Au-delà des mauvaises pensées que l’on peut prêter au gouvernement, l’ordonnance du 25 mars 2020 (sur la prolongation des délais judiciaires au nom de l’état d’urgence sanitaire) et sa circulaire d’application sont la conséquence inéluctable de la désertion des juges.
Les tribunaux sont fermés et vides, les audiences annulées, les débats supprimés : la justice arrêtée, il n’existe plus aucune régulation judiciaire des conflits.
Des prévenus présumés innocents voient la durée de leur détention provisoire augmenter sans même comparaître devant un juge au mépris des droits et libertés les plus fondamentaux.
Aucun juge pour intervenir dans les innombrables conflits de voisinage et familiaux exacerbés par le confinement.
Les employeurs disposent désormais d’un droit régalien de vie et de mort sur les contrats de travail car aucune juridiction ne peut être saisie des conflits salariaux.
La justice a disparu car il n’y a plus de juges pour la rendre.
Tous les jours et la peur au ventre des vendeuses, des éboueurs, des ouvriers partent au travail. On leur explique, bien qu’ils soient en contact avec des clients ou des collègues, qu’ils ne risquent rien en respectant quelques gestes barrières, en maintenant une distanciation sociale au nom prédestiné et en se badigeonnant de gels hydroalcooliques.
Qui oserait soutenir que les magistrats prennent plus de risques ?
Certes, les magistrats ne nous ont jamais habitué à un courage excessif dans les périodes noires.
Aujourd’hui dans une société qui vacille sous la peur et rêve de dictature, ils devraient rendre la justice c’est-à-dire être le dernier rempart institutionnel des libertés publiques et privées contre l’arbitraire.
Ils devraient intervenir dans l’urgence pour sauver des familles que le confinement déchire, protéger des enfants battus.
Au lieu de quoi ils se terrent !
Le plus étonnant est que cette disparition de la justice n’a pas encore provoqué de guerre civile ou de retour à la loi du Talion.
Bizarrement, mais au prix d’une éclatante victoire des plus forts sur les plus faibles, la société confinée s’accommode de la disparition de la justice.
Les magistrats auraient-ils raison et la justice ne ferait-elle pas partie des activités dont la poursuite est essentielle à la nation ?
De renoncement en renoncement les magistrats sont devenus de moins en moins indispensables au point qu’il ne se rendent pas compte qu’à terme, eux aussi, seront remplacés
Les plus pauvres n’attendent plus d’eux qu’ils les rétablissent dans leurs droits.
Les plus riches ont depuis longtemps trouvé d’autres modes de résolution de leurs conflits.
On s’en doutait, il a fallu le coronavirus pour le démontrer.
Dominique TRICAUD
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
Matteo BONAGLIA et Anis HARABI
Avocats au Barreau de Paris