François Braize, inspecteur général des affaires culturelles honoraire, et Jean Petrilli, avocat, se mobilisent pour l'abrogation du Concordat, et du délit de blasphème qu'il abrite toujours, en Alsace-Moselle.
Les assassinats perpétrés en France contre nos amis journalistes à « Charlie hebdo », contre des juifs et des policiers de la République ont provoqué un sursaut national sans précédent et tous (ou presque) ont dit « Je suis Charlie ». Même très loin au delà de nos frontières.
Ils sont morts, ainsi que ceux qui les défendaient, parce qu’ils revendiquaient le droit de blasphémer et parce que leurs assassins voulaient tuer la liberté d’expression, en prétendant la soumettre parce que non conforme aux préceptes religieux dans l’esprit de certains musulmans. Qui aurait pu croire, en ce début de XXIe siècle, voir en plein Paris une barbarie pareille deux cent cinquante ans après le martyre du Chevalier de la Barre torturé, décapité puis brulé, dernière victime du « délit de blasphème »?
La règle religieuse musulmane, au demeurant discutable et discutée par une partie des musulmans eux-mêmes, serait supérieure aux lois de la République... On croit à un cauchemar. Même certains gamins de nos écoles ont soutenu cette ineptie, pas forcément d’ailleurs en Seine-Saint-Denis, à l’occasion de la minute de silence dans les écoles ou se sont cachés derrière un lamentable « Ils l’ont bien cherché ! ». D’autres ont « tweeté » : « Je suis Coulibaly » !
Il est donc urgent de remettre, pour tous et pour chacun, les préceptes, canons, voire oukases des religions et leur expression à leur place. Qui n’a pas compris cela n’a rien compris. La place des religions dans un Etat républicain et laïque comme la France ce doit être celle, individuelle, de la liberté de conscience et celle, collective, de son expression dans les lieux des cultes.
C’est pour cela, dans un premier temps, que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a abrogé le délit de blasphème. Et point d’orgue c’est, aussi, dans ce but que la loi de séparation des églises et de l’Etat a été adoptée le 9 décembre 1905.
Mais, citoyens de France et citoyens du monde indignés par ce qui s’est passé et attachés à notre conception de la liberté et de la République, une partie de la France échappe à ce régime par une disgrâce de l’Histoire. C’est l’Alsace-Moselle qui est demeurée dans un régime, dit du Concordat, qui ne sépare pas les églises et l’Etat et qui maintient, par son code pénal local, le délit de blasphème, aussi incroyable que cela paraisse !
Pour Charlie ! Ce vestige moyenâgeux doit disparaître et être abrogé. Savez-vous que « Charlie Hebdo » a été l’objet d’une procédure pour blasphème devant le tribunal de grande instance de Strasbourg en 2014 ? Cette abrogation, c’est le sens de la pétition que nous avons lancée sur Change.org dès le 10 janvier dernier.
Rejoignez-nous, signez là ! Nous devrions être des centaines de milliers, des millions même à revendiquer le même régime républicain et laïque sur tout le territoire national (1). Merci au site Mediapart de s’en faire l’écho par la tribune qu’il nous donne ici. D’ailleurs, les cultes d’Alsace-Moselle ont bien senti le caractère surréaliste du vestige archéologique qu’est le Concordat en Alsace-Moselle puisqu’ils viennent d’admettre, devant l’Observatoire de la laïcité, qu’il fallait y abroger le délit de blasphème. Même si le culte musulman est depuis revenu en arrière en demandant, par la voie du président du conseil régional du culte musulman, le maintien du délit de blasphème et son extension à tout le territoire national !
Le régime concordataire n’est pas le nôtre. Un tel régime n’est pas la République laïque que nos pères, les Combes, Briand et Clémenceau, sans même parler de Jaurès, ont construit, contre les souhaits de la religion catholique, hégémonique à l’époque, et qu’ils nous ont laissée dans un héritage qui doit valoir aujourd’hui pour toutes les confessions.
Qu’en avons-nous fait par notre faiblesse insigne par rapport à des religions de plus en plus conquérantes dans leur prétention prosélyte ? Qu’en ont fait nos élus, dits républicains, en faisant de la loi de 1905, par lâcheté, conviction ou opportunisme électoral, une loi peau de chagrin ? On voit où cela nous a mené. Les religions ne comprennent que les bornes qu’on leur fixe et leurs fidèles, notamment les plus radicaux, également. La loi de la République doit être réaffirmée, elle s’impose à tous et en particulier aux religions et à leurs ouailles.
Donc, réaffirmons la nécessaire séparation des églises et de l’Etat, de toutes les églises ! Et faisons le sur tout le territoire national, en Alsace Moselle notamment. Le délit de blasphème, que revendiquent tous les tueurs de « Charlie » du monde et leurs alliés objectifs, tombera avec. Ne rien faire c’est prendre le risque de voir des associations, affirmant défendre leur foi, engager des procès en blasphème depuis ces territoires… et la presse devoir choisir de ne plus s’y faire distribuer pour ne pas courir ce risque. Dans quel monde sommes-nous ?
Plus largement, il faut expliquer sans relâche, puisque cela n’est pas compris, ou admis, sur le plan de la philosophique politique, en quoi et pourquoi notre conception républicaine de la liberté et de l’école n’est pas la conception anglo-saxonne vers laquelle beaucoup voudraient nous attraire, même sans le vouloir, ni parfois le savoir, simplement parce que jugée plus propice au succès de leurs convictions religieuses ou communautaristes.
En effet, derrière l’union, derrière tous les « Je suis Charlie ! », certaines positions exprimées se rattachent à une philosophie de la liberté à l’américaine, ou anglo-saxonne. Une liberté quasi absolue qui ne contraint que peu, ou pas du tout, l’individu avec ses croyances, notamment religieuses. Une conception qui se construit sur ses communautés, culturelles ou religieuses, qui assurent le principal des « solidarités » dans une société où l’Etat intervient peu. Dans ce schéma, individus et communautés coexistent sans être appelés à une quelconque intégration et l’individu par définition passe avant le citoyen. Ceci n’est pas notre histoire depuis deux siècles.
A l’opposé, la conception républicaine française se construit sur le « citoyen » qui est un individu intégré dans le système de valeurs, de droits et de devoirs qu’a choisi la collectivité nationale, notamment les droits à l’instruction et aux solidarités. Ce « citoyen » n’est pas une simple unité juxtaposée à d’autres, ou incluse dans une communauté, elle-même juxtaposée à d’autres. Notre conception républicaine construit des solidarités assurées par des services publics et induit, pour l’individu citoyen, des libertés qui s’arrêtent à celles d’autrui mais, aussi, à l’intérêt général défini par la loi. Dans cette conception, les particularismes de l’individu et sa liberté de les exprimer ne sont pas sans borne, en particulier dans le « saint des saints» de notre République, l’école, sa « fabrique » des citoyens. C’est ce modèle républicain qu’il faut promouvoir et défendre, car il est attaqué.
A cet égard, puisqu’il y a grand danger, il importe de rappeler l’essence de la République. La République laïque intègre les femmes et les hommes (et dans l’égalité entre les genres) par la citoyenneté, par delà leurs particularismes et leurs croyances, pour créer le « vivre ensemble ». Elle garantit aux citoyens, outre la liberté de conscience de l’individu, l’égalité des droits civils et politiques dans l’espace public. Et la citoyenneté, cela se construit dès l’école qui est la « fabrique » des citoyens. L’enfant, en tant qu’individu, en y entrant s'efface derrière cet objectif supérieur et se trouve « extrait » en quelque sorte de son milieu pour construire sa conscience de citoyen et le préparer à la vie, pour l’élever, au sens propre, au dessus de sa condition d’origine.
L’école n’est donc pas là pour conforter, ni même simplement être le miroir des individus et de leurs déterminismes socio-culturels, religieux ou communautaires. L’école n’est pas là non plus, contrairement à ce que l’approche consumériste instille tous les jours dans les esprits, pour préparer seulement à un destin professionnel, à un métier et elle doit être aussi préservée des intérêts purement marchands.
Ce sont des principes pour lesquels aucune faiblesse n’est possible, sauf à dénaturer l’essentiel de l’école et de la République. C’est notre pacte républicain qui est en jeu.
Ce sont ces principes qu’il faut rappeler sans relâche, ce sont ces principes qu’il faut appliquer sur tout le territoire national, et y compris en Alsace-Moselle !
Ceci implique d’une part l’abrogation des dispositions du Concordat, qui dérogent à la loi de séparation des églises et de l’Etat en prévoyant en Alsace-Moselle, notamment, sur fonds publics, la rétribution des ministres des cultes, le financement des confessions et un enseignement religieux à l’école publique. Ceci implique d’autre part de supprimer le délit de blasphème contraire à la liberté de la presse et à celle de la création. Ne vous y trompez pas, le délit de blasphème n’est qu’un sous-produit du maintien du Concordat et sans ce dernier le premier n’aurait pas survécu.
Aucun précepte religieux ne doit permettre d’attenter ou de réduire ces règles fondamentales de la démocratie. Elles leur sont supérieures, lient tous les citoyens et la République alors que le précepte d’une confession n’engage que le fidèle de celle-ci. Ni les autres, ni les citoyens.
Nous ne voulons pas nous voir ramenés à la situation des pays anglo-saxons qui, ayant laissé les communautés dicter leurs règles et s’emparer des esprits, doivent aujourd’hui « flouter » les images et les idées qui ne conviennent pas aux autorités religieuses et à leurs fidèles.
Un seul mot d’ordre, en conséquence : séparation des églises et de l’Etat sur tout le territoire de la République !
(1) Ce qui conduira à s’interroger aussi sur le régime de notre outremer, qu’il s’agisse de la Guyane, de la Calédonie, de la Polynésie et de Wallis et Futuna, territoires dans lesquels la loi de 1905 ne s’applique pas.