Billet de blog 24 novembre 2009

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La contribution Sarkozy-carbone fracasse le climat

Avec la contribution carbone, le gouvernement et sa majorité prennent la responsabilité historique de fracasser la fiscalité écologique, concept fondateur du développement soutenable. Par Jacques Muller, sénateur Vert du Haut-Rhin.

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Avec la contribution carbone, le gouvernement et sa majorité prennent la responsabilité historique de fracasser la fiscalité écologique, concept fondateur du développement soutenable. Par Jacques Muller, sénateur Vert du Haut-Rhin.

A l'issue de la discussion portant sur les deux articles 5 et 6 fondateurs de ce qui devait être l'innovation majeure de la loi de finances 2010, je ne peux que dénoncer avec mes collègues sénatrices et sénateurs Verts la mise en œuvre d'une « contribution carbone » - c'est ainsi que les sénateurs ont rebaptisé la taxe carbone, dont l'image a été jugée trop négative - qui fracasse littéralement le climat.

L'ardente obligation d'une contribution énergie-carbone

La mise en œuvre d'une vraie « contribution climat-énergie », ou si l'on préfère « contribution énergie-carbone », relevait véritablement d'une « ardente obligation » au sens historique du terme : pour respecter l'engagement n°65 du Grenelle de l'environnement, pour respecter l'article 2 de la loi de Grenelle 1... et pour engager ainsi, via la fiscalité écologique, la reconversion de l'économie et de la société indispensable au sauvetage du climat.

En tant qu'écologiste, je me réjouissais sincèrement de l'introduction dans la loi de ce concept clé, dont la mise en œuvre est rigoureusement indispensable dans nos sociétés de marché : si les normes définissent ce qui est insupportable, au regard des enjeux de santé publique notamment, la fiscalité écologique est le seul moyen de faire intégrer dans les choix quotidiens ou stratégiques des agents économiques les externalités négatives supportées par la collectivité, les dommages causés à l'environnement, et plus particulièrement au climat.

De la contribution-énergie carbone à la contribution Sarkozy-carbone

C'est pourquoi je ne peux que dénoncer le dévoiement de la « contribution énergie-carbone » par une « contribution Sarkozy-carbone » dont le niveau est beaucoup trop faible pour enclencher les changements - la mutation - nécessaires du système productif et des comportements toujours marqués par un prix bas de l'énergie, et notamment du carbone. A 17 euros par tonne, le signal prix n'est plus audible : les experts estiment qu'on ne doit pas descendre en dessous de 35 euros par tonne... La contribution « Sarkozy-carbone » est ainsi vouée à l'échec.

Elles est de surcroît totalement discréditée par la multiplication des exonérations : sous-taxation du transport routier, non-taxation de l'électricité (ce qui constitue une nouvelle prime au nucléaire), des activités agricoles intensives, des compagnies aériennes, et surtout des plus grandes entreprises françaises opérant dans les secteurs de l'énergie, de la sidérurgie et de la pétrochimie. Notamment Total, EDF, GDF-Suez, Arcelor-Mittal qui bénéficieront d'un cadeau de 2 milliards d'euros par an jusqu'en 2013... alors qu'elles sont les plus fortes émettrices de gaz à effet de serre !! Ainsi les entrepreneurs des PME et très petites entreprises paieront cash pour les actionnaires de ces multinationales françaises particulièrement polluantes : chercher l'erreur !

Il en est de même au niveau des ménages... Au nom d'une crispation idéologique d'autant plus ahurissante que nous sommes dans une période de crise sociale sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale, le gouvernement et sa majorité sont restés arc-boutés sur la « compensation forfaitaire », totalement déconnectée du revenu des ménages. Pas question de toucher à la pyramide des revenus, aux inégalités qui n'ont pourtant cessé de se creuser : en témoigne cet entêtement à défendre le pouvoir d'achat... des ménages situés dans la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu, et même ceux bénéficiant du bouclier fiscal !

Prisonniers de l'idéologie néo-libérale

Le gouvernement et sa majorité sont restés prisonniers de la logique néo-libérale qui marque leur gouvernance depuis de trop nombreuses années. Ils se sont piégés eux-mêmes, à deux niveaux.

D'abord au niveau de la fixation du prix du carbone. La ministre Lagarde a tenté de justifier le prix de 17 euros par tonne, au mauvais prétexte qu'il s'agit « d'un prix médian sur le marché des quotas de carbone en Europe ». J'estime que c'est une grave erreur : au regard de l'histoire, comment peut-on prétendre faire confiance aux marchés pour intégrer spontanément les externalités négatives entraînées par les pratiques des entreprises et les comportements des consommateurs ? Fondamentalement, le marché est myope... et plus encore le marché des quotas de carbone en Europe qui ne joue que sur les marges, c'est-à-dire sur les échanges hors quotas attribués jusqu'ici gratuitement aux entreprises plus gros pollueurs.

Même aveuglement concernant « l'acceptabilité sociale » évoquée par le président de la République. Fixer un niveau de contribution énergie-carbone plus élevé, nécessaire à l'obtention d'un signal prix audible, exigeait d'enclencher simultanément une redistribution verticale des revenus entre les ménages, des plus riches vers les autres : c'était le seul moyen pour rendre la contribution énergie-carbone supportable par la majorité de nos concitoyens et surtout les plus modestes. C'est exactement ce qu'on fait certains pays voisins (Danemark et Suède notamment). C'est exactement ce que le gouvernement et sa majorité UMP aux ordres ont refusé, idéologiquement, de faire.

« L'écologie de droite » est ainsi consubstantiellement corsetée, prisonnière de dogme dont la récente crise financière a montré l'incongruité. Elle n'est pas en capacité de comprendre que l'environnement et le social ne sont pas « de domaines parfaitement compartimentés », selon l'expression du ministre Woerth. Elle n'est pas capable de comprendre que, au regard des enjeux environnementaux et notamment climatiques, l'efficacité écologique passe de manière incontournable par la justice sociale.

Malaise dans la majorité

A l'issue des débats sur l'article 5, instituant la contribution « Sarkozy-carbone », à l'heure fatidique du vote, les sénateurs de la majorité n'ont pu cacher leur malaise : une contribution « mal-née » pour les uns, qui « exigera l'ouverture d'un grand débat national pour comprendre à quoi elle sert » (Gérard Longuet, président du groupe UMP) et finalement votée « par solidarité avec le gouvernement » (Jean Arthuis, président de la commission des finances), et « sans enthousiasme » (Philippe Marini, rapporteur général)...

Le pire des scénarios

Au regard des dispositions adoptées, on peut légitimmeent penser que cette contribution « Sarkozy-carbone » sera perçue par nos concitoyens comme une opération visant à « taxer les pauvres pour sauver les riches, sans sauver le climat ».

J'estime que le gouvernement et sa majorité prennent la responsabilité historique de fracasser la contribution énergie-carbone, qui est l'un des concepts fondateurs du développement soutenable... et par ricochet le climat. A la veille du sommet mondial de Copenhague, on ne pouvait imaginer pire scénario !

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