Billet de blog 21 décembre 2009

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Faut-il poser des limites à la liberté d'expression ?

Par Fouad Bahri, journaliste.Jeudi 17 décembre, à 18 h 20, France culture organisait un débat dans son émission « Du grain à moudre », intitulé « Faut-il poser des limites à la liberté d'expression et de débat ? ». Les participants étaient Caroline Fourest, l'écrivain Alain Laurent et le militant Abdelaziz Chaambi.Le sujet est pour le moins insolite, dans une société qui se conçoit comme démocratique et libérale.

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Par Fouad Bahri, journaliste.

Jeudi 17 décembre, à 18 h 20, France culture organisait un débat dans son émission « Du grain à moudre », intitulé « Faut-il poser des limites à la liberté d'expression et de débat ? ». Les participants étaient Caroline Fourest, l'écrivain Alain Laurent et le militant Abdelaziz Chaambi.

Le sujet est pour le moins insolite, dans une société qui se conçoit comme démocratique et libérale.

En réalité, il ne recouvre pas la même chose, selon le point de vue et la position de ceux qui en parlent.

Avant de parler de limites à la liberté d'expression, il faut donc parler de la liberté d'expression elle-même et savoir si, oui ou non, elle est une réalité, et pour qui l'est-elle.

La société française, comme tant d'autres sociétés,est globalement divisée en groupes sociaux et culturels, divers. La fracture sociale coïncide assez souvent avec la fracture culturelle. Pour l'une, elle oppose la bourgeoisie des élites financières, cadres et classes moyennes supérieures, haute fonction publique, aux classes moyennes dites inférieures, petits entrepreneurs de PME ou salariés, et tout en bas, la classe des précaires, smicards, les working poor, les rmistes, et les sans revenus, SDF et sans papiers. Pour l'autre, des groupes culturels aussi divers que les catholiques de droite, plutôt nationalistes, et de gauche, de la mouvance national-républicaine et/ou laïciste, les homosexuels, les protestants, les juifs, les athées et les libertaires, les noirs, les arabo-musulmans, et d'autres groupes de moindre importance. Dans la sphère médiatique, peu de ces groupes sont représentés. Certains ont voix au chapitre, d'autres pas.

Il n'est pas possible de parler de liberté d'expression sans parler de l'accès aux moyens d'expressions publiques que sont les médias. La liberté d'expression n'est pas une question abstraite mais concrète, conséquence de rapports de force sociaux et idéologiques.

Les musulmans, par exemple, de ce point de vue, ne disposent d'une liberté d'expression qu'à travers le filtre d'élite cooptées et choisies par les élites médiatiques (directeurs de publication ou de rédaction, présentateurs, faiseurs d'opinions, lobbyistes...). Ce sont les mêmes élites réduites (Malek Chébel, Abdelwahhab Meddeb, Dounia Bouzar, Abdennour Biddar, Dalil Boubakeur, pour les faire-valoir religieux; Fadéla Amara, Sihem Habchi, pour les laïcs), qui passent d'un plateau télé à un autre, sont autorisés à publier des tribunes dans la presse et ont le droit de véhiculer une opinion, dès lors que leur discours a été validée par ce système médiatique, producteur de consensus politique.

C'est tout ce processus de production d'opinion publique, qu'il faut interroger, si l'on veut savoir de quelle liberté d'expression nous parlons.

Caroline Fourest, issue de la communauté homosexuelle, n'est pas une intellectuelle standard, mais une militante libertaire, ancienne directrice du Centre Gai et Lesbien de Paris, même si elle tente de le faire oublier. Sa biographie, sur son blog, présente un parcours uniquement intellectuel et occulte le côté «militant» de son passé, avec la ligne idéologique qui le fonde. La voici : « Caroline Fourest est essayiste et journaliste. Co-fondatrice et rédactrice en chef de la revue ProChoix (féministe, antiraciste et laïque). Elle a écrit de nombreux essais sur l'extrême droite, l'intégrisme (juif, chrétien et musulman), mais aussi contre les préjugés. Elle a reçu le Prix national de la laïcité en 2005, le Prix du livre politique et le prix Jean Zay en 2006, le Prix Aron-Condorcet en 2008. Elle tient une chronique "Sans détour" tous les samedi dans Le Monde. Et a "Carte blanche" tous les vendredis à 7h25 sur France Culture. Elle enseigne sur "Multiculturalisme et universalisme" à Sciences-Po Paris. Elle siège au Conseil de la Fondation Anne Lindh pour le dialogue entre les cultures (Euro-Med). »

Ce militantisme et cette orientation libertaire explique ses positions anti-religieuses de principes, et sa contribution à la montée de l'islamophobie, ces dernières années. Des positions qui l'amènent à des contradictions comme combattre l'homophobie, dont elle dénonce la persistance, et nier, dans le même moment, l'islamophobie, car la reconnaissance de ce phénomène est l'objet d'enjeux politiques, inavouables. Reconnaître l'islamophobie revient à pointer du doigt le système inégalitaire et discriminatoire de l'Etat et de ses élites.

L'argument, développé par Caroline Fourest, selon lequel l'islamophobie vise à censurer la critique de l'islam, et que le seul véritable racisme vise les individus et non les religions, est sans fondement.

La critique dans la mesure où elle est rationnelle, rentre dans le cadre du débat. Elle est donc acceptable. L'insulte et l'emploi de propos calomnieux ne relève aucunement du débat, et participe de la stigmatisation. Quand à la religion, elle est inextricablement liée aux fidèles. Une religion abstraite et théorique n'a pas de sens. Une religion est incarnée par ses fidèles. Calomnier et insulter une religion, l'accuser de tous les maux, c'est désigner à la vindicte populaire ses représentants. Les définitions académiques de l'islam confirment cette réalité. « L'ensemble des peuples qui professent cette religion, et la civilisation qui les caractérise » (Le Robert).

Caroline Fourest dispose de plusieurs canaux éminents pour exprimer ses opinions et pour défendre ses positions idéologiques. Abdelaziz Chaambi, à l'image des autres acteurs et intellectuels issus de la communauté musulmane française, ne bénéficie pas des mêmes canaux. Lorsqu'ils interviennent sur un sujet, les rares fois où ils sont sollicités, ils ne partent pas de zéro, mais parlent sur une montagne de présupposés, solidement ancrés par l'ensemble des interventions et des émissions diffusés chaque semaine, par ces mêmes élites en place. Des présupposés que le temps bref, qu'il est donné, ne leur permet pas de déconstruire.

Internet est aujourd'hui le seul espace transnational, d'expression et de libertés pour la société civile. Et l'on constate que le pouvoir (économique, politique, idéologique) tente de le quadriller, d'une part en favorisant l'émergence de sites clés, des pôles du web et carrefours du net, favorisés à coups de budget pharaoniques et de promotions publicitaires, dont le but est de reproduire le discours dominant, et de conserver le contrôle de l'opinion. D'autre part, en produisant des textes de lois liberticides, dont la loi Hadopi n'est que le premier acte.

Aujourd'hui, deux conceptions de la démocratie s'affrontent. Une conception authentique, c'est à dire fidèle aux aspirations originelles des Lumières et de la tradition anglo-saxonne, la démocratie libérale, entendue philosophiquement. Une conception qui ne fige pas les expressions et les opinions sociales, mais défend la liberté de l'individu, au point d'en faire le fondement de sa conception sociétale.

L'autre conception est idéologique, national-républicaine, et considère que l'expression de la démocratie doit être encadrée et contrôlée dans un cadre pré-définie,un cadre à la fois formel (les partis, les médias officiels, les groupes de pressions et think tanks) et idéologique (le crédo démocratique français, dominant, est tout à la fois laïcard, républicaniste, anti-religieux, ethnocentriste, de tradition nationale, autant d'éléments réactionnaires et fermés à toute évolution intellectuelle et sociale). La posture de Caroline Fourest s'inscrit dans cette seconde conception. Une posture qui l'a conduite à s'opposer à la démocratisation dans les pays musulmans, sans sécularisation préalable. Selon elle, « la seule solution semble de séculariser, puis de démocratiser» (1)ces pays. Ce qui signifie : pas de démocratisation, sans désislamisation préalable de ces sociétés.

Cette conception démocratique, de type idéologique, est aujourd'hui celle qui triomphe, à travers ses défenseurs médiatiques et politiques.

Elle est le produit d'une tradition française latine, de culture catholique, culture caractérisée par son aspect autoritaire, violent, et socialement hiérarchisée. Il n'y a pas de tradition de liberté sociale et/ou religieuse en France (2), qui ne se soit fragilement imposé autrement que par le combat et l'affrontement. Le terreau culturel français n'est donc pas favorable, a priori, à une expression démocratique de la société civile, à l'exception des élites et à l'inverse du modèle anglo-saxon, qui a privilégié, pour des raisons historiques, la tolérance et la liberté religieuse.

Une fois tout cela posé, comment comprendre la question « Faut-il poser des limites à la liberté d'expression et de débat ? » autrement, que révélatrice de positions de pouvoirs et d'une volonté de limiter ces nouvelles expressions, qu'Internet a permis. Il y a seulement dix ans, personne n'aurait posé cette question, dans les mêmes termes.

Au-delà des réponses évidentes et qui ne font pas débat (les seules limites à la liberté d'expression sont celles posées par la loi : le racisme, l'incitation à la haine envers un groupe, l'appel au meurtre, la calomnie...), toute autre réponse met en évidence des objectifs idéologiques très clairs : la visibilité à la fois physique, sociale, de plus en plus politique et économique, et bientôt idéologique, de groupes socio-culturels de plus en plus présents, va t'elle remettre en cause une prééminence sociale et la domination de groupes plus anciens et solidement installés sur l'échiquier économique et politique ? Telle est la véritable question qui se profile derrière ce débat. Tel est le véritable débat, qui n'aura jamais lieu.

(1) Propos extraits de la tribune « Une main tendue en forme de prière », in Le Monde, publiée le 05 juin 2009.

(2) Les acquis sociaux en France ont été obtenus par des luttes menées de longue haleine. Des acquis sans cesse fragilisés, en particulier depuis la défaite idéologique de la gauche, qui a marqué la chute du Mur de Berlin et la victoire de la mondialisation libérale. Quant à la liberté religieuse, elle fut inexistante, marquée par la répression des cathares, des protestants, la déportation des juifs, et aujourd'hui, la stigmatisation contemporaine des musulmans.

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