« Pourquoi l'écologie a besoin des écologistes et pourquoi notre parti doit changer » : à quelques semaines du congrès de leur mouvement, Jean-Jacob Bicep, Jacques Boutault, Yves Cochet, Karima Delli, Alain Lipietz, Elise Lowy et Lucile Schmid, élus ou militants d'Europe Ecologie Les Verts, proposent des pistes pour en surmonter la « très grave crise ».
Il se passe parfois un phénomène remarquable autour de l'emploi de certains mots. Plus ils sont utilisés, plus ils deviennent virtuels. En parler participe alors d'un processus qui les empêche d'entrer dans la réalité, ou pire, les disqualifie. L'égalité des salaires entre hommes et femmes en est un des exemples les plus criants. Appelée de leurs vœux par tous les gouvernements de gauche et de droite depuis 25 ans, elle reste un mythe auquel les jeunes femmes croient de moins en moins. On peut aussi penser à tout ce qui se dit sur la chance que constitue la jeunesse pour une société. Certes, mais où sont les jeunes aujourd'hui? A Pôle emploi ou dans les sphères du pouvoir?
C'est un peu la même chose pour l'écologie et les écologistes. Personne ne peut plus ignorer aujourd'hui les menaces qui pèsent sur la planète, que nous devons consommer et produire autrement, que sans nature l'humanité n'a pas d'avenir. Mais personne ne peut non plus ignorer, si on en croit un certain air du temps, que les écologistes sont “ sectaires ” ou encore “ n'entendent rien à la question sociale ”, “ veulent toujours plus d'impôts ”, “ participent au pouvoir sans vraiment l'assumer ”, et que les dissensions internes des Verts sont beaucoup plus mesquines bien sûr que celles des socialistes ou de la droite et en font des minables au regard des enjeux planétaires qu'ils disent porter. Au fond, l'idéal, ce serait l'écologie sans les écologistes. Ou dans un compromis acceptable, des personnes qui se disent écologistes mais qui sachent surtout rester raisonnables. Ecologistes mais pas trop...
Ce sentiment d'incompréhension s'est renforcé depuis qu'Europe Ecologie Les Verts participe à une majorité politique dont l'action paraît bien souvent aux antipodes d'un projet écologiste. Entre par exemple la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, le calendrier de la transition énergétique qui s'étire et la diminution du budget du ministère de l'écologie, les Verts avalent des couleuvres de plus en plus radioactives qui en auraient incité plus d'un à quitter le gouvernement. Et pourtant... ils restent, et le malaise s'installe. Restent-ils parce qu'ils sont coincés, restent-ils parce qu'ils ont pris le goût des ors de la République, restent-ils parce qu'ils sont utiles et que sans eux ce gouvernement serait pire ? Sans doute un peu des trois. En 2010, les journées d'été d'EELV s'intitulaient « les écologistes à l'épreuve du pouvoir ». Trois ans après, le pouvoir met férocement les écologistes à l'épreuve. Qu'il s'agisse du projet politique, des ambitions collectives ou personnelles, des liens avec leur électorat, de l'estime de soi, nous traversons, et notre parti avec, une très grave crise.
Pour la surmonter, il est nécessaire d'inverser le raisonnement pour retrouver les fondements de ce que portent les écologistes. Car il y a bien une spécificité de l'écologie: elle porte un espoir et l'envie d'aller de l'avant, alors que le Front national marque des points, que le désengagement politique et la gestion des privilèges du pouvoir étreignent la gauche de gouvernement et la droite “ qui a vocation à y retourner ”.
C'est pourquoi, à la veille d'un congrès du parti Europe Ecologie Les Verts, nous souhaitons faire partager nos aspirations et nos objectifs, redire aussi notre détermination, écrire pourquoi l'écologie a besoin des écologistes et pourquoi notre parti doit changer.
Vous l'avez peut-être remarqué, l'écologie va à rebours des fonctionnements classiques, du court termisme et du huis clos politique. C'est la première raison pour laquelle nos sociétés ont besoin des écologistes. Nous avons besoin de conduire inlassablement une transformation de l'économie et des rapports de force sociaux. Contre la financiarisation, et les nouvelles formes d'exploitation des êtres humains, les écologistes doivent porter le partage de l'emploi et la réduction du temps de travail, et donner des règles à une mondialisation qui rend aujourd'hui malheureux les peuples du Sud comme du Nord. Nous avons besoin de protéger et chérir cette fameuse nature qui dérange tant et se rappelle à nous aujourd'hui dans ses dérèglements. Renoncer au mode de développement économique actuel n'est pas anodin. C'est une remise en cause frontale d'un certain capitalisme libéral qui rémunère aujourd'hui une fraction toujours plus faible de la population. Ce que porte l'écologie à sa manière non violente, c'est à la fois le fait de replacer les relations entre l'homme et la nature au centre et de mener une guerre sans merci contre des rapports de forces qui ont été la toile de fond de l'histoire économique et sociale depuis 300 ans. Alors oui nous avons besoin des écologistes.
Mais nous avons besoin aussi d'un parti écologiste qui cesse de s'aligner sur les pires turpitudes de la politique politicienne. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que la politique impose la confrontation, y compris au sein des mêmes familles politiques, lorsqu'il s'agit de choisir un projet, des alliances, des personnes. Mais nous pensons profondément que le contrôle de quelques-uns sur l'ensemble des fonctions de notre parti est contraire à l'influence de l'écologie politique, à une écologie en prise avec les aspirations sociales et l'évolution du monde. Nous pensons aussi que le court termisme, les revirements de position, l'esquive des débats de fonds sont mortels pour l'écologie politique. Celles et ceux qui veulent incarner l'écologie dans le paysage politique ne peuvent le faire qu'en étant différents, en refusant le moule qui façonne une classe politique de plus en plus décriée, qui n'a pour tout horizon que sa réélection.
Un parti écologiste ne peut être un parti socialiste de Minimoys. Sa raison d'être est bien le lien avec les mouvements sociaux, l'écologie scientifique et citoyenne. Son fonctionnement doit être en phase avec les valeurs qui fondent l'écologie: non violence, transformation sociale, féminisme, internationalisme...
C'est pour toutes ces raisons que nous avons choisi de nous engager dans les débats du congrès d'Europe Ecologie Les Verts. Parce que l'écologie a besoin des écologistes. Et les écologistes d'un parti différent. Un parti qui retrouve les voies d'une vision, qui sache porter les confrontations indispensables et définir des positions politiques claires. Un parti enfin qui porte l'écologie et la question sociale d'un même mouvement.
Lucile Schmid, Jacques Boutault, Elise Lowy, Alain Lipietz, Karima Delli, Jean-Jacob Bicep, Yves Cochet