avant la révolution citoyenne en Tunisie, il était de bon ton de considérer que les arabes avaient une inaptitude culturelle à la démocratie. Qu'ils n'en voulaient pas ou alors qu'il ne fallait pas la leur donner par crainte d'une victoire «inélucatable» des islamistes. Les faits prouvent à quel point ce relativisme culturel n'est que fadaises. Tous les peuples ont une égale aspiration à la liberté et la démocratie.
Car c'est bien de démocratie et de pouvoir qu'il s'agit. Un point commun jaillit comme une évidence entre les révolutions citoyennes dans tous les coins du monde ces douze dernières années: la volonté du peuple de recouvrer le pouvoir politique. Venezuela, Bolivie, Equateur, Islande, Tunisie. Dans tous ces pays la révolution est faite via la convocation d'une assemblée constituante. Ce n'est pas un hasard. Partout, le renversement de l'oligarchie implique le retour du pouvoir au peuple lui-même, seul souverain légitime. C'est exactement dans ces termes que les habitants de Wisconsin réfléchissent. Ce n'est pas un hasard si aux dernières élections au Gouvernorat, Ben Manski, candidat de gauche indépendant, a obtenu le meilleur score pour un 3ème parti depuis 1940. Il avait une réponse à la crise: il faut taxer les riches.. et il faut refonder la constitution.
Le Parti de Gauche, invité au Left Forum pour faire le récit de sa propre construction en vue du lancement d'une formation de gauche aux Etats-Unis, s'appuie sur ce même raisonnement et voilà pourquoi nous revendiquons l'assemblée constituante en France. Le bon résultat du Front de Gauche aux cantonales a été reçue comme une excellente nouvelle par l'Autre Gauche américaine. Avec Ben Manski du Wisonsin, nous envisageons de nous retrouver le 24 juillet à Tunis pour l'élection de l'Assemblée Constituante, évènement d'importance universelle s'il en est.