Billet de blog 23 mars 2012

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Eléments de langage pour un massacre

«Incapable de construire un discours autonome sur les “problèmes de sécurité”», la gauche risque d'être prise au piège du «délire sécuritaire» à venir. Gaël Raimbault, membre du conseil scientifique de l'Assaut, association de jeunes proches du Parti socialiste, propose quelques arguments.

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«Incapable de construire un discours autonome sur les “problèmes de sécurité”», la gauche risque d'être prise au piège du «délire sécuritaire» à venir. Gaël Raimbault, membre du conseil scientifique de l'Assaut, association de jeunes proches du Parti socialiste, propose quelques arguments.


Les sept morts de Toulouse ont constitué un traumatisme national. En renonçant à proposer des mesures scandaleuses et à jouer sur la peur de l’électorat, la droite a réussi à respecter un minimum de décence pendant... 48 heures.

Comme en 2002, après la «tuerie de Nanterre», comme en 2007, après les «émeutes de la gare du Nord», la fin de la campagne présidentielle court le risque de n’être faite que de «débats» sur l’insécurité jouant sur les sentiments les plus primaires, xénophobie, peur, amour des têtes blondes. Comme d’habitude, la gauche risque de s’y faire piéger, incapable qu’elle est depuis quinze ans (depuis qu’en 1997, Lionel Jospin a repris à son compte l’ineptie de la droite: «la sécurité, première des libertés») de construire un discours autonome sur les «problèmes de sécurité» qui évite les pièges tendus par la droite. C’est profondément regrettable, alors que la campagne commençait à aborder frontalement des problématiques économiques et sociales bien plus fondamentales, de passer derrière le rideau de fumée de l’insécurité pour s’attaquer aux problèmes structurels.

Alors, que peut dire la gauche ?

D’abord, que cet épisode, s’il est terrible pour les victimes et les familles, est un épiphénomène, qui ne dit rien sur l’état de la société. La mortalité par homicide est en recul net et constant depuis plusieurs dizaines d’années. Elle est relativement faible en France par rapport à beaucoup de nos partenaires. Le «djihadisme» est un phénomène en régression, qui recule au fur et à mesure que s’éloigne la mémoire du 11-Septembre et du symbole qu’a pu représenter Ben Laden.

Elle doit aussi dire et marteler que les actes de Mohamed Merah sont ceux d’un homme isolé. Les sociologues ont bien décrit les profils des «djihadistes», qui ont beaucoup en commun avec d’autres extrémistes violents comme Anders Breivik. Ils ne sont pas «fous» au sens pathologique, mais sont clairement des déviants sociologiquement. La somme d’isolement, de fascination pour la violence et de capacité de mobilisation personnelle nécessaire à de tels passages à l’acte est très rarement atteinte. Elle ne doit rien à la religion musulmane ou à une quelconque idéologie; celle-ci joue comme point d’accroche et de focalisation d’une trajectoire qui s’est largement construite à côté. Certes, en partie dans le déracinement et l’identité partagée. Mais il est probable que Merah, comme Breivik, aient saisi le premier point de fixation à leur haine qu’offrait leur environnement.

Ensuite, qu’il est inutile que la politique offre des points de fixation à la haine : Mohamed Merah a invoqué, à l’appui de son geste, l’intervention en Afghanistan, la politique israélienne de la France, la loi contre l’interdiction de la dissimulation du visage en public. L’injustice de ces décisions ne justifie évidemment en rien de tirer sur des enfants, quoi qu’on puisse penser de la violence comme arme politique. Mais force est de constater que le pouvoir politique, depuis longtemps maintenant, joue volontairement contre une partie de sa population et de ce qu’elle peut penser de ses actions. La France est mal sortie de la colonisation, elle a du mal à considérer que la conscience politique d’une partie de sa population, certes ultra dominée, intègre une certaine solidarité avec l’autre rive de la Méditerranée, et n’a pas envie de voir ses pratiques anthropologiques, fussent-elles motivées par la religion, montées en épingle à des fins électoralistes. Encore une fois cela ne justifie aucun meurtre. Mais réfléchir à des manières d’éviter la montée en pression de certains individus semble indispensable.

Enfin, qu’il ne faut pas plus de sécurité. Aucun Etat ne sera jamais capable de garantir que des épisodes violents ne surviendront jamais. Mettre un policier derrière chaque citoyen est un processus sans fin, puisqu’après avoir fliqué les citoyens, il faudra fliquer les flics. On ne construit pas une société totalitaire, où lire certains textes peut être pénalement sanctionné, pour lutter contre l’aberration statistique; la gauche doit le marteler. Dans le cas de Mohamed Merah, une politique moins sécuritaire, qui ne l’aurait pas poussé progressivement vers la prison, puis interdit l’accès à l’armée du fait de son «casier», aurait peut-être pu lui éviter cette trajectoire ultimement déviante. Ceci n’est qu’une hypothèse, mais elle peut être heuristique, tant une politique d’exclusion de certains de nos concitoyens ne peut logiquement aboutir qu’à des situations de rupture extrême.

Alors oui, les facteurs sociologiques, la misère, l’isolement social et la marginalisation par la domination restent premiers. Alors oui, il faut continuer à être généreux avec nos immigrés et les Français pas très pâles de visage. Il faut que la politique se mêle le moins possible de la manière dont les gens s’habillent et se nourrissent. Il faut continuer à lutter contre la répression à tous crins. Il faut revenir à une diplomatie respectueuse du droit international, qui n’aide pas les Etats en délicatesse avec de multiples résolutions du Conseil de sécurité, et n’attaque pas sans résolution du même Conseil et du jour au lendemain un Etat sur le seul soupçon qu’il abriterait un leader terroriste. La gauche, même très proche du centre, devrait être d’accord avec un tel programme. Elle doit s’y accrocher, et rester ferme contre le délire sécuritaire et raciste qui envahira immanquablement les prochaines semaines.

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