A l’initiative de Florence Prudhomme, présidente de Rwanda avenir, des chercheurs et militants entendent à leur tour dénoncer la situation des réfugiés à Calais. Ils lancent un appel de soutien et solidarité pour « accueillir, accompagner et porter secours aux hommes, femmes et enfants qui survivent à Calais... C’est une question de vie ou de mort ».
De rares instants de dignité retrouvée… I am… Ce 19 septembre, lors de la marche de solidarité partie de « la jungle » jusqu’au port de Calais, sur des pancartes, à la suite de ces mots (I am), des Syriens, des Afghans, des Irakiens, des Erythréens, des Soudanais, etc. écrivent leur nom, leur prénom, ou leur pays d’origine, ils peignent le drapeau de leur pays, ils demandent à être photographiés avec leur pancarte. Tout de suite après revient la peine – la perte de la famille qu’ils tentent inlassablement de retrouver, ici ou dans un autre pays européen. Reviennent les souvenirs, le métier d’« avant », la maison, les photos des enfants… Tout a été détruit. Ils ont tout perdu. Ce même jour, les femmes, qui ont organisé leur propre marche autour de « la jungle », scandent: « I’m not an animal, I’m not a terrorist, we are not animals », « we are women, we have rights. Where are our rights ? »
Quelques jours plus tard, c’est l’éclipse de lune au-dessus de « la jungle ». Quelques amis proches des habitants du ghetto viennent photographier le spectacle offert à tous. Ils observent les Pléiades, la nébuleuse d'Orion ou la galaxie d'Andromède. Espace infini, tracé de voies célestes. Aucune frontière dans le ciel. Rêve partagé d’humanité et de liberté.
La nuit suivante, certains partiront en direction du port et de l’eurotunnel pour tenter leur « dernière chance ». Dix-sept d’entre eux sont morts depuis le 26 juin. Combien de morts encore à venir ?
Délaissés, abandonnés, anéantis, assignés à l’inhabitable, ils vivent dans des conditions indignes, sous des bâches où la pluie s’infiltre, dans des tentes exigües, visitées par les rats, traversées par des ruisseaux d’immondices. Les ordures ne sont pas ramassées. Elles s’entassent. Le terrain est inondé. Ils souffrent de la faim. L’eau stockée dans des containers contient un nombre de bactéries, dépassant toutes les normes en vigueur. Une épidémie de gale se développe. Les blessures s’infectent dangereusement. Les règles d’hygiène promues notamment par le HCR sont bafouées et ignorées. Comment survivront-ils à l’hiver ?
La détresse psychique s’installe. Les traumas successifs s’accumulent depuis le pays d’origine où le pire a été connu – les massacres, les destructions, les violences et les tortures. Ils ont parcouru des milliers de kilomètres et chaque étape a fait renaître la terreur de la mort.
Les violences policières sont fréquentes. Au lendemain de la marche du 19 septembre, des tentes et les rares objets personnels qui sont leur bien le plus précieux – sac de couchage, téléphone portable – ont été détruits par un bulldozer. La nuit, sur les chemins et les routes qui entourent « la jungle », les hommes subissent des coups et des passages à tabac – ils sont déshabillés, ils reçoivent des jets de gaz lacrymogène dans les yeux. Puis ils sont abandonnés, laissés pour morts.
L’alerte n’a jamais été aussi grande. Des textes venus de différents horizons ont confirmé ces dernières semaines le tragique constat asséné depuis des mois par les associations et les bénévoles sur place. Des chercheurs de l’Université de Birmingham ont publié un rapport en collaboration avec Médecins du monde/Royaume Uni. Le directeur exécutif de l’ONG déclare : « Les réfugiés sont affamés et en détresse, ils vivent dans des conditions diaboliques » et les chercheurs parlent d’une « crise humanitaire de premier ordre dans l’une des nations les plus prospères du monde ».
Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, affirme qu’« il lui revient de rappeler sans cesse les lignes qui doivent demeurer infranchissables, celles qui représentent nos valeurs fondamentales, qui résultent des droits dont tout individu est titulaire du seul fait de son appartenance à la communauté humaine ».
A l’appel de Médecins du monde/France trois soignants se sont rendus à Calais. Ils déclarent : « Médicalement, ce que nous avons vu dans ce bidonville de plus de 3 000 personnes est inacceptable ». Rien qui réponde « aux exigences sanitaires en France, ni dans un camp de réfugiés ». « Beaucoup de cas de varicelles, des patients victimes de coups, de lacrymogènes, des gosses couverts de lésions de gale impétiginisées, des abcès dentaires terriblement douloureux, des grossesses avec beaucoup de demandes d’interruption volontaire de grossesse, beaucoup de viroses avec pharyngite, rhumes et toux ».
Le président d’Emmaüs France, « révolté par l’inertie malsaine du gouvernement et par l’incapacité de son ministre de l’Intérieur à apporter enfin des réponses adaptées à l’ampleur de la catastrophe humaine à Calais », vient de rompre tout dialogue avec le gouvernement. La Cimade estime que la préfecture de Calais « opère une stratégie de dispersion des exilés de Calais. Ils risquent l’expulsion sur ordre de la préfecture de Calais, avec le soutien du ministère de l’intérieur ». La préfecture du Pas-de-Calais semble avoir décidé qu’elle est au-dessus des juridictions tant européennes que françaises.
Les dirigeants français et anglais restent sourds et aveugles. Muets. A l’exception de quelques engagements sans aucune commune mesure avec les besoins : 1 500 places dans des logements sommaires. Que deviendront les autres ? Le plan du camp commandé par l’Etat, présenté le 17 octobre, est pire que tout ce que l'on pouvait craindre : un camp fermé de 74 containers alignés avec une orientation aussi mauvaise pour le soleil que pour le vent. L’emplacement choisi, - la grande plaine sableuse centrale -, détruit le seul point haut du site et le reste de la colline ne manquera certainement pas de s'effondrer sur le camp dans les mois qui viennent.
Aux côtés des bénévoles et des associations, qui construisent des abris solides avec un sol étanche, qui distribuent des repas, qui ont créé une école, une bibliothèque, une école des arts et métiers, une clinique, et toutes sortes d’autres initiatives, nous vous appelons à accueillir, accompagner et porter secours aux hommes, femmes et enfants qui survivent à Calais. C’est une question de vie ou de mort. Il est urgent de construire notre présence solidaire/l’hospitalité auprès des 6 000 personnes (16/10/2015) qui vivent dans des conditions ignobles, insalubres, indignes et inhumaines. Ici. En ce moment-même…
Les principaux signataires :
Nurith Aviv, cinéaste;
Jean-Christophe Bailly, philosophe, écrivain; Sophie Bessis, historienne; Yves Bonin, enseignant;
Claudie Cachard, psychiatre, psychanalyste; Barbara Cassin, philosophe; Catherine Coquio, professeur de littérature comparée;
Gaël Faye, auteur; Jenny Flahaut, enseignante, bénévole Ecole Laïque du Chemin des Dunes; Jean-Jacques Franckel, linguiste; Jean Frecourt, psychiatre, psychanalyste;
Alain et Dafroza Gauthier, Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda; Violaine Gauthier, épidémiologiste; Rose-Marie Girschweiler, enseignante;
Emmanuel Habimana Twamu; Cyrille Hanappe, agence d’architecture AIR; Mohammed Harbi, historien; Albert Herszkowicz, Mémorial 98 contre le racisme et l’antisémitisme;
Raffi Kaiser, peintre;
Nicole Lapierre, socio-anthropolgue;
Charles Malamoud, linguiste, anthropologue; Annie Montaut, linguiste; Michelle Muller, Rwanda Avenir;
Denis Paillard, linguiste; Michèle Petit, anthropologue; Sophie Prudhomme, architecte;
Ana Sardinha, universitaire;
Sébastien Thiery, coordinateur des actions du PEROU, enseignant chercheur à l’ENSA Paris Malaquais; Virginie Tiberghien, Ecole Laïque du Chemin des Dunes, Calais;
Françoise Verges, historienne; Antoine Volodine, écrivain;
Abdourahman Waberi, écrivain; Irving Wohlfahrt, philosophe...
Envoyez vos signatures à : solidaritecalais@gmail.com