Alors que la conférence mondiale sur le sida, qui a lieu à Melbourne du 20 au 25 juillet, est l'occasion pour la France de réitérer son engagement en faveur d'une meilleure prise en compte des groupes de population les plus exposés et les plus discriminés, le militant François Berdougo constate que « les gays, les lesbiennes et les trans attendent toujours de trouver des réponses à leurs besoins de santé, notamment sexuelle et mentale ».
Tous les deux ans, en plein été, la Conférence mondiale sur le sida est une opportunité pour mobiliser l’attention des responsables politiques et des médias sur la situation de l’épidémie et les mesures à prendre pour lutter efficacement contre la maladie et ses effets sur les individus et les sociétés. L’édition 2014, qui se déroule à Melbourne (Australie), se trouve sous le feu de l’actualité depuis l’attaque qu’a subi l’avion du vol MH-17 au-dessus du territoire ukrainien, qui a vu périr plusieurs acteurs de premier plan de la lutte contre le sida. La conférence mondiale est aussi l’occasion, pour les membres de cette vaste communauté transationale du sida (institutions dédiées, chercheurs et soignants, associations de personnes touchées, acteurs de la société civile…), de recueillir les témoignages d’engagement d’un certain nombre de pays, à travers les déclarations de leurs dirigeants. Cet engagement peut tout à la fois porter sur la contribution de ces pays à la « lutte mondiale », à travers leurs financements de l’aide au développement par exemple, ou sur l’action que les gouvernements entendent mener dans leur propre pays. Pour les acteurs de chacun de ces pays, ces déclarations constituent donc un moment attendu, sorte de baromètre de la volonté politique affichée par leurs gouvernants de venir à bout de l’épidémie.
La France ne fait en général pas l’économie d’une telle déclaration d’engagement. Longtemps leader, parmi les pays riches, du plaidoyer pour l’accès universel aux traitements, ses prises de position furent longtemps très attendues de l’ensemble de la communauté. Au point que l’importance politique donnée à cette question par nos gouvernants a valu plusieurs interventions (enregistrées en vidéo) du président de la République française dans l’une des sessions plénières de la conférence. Il est à parier que la conférence de Melbourne ne fera pas exception. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer quels seront les éléments de ce discours : un engagement fort dans la recherche, à la fois vaccinale et pour l’éradication du virus (le concept de « cure »), un soutien financier renouvelé au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, l’affirmation, enfin, de la place primordiale des droits humains dans la lutte contre le sida, notamment à travers la situation des groupes de population les plus exposés, qui sont aussi, souvent, les plus stigmatisés et discriminés : usager-e-s de drogues, travailleurs/ses du sexe, personnes incarcérées, étrangers (notamment en situation irrégulière), hommes homosexuels et personnes trans notamment.
Ces groupes, qualifiés de « populations clef » parce qu’elles portent le fardeau du VIH de façon disproportionnée, ont longtemps été négligés par les politiques de nombre de pays. Ils incarnent, bien souvent, « l’épidémie cachée », cachée en raison de la marginalisation sociale que les personnes subissent. Du fait de la stigmatisation et/ou de discriminations légales, ces populations se trouvent dans des situations d’absence d’accès aux services de prévention, de dépistage et de soins, et dans un éloignement des dispositifs qui pourraient leur permettre d’y accéder. C’est pourquoi la priorité est désormais mise au développement de programmes ou de dispositifs ciblés, auquel s’emploient nombre d’acteurs. En prenant ainsi position, la France soutiendra donc une revendication majeure de la communauté sida de lutter contre leur marginalisation et pour une meilleure prise en compte de leurs besoins spécifiques dans les politiques et les programmes. D’ailleurs, elle contribue déjà directement, à travers ses financements bilatéraux ou sa contribution au Fonds mondial, au déploiement de ces services de santé. Parmi ceux-ci, des programmes de réduction des risques en direction des usagers de drogues, y compris en milieu carcéral (mesure qui devrait voir le jour en France en 2015), des actions d’accès aux soins pour les travailleuses et les travailleurs du sexe (là où l’on applique une logique prohibitionniste en France) et les étrangers (quand l’actuel gouvernement français expulse plus d’étrangers séropositifs au VIH ou au VHC que ses prédécesseurs) ou la proposition d’une offre de santé sexuelle en direction des minorités sexuelles et d’identité de genre. C’est sur cette dernière question que je voudrais m’arrêter.
Quelle ironie, en effet, de lire ces déclarations quand, dans le même temps, les militants français peinent à trouver un pareil engagement du gouvernement dans leur propre pays ! Les gays continuent pourtant de payer le plus lourd tribut à l’épidémie : avec 2 500 à 3 000 contaminations par an, ils représentent la moitié des nouvelles transmissions du VIH. La dynamique est forte et, surtout, elle ne baisse pas. Le VIH est durablement installé dans les communautés, au point que, en 2011, 17 % des gays interrogés se déclaraient séropositifs contre 13 % en 2004. La situation n’est pas meilleure parmi les personnes trans. Sans compter la progression discontinue d’autres IST, à commencer par la syphilis, mais aussi l’apparition de transmissions du virus de l’hépatite C par voie sexuelle. Face à cela, on ne voit aucune volonté politique se manifester. Combien existent, en France, de centres de santé sexuelle comme ceux que l’on voit se bâtir au Mali ou au Burundi ? Un seul, vraiment, à Paris, et quelques autres programmes ici ou là, qui n’existeraient pas sans l’engagement de quelques militants. Les budgets consacrés à la lutte contre le VIH/sida baissent partout en France, et lorsque l’on interroge le ministère de la Santé sur la part consacrée aux gays et aux trans, il est incapable de répondre. Le Plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST pour les années 2010-2014 comprend pourtant de nombreuses mesures pertinentes. Mais, comme les autres secteurs de l’action de l’Etat, la santé subit des coupes claires, qui empêchent que soient réalisés ses objectifs. Aujourd’hui, personne ne peut dire si les gays et les trans font l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics, malgré cette situation désastreuse.
Alors, quand on apprend que, en 2013, la France voulait prendre prétexte d’un soi-disant manque de volontarisme du Fonds mondial en faveur des groupes discriminés pour mettre en difficulté cette institution, on rit jaune, et l’on se dit que nos dirigeants, parfois, ne manquent pas de toupet. Pendant ce temps, en France, les gays, les lesbiennes et les trans attendent de trouver des réponses à leurs besoins de santé, notamment sexuelle et mentale, qui soient facilement accessibles tout au long de leur vie. Lutte contre les discriminations, le mal-être et le suicide des jeunes, santé des lesbiennes, parcours de transition des personnes trans, formation des professionnels, prise en compte du vieillissement… autant d’enjeux qui conditionnent l’état de santé des personnes et auxquels la société a la responsabilité de trouver des réponses. On se demande donc ce que nos gouvernants attendent pour agir ici, dans leur propre pays, quand ils prétendent donner l’exemple au monde entier. La parole de la France ne sera crédible que si, sur son propre territoire, son gouvernement prend les mesures nécessaires à l’endiguement de l’épidémie de VIH/sida dans les groupes les plus exposés.
François Berdougo, militant de la lutte contre le VIH/sida et de l’accès aux soins pour tous