Billet de blog 23 octobre 2015

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Suite aux violences qui ont eu lieu de manière concomitantes à Aubervilliers et dans le 19ème arrondissement de Paris, un certain nombre d'enseignants d'Aubervilliers et du 19ème arrondissement affirment leur « refus à rester pétrifié(e)s entre stupeur et sentiment de culpabilité, à attendre le prochain drame, tout en stigmatisant encore un peu plus une jeunesse des quartiers populaires qui serait essentiellement avide d’une violence aveugle ».

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Suite aux violences qui ont eu lieu de manière concomitantes à Aubervilliers et dans le 19ème arrondissement de Paris, un certain nombre d'enseignants d'Aubervilliers et du 19ème arrondissement affirment leur « refus à rester pétrifié(e)s entre stupeur et sentiment de culpabilité, à attendre le prochain drame, tout en stigmatisant encore un peu plus une jeunesse des quartiers populaires qui serait essentiellement avide d’une violence aveugle ».


Dans la nuit du 10 au 11 octobre, un jeune albertivillarien de 16 ans a été assassiné à Pantin. Trois jours plus tôt, le 7 octobre dans l’après-midi, un jeune du 19ème arrondissement de Paris, âgé de 15 ans, avait dû être hospitalisé d’urgence après avoir reçu un coup de couteau dans le thorax, la lame ayant atteint l’un de ses poumons.


Dans ces deux cas, il semble que le contexte de ces drames soit celui de rivalités entre jeunes de différents quartiers ou communes : Aubervilliers et La Courneuve dans le premier cas, les quartiers Riquet (19ème arrondissement) et Pajol (18ème arrondissement) dans le second.


Nous sommes un certain nombre d’enseignant(e)s d’Aubervilliers et du 19ème arrondissement à être directement touché(e)s et interpellé(e)s par l’extraordinaire violence de ces événements, par l’âge des élèves qui en sont les acteurs et/ou les spectateurs, et par l'apparente absurdité de ces luttes entre différents quartiers dans lesquels les jeunes vivent bien souvent les mêmes difficultés.


Face à cette situation qui n'est malheureusement pas nouvelle, nous nous  sentons d’autant plus impuissant(e)s que nous sommes conscient(e)s de nos responsabilités en tant qu’enseignant(e)s et éducateurs/trices. Mais, dans un tel contexte de violence, nous avons le sentiment d’être bien seul(e)s face cette responsabilité.


Par cette tribune, nous exprimons notre refus à rester pétrifié(e)s entre stupeur et sentiment de culpabilité, à attendre le prochain drame, tout en stigmatisant encore un peu plus une jeunesse des quartiers populaires qui serait essentiellement avide d’une violence aveugle.

Comme de récents événements sociaux nous l’ont rappelé, il y a la  violence visible qui fait immédiatement la une des rubriques « faits divers » des journaux, et la violence symbolique, que subissent de plein  fouet les jeunes des quartiers populaires. Celle-ci est bien souvent traitée en terme de dommages collatéraux d’une situation économique mondialisée, et donc sans cibles ni responsables particuliers. C'est pour rappeler qui sont les responsables et les victimes de ces violences que nous nous exprimons aujourd'hui.


Cette violence trouve sa source dans les conditions économiques et sociales où sont acculées cette population. La pauvreté de certaines familles et les conditions de travail de certains parents d’élèves des quartiers populaires se dégradent de jours en jours, à mesure que le gouvernement axe sa politique sur la compétitivité des entreprises (voir dernièrement la loi sur le travail du ministre pas socialiste Macron, qui va avoir comme conséquences de déstructurer et de précariser encore un peu plus ces familles).


Comme le dit Fatima dans le film éponyme sorti récemment, toute une partie de la société peut rester la tête hors de l’eau grâce aux multiples « Fatima » qui assurent ces « services » rémunérés au coup par coup, et qui rentrent chez elles le soir en ayant encore tout à faire.
Un autre exemple de cette hypocrisie de la société est celui des jeunes des familles favorisées qui aiment à s’éclater en consommant force produits illicites vendus par d’autres jeunes qui risquent la prison pour ce commerce. Ce faisant, toute une jeunesse glisse dans la violence du trafic de drogue, produite mécaniquement comme par toute autre activité commerciale concurrentielle, mais encore plus redoutable car
elle est soustraite au minimum de contrôle qu'exerce la loi commune, et exacerbée par la menace policière constante sur ce commerce.


Il faudrait également parler de la relégation des jeunes organisée par le système scolaire lui-même, rendue possible par toute une stratification de lois et de contournements de règles, qui créent, malgré les beaux discours, des écoles ghetto, des collèges ghetto, des lycées ghetto, même en plein cœur de Paris. Une réelle volonté politique pourrait du jour au lendemain, au moins redistribuer les cartes en matière de mixité, mais là encore, nos gouvernants, en grande majorité issus des circuits de reproduction des élites, sont intrinsèquement incapables de prendre les mesures nécessaires.


Et que dire, lorsqu’on parle de violence symbolique, de l’islamophobie qui suinte des discours d’une partie de la population et qui est aujourd’hui le sous-texte de toute une production médiatico-politique, qui va bien au-delà d’un débat légitime sur la laïcité à l’école, et qui n’a cessé de s’amplifier en occident depuis le 11 septembre 2001. Ce discours est encore monté d’un cran suite à ce que les médias ont parfois nommé le 11 septembre français, à savoir les attentats des 7 et 8 janvier derniers. Pourquoi la France s’était-elle montrée à l’époque du 11 septembre si prompte à être solidaire des Etats-Unis, alors qu'elle était si peu à même de faire face à l'histoire particulière qu’elle a en commun avec une partie du monde arabe, notamment le Maghreb. Cette volonté d’amnésie quant à une histoire parfois violente et toujours complexe est également une violence subie par les populations, et les jeunes en particulier, d’origine immigrée, bien  souvent coupés de leurs propre histoire. Résultat malheureux d’une mémoire collective organisée et verrouillée par l’Etat ? La question religieuse revient ici comme un retour du refoulé de la question politique.


Nous ne parlerons pas ici de la violence que la téléréalité, la publicité et la communication généralisée qui remplacent chaque jour un peu plus l’information, exerce sur de jeunes esprits en formation...


Nous ne parlerons pas non plus de la violence policière, plus du tout symbolique, exercée quotidiennement sur nos élèves, leurs frères et sœurs, leurs parents : contrôles au faciès, garde à vues illégales, chasse aux sans-papiers...


A celles et ceux qui ne manqueront pas de taxer notre discours d’angélisme, nous leur rétorquerons que justement, leur capacité à mettre en avant la violence visible des habitant(e)s des quartiers populaires, tout en laissant systématiquement de côté la violence moins visible de la société, est une caractéristique de leur discours, diaboliquement conçu pour que se perpétue la division de la population et la violence qui en résulte.

Si nous reconnaissons que c’est là l’une des caractéristiques majeures du discours réactionnaire, alors il est de notre devoir de dire que si nous voulons que la violence, celle visible, des jeunes des quartiers populaires qui s’entretuent, cesse, alors l’une des conditions est que la violence symbolique qui s’exerce chaque jour sur ces populations soit également révélée et traitée, l’une étant alimentée par l’autre. Si les  acteurs locaux ont tellement l’impression d’être abandonnés par les pouvoirs publics, cela s’explique sans doute en partie par l’impossibilité qu’ont les décideurs de penser le problème en ces termes, voire peut-être de la complaisance des pouvoirs publics face à ces jeunes qui s'entretuent plutôt que d'identifier et de lutter contre un ennemi commun, dont l'Etat sous sa forme actuelle ferait probablement partie. Les solutions qu’ils proposent sont donc vues le plus souvent comme des vœux pieux teintés de bons sentiments, ou bien des injonctions à aller vers une société encore plus sécuritaire qu’elle ne l’est aujourd’hui. Sur la question du sécuritaire, nous ne le répéterons jamais assez : une société qui devrait mettre des policiers à tous les coins de rue pour éviter que sa jeunesse n’en vienne à s’entretuer est une société malade qui se suicide par la prise d'un remède mortel.


Nous n'avons pas totalement perdu foi en la bonne volonté de certains de nos élu(e)s locaux, proches des populations, des acteurs et des associations de terrain, et qui luttent sincèrement pour que ne se produise plus jamais ça, mais qui n'ont pas la puissance politique et économique pour enrayer la violence sociétale qui s'exerce sur la  population de leurs villes, de leurs arrondissements. Nous sommes disponibles pour mener un combat qui ait du sens et qui tende à visibiliser, à déconstruire et à lutter contre la violence symbolique qui s’exerce sur les populations des quartiers populaires.

Des enseignant(e)s d'Aubervilliers et du 19ème arrondissement. 

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