Une approche fondée sur les Droits de l'homme, et non plus seulement sur les besoins matériels, doit permettre aux enfants «déracinés culturellement et psychologiquement», en «rupture familiale et sociale», d'accéder à une scolarité normale. Par Alessandra Aula, secrétaire générale adjointe du Bureau international catholique de l'enfance.
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Partout dans le monde, y compris en Europe, des millions d'enfants déracinés physiquement ou psychologiquement à cause de la pauvreté, des guerres, des catastrophes naturelles ou de la précarisation des familles sont aujourd'hui en situation d'échec scolaire ou carrément exclus du système éducatif. La crise économique et financière de ces dernières années a encore aggravé une situation déjà alarmante, comme en atteste le rapport de l'Unesco paru en mars dernier. Si en 2008 déjà, on déplorait la non scolarisation de plus de 67 millions d'enfants, au vu des tendances actuelles, on risque d'avoir plus d'enfants non scolarisés en 2015 qu'aujourd'hui (1).
Fort de ce constat inquiétant, le Bureau international catholique de l'enfance (Bice), un réseau d'organisations et d'institutions engagées pour la promotion et la protection de la dignité et des droits de l'enfant partout dans le monde, a décidé de se mobiliser en organisant, avec le soutien du secteur Education de l'Unesco, un Congrès international visant à réaffirmer le droit à l'éducation des enfants en rupture familiale et sociale (2), à apporter des réponses concrètes pour que ce droit puisse être exercé par tous les enfants sans exclusion.
Il existe un énorme déficit au niveau des organisations internationales, y compris des ONG, sur le thème du droit à l'éducation. On réfléchit encore trop en termes de besoins matériels plutôt qu'avec une approche droits de l'Homme. Surtout, il manque une réflexion qualitative sur la formation des formateurs et sur des approches nouvelles (comme celle de la médiation, de la résilience scolaire, de la formation des parents) qui permettraient de mieux inclure dans les systèmes éducatifs les enfants déracinés culturellement et psychologiquement.
Prenons l'exemple des enfants en situation de migration internationale, l'une des trois catégories d'enfants (3) sur lesquelles portent les travaux des experts internationaux qui seront présentés lors du Congrès. Au-delà du cas extrême d'enfants se retrouvant privés d'école du fait d'une mise en détention ou en rétention, il y a tous ceux qui sont mis en échec par un système éducatif ne tenant pas compte de leurs difficultés particulières: barrière de la langue, choc culturel, difficultés administratives et financières qui empêchent l'enfant d'effectuer une scolarité «normale» ou, au contraire, absence de mixité dans des quartiers dits «d'immigration» dont les écoles souffrent de nombreuses lacunes. Peut-on admettre que le droit fondamental à l'éducation de ces enfants soit conditionné par leur situation administrative et celle de leurs familles ? Non bien sûr.
La Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant le stipule clairement: les Etats s'engagent à assurer l'exercice du droit à l'éducation progressivement et sur la base de l'égalité des chances. L'éducation de l'enfant doit notamment viser à favoriser l'épanouissement de sa personnalité et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de ses potentialités.
Autant la gravité de certaines conditions de vie demande des réponses qui satisfassent des besoins immédiats (construction de salles de classe, distribution de matériel scolaire, etc.), autant il nous parait fondamental de faire ressortir du Congrès quelles sont les obligations des Etats et d'aider les pouvoirs publics dans le pilotage de leurs politiques en matière d'éducation.
A cette fin, le Bice soutient le mandat du Rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'éducation, Kishore Singh, qui interviendra lors de notre congrès, et note avec satisfaction que son premier rapport au Conseil des droits de l'homme (4) porte sur l'égalité des chances en mettant notamment en relief le fait d'assurer une protection légale au droit à l'éducation au niveau national, le renforcement des mécanismes mis en place par les institutions nationales et l'étroite collaboration qu'il faut établir entre les Etats, les institutions académiques et la société civile.
Les résolutions qui seront issues du congrès devraient donc bien permettre au Bice ainsi qu'à ses membres et partenaires d'accentuer leur plaidoyer au niveau national, régional et international grâce à un travail mieux concerté en réseau pour solliciter une implication soutenue de la part des pouvoirs publics en faveur de la réalisation du droit à l'éducation pour tout enfant.
(1) Rapport mondial de suivi sur l'éducation pour tous, Unesco, 2011.
(2) Congrès international sur le droit à l'éducation des enfants en rupture familiale et sociale. Du 23 mai au 25 mai 2011, à la Maison de l'Unesco.
(3) Enfants dans un contexte de migration internationale, enfants dans un contexte familial fragilisé, enfants en situation de rue.
(4) Le Rapporteur spécial présentera son rapport le 31 mai 2011 lors de la XVIIe session régulière du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.