« Refuser le changement, c’est renforcer le fossé qui sépare les grandes écoles des universités et mettre des bâtons dans les roues de notre recherche publique », plaident les socialistes Stéphane Delpeyrat, secrétaire national à la recherche, et Bernard Soulage, secrétaire national à l'enseignement supérieur, favorables à la possibilité d'un enseignement en anglais à l'université.
Adopté jeudi 23 mai, l’article 2 de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche de Geneviève Fioraso, qui permet – enfin – aux universités de dispenser des cours en anglais, fait décidément couler de l’encre. Ses opposants, brandissant la menace de la disparition de la langue française, semblent fermer délibérément les yeux sur la réalité du paysage universitaire.
Pour comprendre cette disposition, il est en effet nécessaire de l’inscrire dans son contexte. Non seulement les dérogations à la fameuse loi Toubon existent déjà, mais en outre l’anglais est, de facto, largement répandu, à la fois dans la recherche dont elle est la langue véhiculaire et dans les grandes écoles où de nombreux cours sont déjà dispensés en anglais. Refuser le changement, c’est renforcer le fossé qui sépare les grandes écoles des universités et mettre des bâtons dans les roues de notre recherche publique.
Dès lors, l’enjeu de ce dispositif n’est rien de moins que la justice sociale et le rayonnement international de la France. Grâce à cette loi, la maîtrise de l’anglais, gage d’insertion professionnelle, ne serait donc plus réservée aux étudiants des grandes écoles que l’on sait issus de milieux plus favorisés que ceux de l’université. En outre, nos universités accueilleront davantage d’étudiants étrangers, renforçant l’attractivité et le prestige de notre système. L’heure est au pragmatisme, et nous ne devons pas avoir peur de nous inscrire dans un contexte international, au risque d’être classés au rang des perdants.
Cela étant dit, les amoureux et défenseurs du français – dont nous faisons partie – peuvent être rassurés : loin de reléguer la langue de Molière aux oubliettes, la possibilité offerte par la loi Fioraso amendée d’enseigner en anglais à l’université reste très encadrée et aura pour conséquence de renforcer la francophonie. Si l’engouement a été fort autour de cette thématique, c’est qu’elle fait ressortir à la fois la peur d’une américanisation forcée et la fierté de l’exception culturelle française. Mais les langues, comme les cultures, s’enrichissent par la confrontation et le métissage plutôt que par une évolution en vase clos. Il convient d’ailleurs de noter que l’anglais, dont nous craignons si fort la prééminence, emprunte lui-même bien des termes à notre propre idiome.
Bien sûr, les conditions de cette mixité des langues doivent être bien délimitées, et c’est justement ce qui est établi par la loi Fioraso. L’idée, qui semble pourtant envahir les esprits, n’est pas de remplacer le français par l’anglais à l’université mais bien d’autoriser certaines formations bien précises à proposer un enseignement en langue étrangère si nécessaire. En effet, ne seront concernés que les cours dispensés dans le cadre d’un programme européen ou d’un accord avec un établissement étranger et les cursus transfrontaliers multilingues. Les amendements adoptés en commission à l’Assemblée Nationale précisent encore que ces formations ne pourront être dispensées que partiellement en langue étrangère et que les étudiants étrangers en bénéficiant seront tenus, en contrepartie, d’apprendre le français. Ces étudiants seront donc le véhicule de la francophonie à l’étranger, francophonie qui s’épanouira non pas grâce à un repli sur soi suranné mais bien par l’ouverture de la France au monde.