Billet de blog 23 octobre 2016

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Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

« Jeudi 20 octobre, vous êtes venu rencontrer à la résidence Galois de la cité scientifique de Lille les 80 exilés de Calais accueilli par l’Université (...). En tant que co-promoteurs du projet, nous n’avons pas eu le droit de vous approcher », écrit le Collectif Lille 3 Nouvelle Jungle.

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Jeudi 20 octobre, vous êtes venu rencontrer à la résidence Galois de la cité scientifique de Lille les 80 exilés de Calais accueilli par l’Université. Nous sommes conscients que ce dispositif d’accueil et de formation de réfugiés et de demandeurs d’asile qui permettra aux étudiants concernés de bénéficier de cours en français langue étrangère (notamment au DEFI Lille 3) dans un premier temps, puis d’un accompagnement à l’orientation selon les filières suivies dans leur  pays d’origine, n’aurait pu aboutir sans les partenariats institutionnels de nos trois universités lilloises, le CROUS et les services de l’État, et c’est pourquoi les étudiants issus de la Jungle vous ont remercié. Nous aurions voulu le faire nous aussi, en tant que co-promoteurs du projet mais nous n’avons pas eu le droit de vous approcher.

Nous voudrions dès lors vous présenter ici sa « petite » histoire. À la suite du démantèlement de la zone Sud de la Jungle qui ne s’est pas du tout déroulé comme une opération « humanitaire » (euphémisme) un collectif d’enseignants-chercheurs et d’étudiants de Lille 3, appuyé notamment par le vice-président de cette université, a pris contact avec la Jungle. Nous avons eu comme guide Anne Gorouben, artiste peintre, signataire de l’Appel de Calais, qui nous a permis de  rencontrer, par sa connaissance des gens et des lieux, les associations, l’Auberge des migrants notamment, et les réfugiés.

Nous avons ainsi commencé à partager avec eux une vie du camp qui ne se réduit pas à sa misère, à ses insuffisances d’hygiène, de soins médicaux, à ses « trafics », mais qui renverse sa triple connotation d’extraterritorialité politique, d’exception juridique et d’exclusion sociale, dans la construction difficile et pourtant porteuse d’un nouveau sens du commun (création des théâtres, de restaurants conviviaux, d’activités artistiques, d’écoles de langues, de lieux inter religieux) :  des vies de frontières, d’exilés et de volontaires en transformation. 80 réfugiés (nous n’avons pu faire mieux) sont donc maintenant étudiants à l’Université. Ils en sont joyeux. Mais n’oubliez pas, Monsieur le Ministre, que c’est en pleurant et déchirés qu’ils ont quitté « l’enfer » de Calais  et les liens forts qu’ils y ont noué.

Nous allons alors partager avec eux notre travail de recherche critique en sciences humaines (théorie et pratique) pour qu’ils l’enrichissent, en nouveaux citoyens, de leurs singularités irréductibles qui ne veulent pas oublier l’oubli de la Jungle, et ce qu’elle aurait pu – pourrait devenir : cf. la New Jungle-Calais ville d’accueil, et les calaisiens avec, pensée par les économistes – oui, une autre économie est possible –, les politologues, les architectes et les artistes du groupe PEROU.
Mais votre real-politik, monsieur le Ministre, mise sur les échéances du temps bref et s’empresse de détruire, de  démanteler, en dispersant de fait plusieurs milliers de personnes – combien de mineurs ? – sur les routes (CAO ou pas) : et la Calais que vous «  libérez » est une ville barbelée, une ville murée. Vous dites avec fermeté que le démantèlement doit s’opérer une nouvelle fois de manière humanitaire : mais lorsque la police fait pleuvoir les gaz lacrymogènes sur la jungle et ses habitants, est-ce une opération humanitaire ? Lorsque la police confisque les chaussures et les téléphones des migrants, est-ce une opération humanitaire ? Lorsque la police les réveille le matin avec des coups de matraque pour leur distribuer des obligations de quitter le territoire, est-ce une opération humanitaire ? Lorsque la police et la Ville de Paris détruisent les tentes qui sont leur seul rempart contre le froid et la pluie, est-ce une opération humanitaire ? Lorsque la police déchire leurs lettres de rendez-vous à la préfecture ou au CAFDA, est-ce une opération humanitaire ? Lorsque la police arrête violemment les bénévoles venus les soutenir et les garde à vue (l'un d'entre eux est sorti du commissariat avec 3 jours d'Itt à cause des violences subies à l'intérieur dudit commissariat), est-ce une opération humanitaire ? Jeudi matin, à Lille, vous avez invité les habitants de la Jungle à « se mettre à l’abri ». Comment peuvent-ils se mettre à l’abri, lorsque vous démantelez systématiquement tous les abris de fortune qu’ils parviennent tant bien que mal à construire ? Et de quoi exactement devraient-ils se mettre à l'abri ? Des CRS et des bulldozers ?
Ce sont des questions que nous nous posons non pas à la place de nos amis de la résidence Galois, mais devant eux pour que leur inclusion dans la citoyenneté lilloise soit moins « indésirable ». Ils nous ont appris une noblesse et une dignité, une hospitalité dans l’errance et l’exode de tous les pouvoirs (privés et publiques) qui bouleverse notre perception éthique et politique. Que votre rencontre  de jeudi avec eux à Lille puisse vous faire percevoir une autre issue à la « crise des migrants », Monsieur le Ministre, une issue de construction et non de destruction. Alors le mot de « récupération gouvernementale » que beaucoup d’entre nous ont prononcé, écœurés, sera « caduc ». Nous sommes prêts à toute vraie parole avec vous autour de ce défi.
Collectif Lille 3 Nouvelle Jungle.

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