Billet de blog 22 février 2013

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Au-delà de l'intervention au Mali, la nécessaire réforme de l'APD

Pour le Mali, la vraie victoire passera par l'économie et l'Aide publique au développement en constitue l'un des principaux leviers, explique Philippe Marchesin, spécialiste des relations Nord-Sud et de l'aide au développement à l'Université Paris 1. Mais cette aide est sujette à caution, surtout en ce qui concerne les pays pauvres, et «le temps d’une aide claire, intelligente et généreuse est arrivé».

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Pour le Mali, la vraie victoire passera par l'économie et l'Aide publique au développement en constitue l'un des principaux leviers, explique Philippe Marchesin, spécialiste des relations Nord-Sud et de l'aide au développement à l'Université Paris 1. Mais cette aide est sujette à caution, surtout en ce qui concerne les pays pauvres, et «le temps d’une aide claire, intelligente et généreuse est arrivé».


Alors que les combats impliquant l’armée française dans les sables du désert se poursuivent, les observateurs les plus avisés soulignent que les défis du Nord-Mali et plus généralement du Sahel (une centaine de millions d’habitants en 2025) ne seront pas relevés in fine militairement mais politiquement. La vraie victoire passera par l’économie, l’un des principaux leviers devant logiquement en être l’Aide publique au développement (APD). Or, que donne à voir l’APD de la France ? Une aide pour le moins sujette à caution sur le terrain même où elle se place, le développement, tout particulièrement en ce qui concerne les pays les plus pauvres. Trois incohérences de cette politique publique forte pour cette année de 9 milliards 800 millions d’euros méritent d’être soulignées.

Le premier travers concerne le caractère artificiel d’une partie de l’aide française. Comme l’écrivent les sénateurs Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon dans leur avis relatif à la loi de finances pour 2013, le « thermomètre » qui sert à mesurer l’aide « est largement faussé ». On comprend mal en quoi les crédits destinés à Wallis-et-Futuna –qui est, rappelons-le, une collectivité d’outre-mer française–, le fonds du sarcophage de Tchernobyl, le loyer de la maison de la francophonie ou la facture de chauffage des centres de rétention, et j’en passe, ont à voir avec l’aide au développement. Par ailleurs, on ne peut qu’être perplexe en constatant que la Chine, elle-même dispensatrice d’aide au développement, a été le deuxième bénéficiaire de l’APD bilatérale française en 2010.

Un second registre concerne la forte augmentation des prêts, de plus en plus proches des taux du marché, avec pour souci prioritaire la recherche d’un retour sur investissement au profit des entreprises françaises. Cette orientation risque de divertir l’aide de son objectif premier unanimement reconnu : la lutte contre la pauvreté. Certes, le financement d’infrastructures ou de grands projets a du sens en ce qui concerne le développement et par là-même le combat contre la pauvreté, mais n’assiste-t-on pas à une dérive lorsque l’augmentation des prêts coïncide avec une diminution des dons ? Il faut ici rappeler que les prêts bénéficient aux pays à revenu intermédiaire, émergents en puissance, alors que les dons s’adressent aux pays les plus pauvres, ceux-là même qui n’ont pas les capacités de s’endetter. Ces derniers, pourtant reconnus comme prioritaires par les textes officiels, ne recevront cette année, comme à l’accoutumée, que la part du pauvre : 170 millions d’euros à se partager à 17, soit 10 millions en moyenne pour chacun, c’est-à-dire environ un millième du total de l’APD.

On ne peut que s’étonner de la si faible prise en compte de pays qui sont dans le besoin et dont les enjeux, notamment sur le plan géostratégique, sont évidents. Il suffit justement de tourner son regard vers le Sahel. Tout miser sur la diplomatie économique, la défense de nos entreprises et la promotion de nos produits laisse pour le moins dubitatif à l’heure où « notre maison brûle au Sud » (Serge Michailof). Last but not least, l’augmentation significative des prêts estampillés croissance verte, marque du ministre écologiste du développement, est certes sympathique mais ne vaut pas pour autant absolution. Quelle part de ces fonds reviendra aux entreprises françaises ? Quelle part ira à l’emploi de la jeunesse désœuvrée ?

Le troisième domaine a trait à la sécurisation de l’aide. On constate ici la tendance à accorder de plus en plus de moyens à la lutte contre les « nouvelles menaces », au premier rang desquelles le terrorisme ou ce que l’on rattache à ce terme. Ce choix se situe dans le droit fil de la diplomatie militaire à l’honneur sous le quinquennat précédent et mise en œuvre alors en Côte d’Ivoire et en Libye –l’intervention actuelle au Mali confirmant à sa façon cette orientation. L’APD est ainsi de plus en plus présente dans les actions d’appui à la réforme des systèmes de sécurité, destination au demeurant difficile à observer car les crédits en question n’apparaissent pas clairement dans la ventilation sectorielle de l’aide ; il faut les débusquer dans la rubrique gouvernance et promotion de l’Etat de droit. Le risque ici est que cette coopération de sécurité et de défense confisque des moyens initialement destinés à des projets de développement, conduisant à un déséquilibre en faveur de solutions purement sécuritaires… sans gage de succès final en matière de préservation de la paix.

Le temps d’une aide claire, intelligente et généreuse est arrivé, une aide renouvelée dont les réalisations pourraient permettre d’éviter bien des dérives extrémistes. Certes, les pesanteurs pour une modification radicale sont fortes, d’autant plus qu’elles font consensus. Mais qu’on s’en persuade : « le développement, c’est long, c’est compliqué et c’est urgent » (Alain Faujas).

Philippe Marchesin, maître de conférences à l’université de Paris 1

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