Karima Delli, eurodéputée Europe écologie, Eros Sana, militant des quartiers et porte-parole de la Zone d'écologie populaire (ZEP), et les membres de la ZEP, adressent une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy. Pour eux, «crise sociale et crise environnementale sont les deux facettes d'une même médaille».
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Monsieur le Président de la République,
Le 28 novembre dernier, devant le Conseil national de l'UMP réuni à Aubervilliers, vous avez rappelé à vos troupes, toujours rétives sur le thème de l'écologie, que vous n'entendiez pas laisser la primeur de ce sujet à l'opposition. Vous vous êtes ensuite évertué à définir les contours d'une « écologie populaire » devant s'efforcer de construire « une croissance durable », opposée aux écologistes, qui selon vous prônent une « invraisemblable stratégie de la décroissance ». Jamais à cours de provocation, vous avez rajouté à leurs propos: « Savent-ils qu'il y a du chômage et de la misère? »
Lorsque vous évoquez votre « écologie populaire» , on ne peut que réagir face à une telle suffisance et un tel aplomb dans la démagogie et la caricature de l'écologie politique.
Quelle est « l'écologie populaire » que vous prônez, Monsieur Sarkozy? Celle du bouclier fiscal, qui redistribue l'argent de l'Etat aux ménages les plus riches de l'Hexagone? Celle du plan de relance, qui nous propose de sortir de la crise par plus d'autoroutes, de circuits de Formule 1 en dépit du Grenelle voté par la majorité? Celle de la taxe carbone, qui fait que les couches moyennes et populaires paieront pour que les plus riches reçoivent (encore) une compensation de l'Etat et que les entreprises les plus polluantes comme EDF, Air France et Total en soient, elles, totalement exonérées (EDF dont le parc nucléaire n'empêche en rien qu'il y ait en France trois millions de personnes souffrant de précarité énergétique)? Celle de l'identité nationale, qui pour faire oublier la situation sociale explosive qui règne en France, désigne des boucs émissaires à peu de frais, les étrangers, selon une bonne vieille technique extrémiste élimée jusqu'à la toile?
Il y a un mot pour désigner ce type de politique : le « populisme ». Ce terme sert à dénoncer les démagogues qui mobilisent le peuple par des promesses électoralistes, qui flattent ses « bas instincts » (nationalisme, xénophobie, exacerbation des réflexes sécuritaires) ou qui renforce l'aveuglement de certains face aux enjeux environnementaux.
Monsieur le Président, l'écologie que vous décrivez est ainsi une écologie « populiste» . La croissance « verte » ou « durable » que vous prônez est un contresens, car il ne peut y avoir de croissance infinie sur une planète aux ressources finies. D'autant plus qu'il n'y a jamais eu autant de richesses produites qu'aujourd'hui dans toute l'histoire de l'Humanité. Simplement, ces richesses ne sont pas partagées. Arrêtons donc de produire toujours plus, pour produire moins, mieux et pour tous. Cette transformation constituerait un formidable vecteur d'emplois non délocalisables, contrairement à ce que vous avancez.
Un exemple clair : l'agriculture française. Il y avait 2,3 millions d'exploitations en 1955, à peine plus de 500 000 aujourd'hui. La population active agricole représentait 24,4 % de l'ensemble des actifs en France en 1960, 3,5% aujourd'hui. Pourtant la production agricole française a explosé durant la même période. Ce modèle productiviste est la cause directe de la crise sociale qui frappe les agriculteurs ainsi que des récentes crises alimentaires et sanitaires (vaches folles, poulets à la dioxine, pollution par les pesticides et engrais de la majorité des nappes phréatiques). Sortir d'une agriculture productiviste au profit d'une agriculture paysanne de proximité, en plus de respecter l'environnement, reviendrait à pourvoir des centaines de milliers d'emplois, à plus de produits de qualité et moins de produits européens subventionnés et exportés qui viennent déloyalement concurrencer les produits locaux des pays des Sud. Voilà un exemple de « décroissance » vertueuse et profitable à l'ensemble de la population.
Face à votre ignorance, monsieur le Président, nous, issus de quartiers et de milieux populaires, devons donc vous expliquer le concept d' «écologie populaire » afin de vous empêcher de le détourner comme vous l'avez fait à d'autres occasions avec les pensées de Jean Jaurès, Léon Blum, Marc Bloch ou Albert Camus.
Les crises environnementales sont désormais au seuil d'irréversibilité : dérèglement climatique aux conséquences dramatiques (fonte des glaces, désertification, pénuries alimentaires), hausse du prix de l'énergie, destruction de la biodiversité menaçant à termes l'existence même de l'humanité et plus largement de la vie sur Terre, nous confrontant au plus grand défi de tous les temps.
La réalité est que les principales victimes de ces phénomènes sont les populations les plus fragiles, celles que l'on peut classer sans aucune condescendance sous le vocable de « classes populaires » : populations des pays du Sud, dont les ressources sont pillées par les compagnies multinationales, populations des pays du Nord frappées par le chômage et la précarité, ouvriers victimes de l'amiante, habitants des quartiers et des zones rurales soumis aux pollutions et au bruit, aux risques naturels et industriels, à la malbouffe, aux maladies (diabètes, allergies, cancers, saturnisme), femmes isolées avec un ou plusieurs enfants à charge, jeunes, diplômés ou non, confrontés à la pénurie de logements et à l'explosion des loyers, personnes âgées abandonnées à leur sort, aux retraites insuffisantes face au renchérissement du coût de la vie, bref toutes celles et ceux qui n'ont droit qu'aux miettes infimes du gâteau néolibéral. Dans les couches et quartiers populaires, les inégalités sociales renforcent les inégalités environnementales et inversement.
L'écologie populaire part du constat que crise sociale et crise environnementale sont les deux facettes d'une même médaille : étant intimement liées, on ne peut les traiter séparément. Elle opte pour le dépassement du capitalisme par la reconversion de la production dans un sens non productiviste, par la relocalisation de l'activité, par la redistribution des richesses et du temps, par la maîtrise collective des biens communs et par la transformation des rapports au travail.
Elle contribue à la réappropriation de la politique par celles et ceux qui en sont le plus éloignés ; à la lutte contre toutes les discriminations, à l'auto-détermination du modèle d'émancipation des populations discriminées et à l'orientation de la lutte pour la justice sociale et environnementale en priorisant la lutte contre la pauvreté. L'écologie populaire prône la décroissance de l'empreinte écologique de tous avec une solidarité pour les populations des Sud...
L'écologie populaire, ce n'est pas l'écologie du capitalisme vert, rose, orange ou bleu ; c'est tout le contraire. C'est la conjonction de l'écologie des pauvres, des « sans », des sans terre, des sans logements, des sans papiers, des sans emplois, des sans revenus; celle des écosyndicalistes qui se battent dans les entreprises contre l'amiante, les produits chimiques, les délocalisations, le stress, la souffrance au travail et la destruction des services publics; celle de la justice environnementale et sociale qui se bat contre les catastrophes écologiques produites par vos amis du Fouquet's monsieur le Président, les entreprises du CAC 40 et les multinationales : destruction des forêts tropicales par Bolloré, marée noire et exploitation des peuples de Birmanie ou du Congo par Total, guerres encouragées par le marchand d'armes Dassault, développement de la prolifération nucléaire par Areva et EDF, pillage des ressources en eau par Suez et Veolia, antennes relais installées partout sans aucune prévention par Bouygues, qui construit des ouvrages inutiles pour le seul prestige des dictateurs au Turkménistan et un peu partout dans le monde.
Bref, l'écologie populaire est une écologie radicale de transformation d'un monde soumis aux diktats d'un système économique capitaliste mortifère.
Monsieur le Président, il est clair que cette écologie populaire soit très éloignée de vos idéaux et de vos pratiques politiques. A l'avenir, évitez le mot « populaire » pour lui préférer celui de « populiste ». Comme les mots sont importants, ne les videz pas de leur sens.