Billet de blog 22 octobre 2012

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Dépassements d'honoraires: à qui profiterait la baisse?

« Supprimer ou réduire les dépassements [d'honoraires] aura comme principale conséquence d’augmenter les bénéfices des complémentaires « santé » et de leurs actionnaires. Pour les malades, vraisemblablement aucun effet positif. Le patient se verra sans doute contraint d’aller vers le médecin choisi par l’assureur avec lequel il aura passé contrat. » Par Laurent Sedel, chirurgien hospitalier à Paris.

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« Supprimer ou réduire les dépassements [d'honoraires] aura comme principale conséquence d’augmenter les bénéfices des complémentaires « santé » et de leurs actionnaires. Pour les malades, vraisemblablement aucun effet positif. Le patient se verra sans doute contraint d’aller vers le médecin choisi par l’assureur avec lequel il aura passé contrat. » Par Laurent Sedel, chirurgien hospitalier à Paris.


«Les dépassements d’honoraires,  plaie de la sécu»: c’est le titre d’un court article du Monde daté du 12 octobre« Encore un journaliste qui n’a rien compris! » a été ma réaction.

Expliquons un peu: les dépassements d’honoraires ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. Ils le sont, éventuellement, par les mutuelles et complémentaires. La campagne pour les encadrer aura pour seules bénéficiaires ces sociétés financières que sont les mutuelles et assurances complémentaires, qui cherchent avant tout à ne pas payer. C’est la raison pour laquelle elles sont à la manœuvre dans un intense lobbying, apparemment très efficace. Entre les fantasmes des uns, la « bien-pensance » des autres et les appétits financiers bien réels des groupes assurantiels et mutualistes, tentons de clarifier ce débat.

Rappelons que la Sécurité sociale prend en charge 90 % des dépenses de santé de ce pays. Les assurances complémentaires en représentent 10 %, en croissance régulière depuis vingt ans.

Rappelons encore que les tarifs de la Sécurité sociale (dits tarifs opposables) n’ont pas augmenté depuis une vingtaine d’année, à la différence des loyers, de la vie, des primes des footballeurs ou des traders.  

Les  dépassements d’honoraires, maintenant trop fréquents, sont de deux types: ceux pratiqués par les médecins installés en libéral, qui peuvent ainsi rattraper un peu les tarifs «sécurité sociale» sans être obligés de multiplier les actes, autre façon autrement plus dangereuse et coûteuse d’augmenter leurs revenus. Les dépassements que nous pratiquons en secteur privé statutaire à l’hôpital public et surtout en CHU dépendent de notre notoriété acquise en faisant de la recherche, en formant les chirurgiens et en traitant 80 % de nos malades en secteur public, sans honoraires du tout et, bien sûr, sans dépassement.

Certains patients demandent à être soignés en secteur privé, ils acceptent des dépassements importants, plutôt fixés en fonction de la loi du marché international qu’en fonction de la notion de “ tact et mesure ”, notion éminemment  relative. Ils n’ont pas, comme d’autres, accès à nos services par copinage, ni par appartenance à une quelconque nomenklatura. Cette activité peut très bien ne donner lieu à aucun avantage (passe droit, accès plus rapide) et les patients le savent bien.

Et ailleurs? En Allemagne, il n’y a pas de privé à l’hôpital public: le salaire de mon ami chirurgien, chef de service dans un grand hôpital universitaire à Berlin, est de 450 000 euros annuel. Le nôtre atteint 110 000 euros, en additionnant notre salaire de professeur de faculté (dernier échelon) et nos émoluments hospitaliers, qui ne comptent pas dans le calcul de notre retraite.

Supprimer ou réduire ces dépassements aura comme principale conséquence d’augmenter les bénéfices des complémentaires « santé » et de leurs actionnaires. Pour les malades, vraisemblablement aucun effet positif. Le patient se verra sans doute contraint d’aller vers le médecin choisi par l’assureur avec lequel il aura passé contrat.

Pour les médecins, on peut craindre le pire: faire fuir les meilleurs vers d’autres cieux, où la qualité de la médecine française reste bien établie, obliger les hôpitaux publics à rémunérer comme l’Allemagne leurs praticiens, ce qui plomberait encore plus les budgets hospitaliers.

Les solutions, il y en a. Elles sont simples à énoncer, même si nous avons bien conscience qu’elles seront difficiles à mettre en place.

Des actions fortes et claires résoudraient le problème en France:

• Abonder la Sécurité sociale des sommes récupérées par les complémentaires santé. Elles seraient gérées par la Sécu. Comme beaucoup de ces cotisations sont devenues quasi obligatoires, tant de la part du salarié que de la part de l’employeur, cela aurait comme effet d’augmenter les ressources solidaires, sans modifier le montant des prélèvements sociaux. On imagine facilement arriver ainsi à un système dont l'Alsace nous fournit l’exemple: un système étonnament non déficitaire, remboursant mieux ses assujettis sans complémentaire.

• Augmenter de façon significative les tarifs opposables en les modulant. Par exemple, introduire la notion de premier rendez-vous: un pédiatre qui voit pour la première fois un enfant recevra une somme plus importante que lors des consultations de routine ultérieures. Introduire la notion de forfait, comme le demandent certains syndicats. Pour les actes interventionnels, introduire la notion de qualité ou plutôt de service après vente. Toute intervention pratiquée pour la même indication dans l’année qui suit une intervention ne serait plus rémunérée. Des modulations de ce type permettraient de clarifier les situations souvent complexes et entraîneraient un peu de justice dans la rémunération des actes médicaux, tenant compte de leur qualité plus que de leur quantité.

• Ces points établis, on pourrait donner le choix aux praticiens d’être rémunérés de différentes façons:
        - salariat partiel plus une part variable liée à la quantité d’actes
        - rémunération uniquement à l’acte, au tarif opposable
        - autorisation de dépassements d’honoraires sur une proportion limitée des actes et pour des raisons précises : consultations sur rendez-vous par opposition à des consultations sans rendez-vous, exigences particulières du malade, etc. Cela existait par le passé.
        - pas de limitation de ces dépassements qui obéiraient à la loi du marché dans une société de plus en plus mondialisée.

Ces expériences pourraient être menées en parallèle dans différentes régions, et comparées, pour aboutir à des systèmes idéaux qui satisfassent toutes les parties. La notion de bonne médecine au juste coût étant le fil rouge de ces expériences.

• Pour les malades: suppression de toutes les franchises (hospitalières, consultations, médicaments utiles). Introduire un contrôle sur la pertinence des hospitalisations et donner aux caisses de l'assurance maladie la possibilité de supprimer la prise en charge quand le malade ne souhaite pas rentrer chez lui pour convenance personnelle. Laisser la possibilité aux malades de prendre une assurance complémentaire haut de gamme, assurance qui pourrait aussi être gérée par la Sécurité sociale (comme une sorte de classe affaire dans les avions) et donnant accès à des praticiens dans le cadre du secteur privé hospitalier, situation de pratique particulière, ou conforts plus importants. Pour les malades fortunés, en affection de longue durée, leur laisser un reste à charge au prorata du montant du coût des soins et de leurs avoirs.

• Arrêter de rembourser les médicaments de confort, les techniques non validées, l’homéopathie.

• Pour les médecins salariés à l’hôpital ou ailleurs, moduler les salaires en fonction de la pénibilité, de la longueur de la formation et du poids au quotidien de certaines disciplines, et/ou laisser la porte ouverte à un secteur privé encadré, contrôlé pour les plus fortunés de la population.

C’est de cette façon que l’on pourra vraiment lutter contre une médecine à deux vitesses que nous sommes nombreux à refuser.

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Laurent Sedel est l'auteur de Il faut sauver les malades (Albin Michel, 2011) et Chirurgien au bord de la crise de nerfs (Albin Michel, 2008).

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