Billet de blog 21 mars 2016

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« Seule une vraie transition politique pourra unir tous les Syriens»

Alors que la Russie vient d’annoncer le retrait partiel de ses troupes, Bassma Kodmani, directrice de l’Arab Reform Initiative et membre de la délégation de l’opposition syrienne pour les négociations de paix, rappelle qu’une véritable transition politique est la seule solution viable pour mettre un terme au conflit syrien.

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« Vous allez perdre et Damas sera détruite » aurait mis en garde l’envoyé spécial des Nations Unies Lakhdar Brahimi lors d’un entretien avec le Président Syrien. « Damas sera détruite, mais c’est l’opposition qui perdra » lui aurait répondu Bachar el Assad. Pour ceux qui en douteraient encore, cet échange en dit long sur le rapport qu’entretient M. el Assad au pays qu’il prétend représenter tout en le réduisant en cendres. C’est contre son régime mafieux et patrimonial que les Syriens se sont soulevés pacifiquement à partir de mars 2011.

Au lendemain du 5ème anniversaire de ce mouvement démocratique, il n’est plus possible de se voiler la face quant aux percées diplomatiques récentes et à l’espoir que la crise syrienne se résoudra d’elle-même. Qu’on se le dise, laisser le champ libre à la Russie et son champion (devenu un simple pion) à Damas reviendrait inexorablement à persister sur le chemin qui mène à la catastrophe : un scénario suicidaire pour tous, à commencer par les Syriens eux-mêmes, mais également pour l’Europe, vulnérable face à une crise des réfugiés qu’elle ne parvient pas à gérer, et par le spectre du terrorisme contre lequel elle ne saurait être totalement protégée.

Si la trêve négociée par les Etats-Unis et la Russie à Munich a dans l’ensemble bel et bien offert aux civils un répit tant attendu, l’accalmie pourrait être de courte durée tant cet accord est entouré de risques et d’interrogations. Malgré l’annonce par Vladimir Poutine du retrait partiel de ses troupes, l’accord laisse carte blanche dans les faits à la Russie et au régime syrien pour exclure de la cessation des hostilités tout groupe qui nuirait à leurs intérêts, un écran de fumée qui leur permet de poursuivre leur avancée contre les forces d’opposition combattant le régime et les groupes extrémistes. Par ailleurs, l’absence de tout mécanisme de surveillance risque de mener à l’effondrement pur et simple de l’accord et à une reprise fulgurante des hostilités.

Il faut pourtant tout faire pour que la trêve soit respectée et surtout prolongée. Pour cela, les négociations qui ont débuté à Genève le 14 mars sous l’égide des Nations Unies doivent gagner en crédibilité car derrière ces tractations diplomatiques, c’est bien la possibilité d’une résolution politique du conflit dont il est question, et avec elle, l’avenir de la Syrie qui se joue. A ce titre, la plus grande vigilance est de mise. Plutôt que de traiter de la question fondamentale d’une transition politique pour sortir de la crise, Bachar el Assad et ses alliés russes tentent de faire de l’accès humanitaire un élément de la négociation dans l’espoir d’obtenir des concessions de la part de l’opposition syrienne. La France a raison de rappeler que le droit international humanitaire et la dernière résolution du Conseil de sécurité font de l’accès humanitaire une obligation qui ne saurait être sujette à négociation. On pourrait croire à une mauvaise farce venant d’un régime responsable de la vaste majorité des sièges qui continuent de priver près d’un million de civils, selon le très respecté Observatoire des Sièges Siege Watch, d’accès à la nourriture, à l’eau et aux médicaments.

La tentation de l’exil reste forte pour les dizaines de milliers de Syriens pour qui cette trêve fragile n’offre aucune garantie de protection, eux qui sont systématiquement pris pour cible depuis le début du conflit. Loin de prétendus dommages collatéraux, il s’agit bien là du cœur de la stratégie de Moscou et Damas pour déstabiliser une Europe dépassée par la crise des réfugiés et tétanisée par la crainte d’une accélération de l’exode, comme le rappelait si justement le général Philip Breedlove, chef des forces de l’OTAN en Europe. Alors que les Etats-Unis semblent s’en accommoder par crainte de précipiter une confrontation directe avec la Russie, l’Europe doit plus que jamais faire preuve de fermeté si elle veut pouvoir résoudre les causes profondes de la pire crise des réfugiés depuis la seconde guerre mondiale, une crise dont elle paie le prix fort. 

Cela passe nécessairement par une véritable transition politique en Syrie, seule solution viable pour mettre un terme au conflit. Or, comme l’expérience le montre, les pourparlers ne pourront aboutir à un tel accord que si les parties sont mises sur un pied d’égalité à la table des négociations. Après avoir fait la démonstration de son habileté diplomatique lors de la COP 21, la France devrait aujourd’hui investir toute son énergie et mobiliser ses partenaires européens pour soutenir l’opposition syrienne, et non simplement le processus de négociations. Comme sur le dossier nucléaire iranien, l’Europe se doit d’être le partenaire exigeant indispensable pour parvenir à un accord viable : face à un régime syrien soutenu militairement et politiquement par la Russie, seul un soutien européen sans faille permettra à l’opposition démocratique de faire prévaloir la création d’un organe gouvernemental de transition ayant autorité sur les questions de défense afin de garantir la sécurité de tous les Syriens. 

A l’heure où le chant des sirènes russes fait entendre la possibilité d’une fragmentation de la Syrie, n’oublions pas que les Syriens ont commencé leur révolte en 2011 en insistant sur leur unité toutes communautés confondues et qu’ils n’attendent que de pouvoir s’unir à nouveau pour reconstruire leur pays et le débarrasser des groupes criminels qui prétendent présider à leurs destinées à Damas comme à Raqqa. Bachar el Assad a considéré cette unité du peuple comme une menace pour lui et a semé la terreur dans le cœur des siens et le chaos chez ses opposants. Il reste aujourd’hui encore le principal obstacle au rétablissement de la stabilité et de la sécurité en Syrie. Le sort d’un seul homme vaut-il de mettre en jeu l’avenir de tout un peuple ?

Bassma Kodmani

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