Billet de blog 25 mars 2016

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Cabinets d’expertise: poursuivons le débat !

Dans un article récent, Mediapart évoquait la situation des métiers de l’expertise auprès des comités d’entreprise (CE) et des comités hygiène santé et conditions de travail (CHSCT). Les salariés CGT des cabinets d’expertise tiennent à apporter leur contribution au débat, en le replaçant dans le contexte plus large des remises en cause successives des prérogatives économiques des représentants du personnel. Ils regrettent que ces aspects aient été insuffisamment mis en avant.

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Le droit de se faire assister par un expert (expert-comptable pour les CE ou expert-agréé pour les CHSCT) est une conquête importante du mouvement syndical. Inscrit dans le code du travail, il est indissociable de la longue lutte des salariés pour faire reconnaitre leur droit à une représentation et une expression dans l’entreprise : délégués du personnel (1936), comité d’entreprise (1945), section syndicale d’entreprise (1968), CHSCT (1982). Il est aussi directement lié aux aspirations qui se sont exprimées dans le programme du Conseil National de la Résistance (qui prévoyait « la participation des travailleurs à la direction de l’économie ») et dans la préambule de la Constitution de 1946 (laquelle dispose que « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ») ce dernier étant toujours en vigueur aujourd’hui, même s’il n’est guère respecté.

Au fil des ans, les comités d’entreprise ont obtenu le droit d’être informés et consultés sur la plupart des orientations et projets décidés par les directions d’entreprise : stratégie de l’entreprise, situation financière de l’entreprise, réorganisation, licenciements économiques, rachat ou cession d’entreprise, participation aux bénéficies, etc…

A travers ce droit à l’information-consultation, les élus du comité d’entreprise peuvent faire des recommandations et doivent rendre un avis sur les projets qui leur sont présentés, notamment au regard de leurs conséquences sur l’emploi et les conditions de travail des salariés. 

Dans ce cadre, l’expertise est un outil au service des représentants du personnel, afin :

  • De permettre aux représentants du personnel d’avoir une appréciation indépendante et objective des informations qui sont remises par l’employeur, sur la situation de leur entreprise.
  • D’obtenir des informations/analyses sur des éléments auxquelles ils ne pourraient avoir accès sans l’intervention d’un expert/comptable ou d’un expert agréé CHSCT.
  • De conseiller et aider les représentants du personnel sur les avis qu’ils rendent sur les projets qui leur sont soumis, les alternatives qu’ils peuvent défendre (notamment en cas de plan de licenciement), les accords qu’ils peuvent être amenés à négocier avec l’employeur et plus largement de peser sur les décisions prises dans l’entreprise.
  • D’interroger la validité des motifs économiques de licenciement des projets de restructurations et les moyens dont les entreprises disposent pour améliorer les dispositifs visant à préserver l’emploi.
  • D’interroger la viabilité des projets comme les cessions d’entreprise en mettant en avant le risque pour les salariés.
  • D’analyser les conditions de travail, mettre en avant les risques pouvant peser sur les salariés et leur santé et proposer des aménagements.

Les prérogatives économiques des CE et le recours à l’expertise participent ainsi plus largement d’une remise en cause d’un ordre social où l’entreprise ne serait qu’une structure hiérarchique au service des actionnaires.

L’expertise CE et CHSCT vise à rééquilibrer le rapport de force dans l’entreprise en faveur des salariés et de leurs représentants. Les directions d’entreprise font appel à de multiples conseils (stratégie, organisation, juridiques…) payés par l’entreprise pour mettre en œuvre des projets dans l’intérêt des actionnaires, les représentants du personnel ont leurs experts.

Dans de nombreuses situations, l’expertise peut permettre de révéler la faiblesse de l’argumentation économique de certaines décisions prises par les directions d’entreprise (rôle des enjeux politiques internes à celle-ci, importance de l’idéologie ou de la recherche du prestige personnel dans la prise de décision) mais aussi de déconstruire les mécanismes économiques qui derrière une rationalité économique prétendument objective ne visent parfois que la recherche de la maximisation du profit, au détriment des créateurs de richesse que sont les salariés et sans considération d’une quelconque utilité sociale. 

Elle révèle aussi les mécanismes utilisés par les directions d’entreprise pour limiter le partage des richesses (participations aux bénéfices) ou leur juste contribution à la collectivité (optimisation fiscale, prix de transfert). Elle permet de démontrer la violence morale induite par les modes d’organisation ou de management mis en place par les directions.

Un droit à l’expertise attaqué

Depuis plus d’une décennie, les moyens dont disposent les représentants du personnel pour exercer leurs prérogatives font l’objet d’attaques continues du patronat dont les gouvernements successifs se sont fait les relais avec plus ou moins de zèle. La Loi El Khomri en est la dernière et sans doute la plus édifiante manifestation. L’expertise n’y déroge pas.

La loi de Sécurisation de l’emploi de 2013 puis la Loi "Rebsamen" sur le dialogue social de 2015, que la CGT a combattu, ont profondément modifié le cadre des missions d’expertise CE et CHSCT : en imposant des délais préfix aux informations/consultations des CE et CHSCT (ce qui réduit considérablement leurs marges de manœuvre), en instaurant la mise à contribution du budget de fonctionnement du CE à hauteur de 20% pour la mission portant sur les orientations stratégiques (en cas de généralisation… comment les CE les moins dotés financièrement pourront faire appel à un expert ?)…

Fin 2015, une décision du conseil constitutionnel (saisi par le patronat) a fragilisé le financement par l’employeur des missions d’expertise CHSCT… y compris en cas de risque grave pour la santé des salariés !

Le projet de loi El Khomri, en s’attaquant au périmètre d’analyse et à la définition motif économique de licenciement, conduirait une fois de plus à fragiliser un des leviers utilisés par les représentants du personnel et leurs experts pour la défense des salariés.

Il ne faut enfin pas oublier qu’une campagne est menée depuis plusieurs années par le patronat sur le secret des affaires, qui remettrait en cause le rôle de l’expert CE et à travers lui les prérogatives économiques du CE. Par ailleurs, dans le contexte actuel d'intensification et de dégradation du travail le Medef combat avec une vigueur redoublée (depuis l'arrêt SNECMA de 2008), le droit à l'expertise CHSCT.

Au contraire, les droits des CE et CHSCT devraient être étendus : par exemple, comme le propose la CGT, les représentants du personnel devraient avoir un droit de véto sur certains projets (notamment en matière de licenciements collectifs).

Les salariés des cabinets d’expertise CE et CHSCT : des hommes et des femmes de conviction passionnés par leur métier

La plupart des femmes et des hommes qui ont choisi de faire ce métier le font par conviction et sont animés par le souci constant d’être utiles aux salariés pour lesquels ils travaillent, souvent au prix de longues journées de travail, empiétant régulièrement sur leurs soirs et leurs weekends.

Si, comme à l’image du salariat dans son ensemble, les profils ce sont technicisés et le militantisme s’est réduit, celui-ci reste un trait dominant dans nos professions, comme en témoignent les taux de syndicalisation nettement plus élevés que dans la plupart des autres entreprises privées. Si l'embauche des consultants CE et CHSCT se fait de moins en moins sur une base militante, les expériences vécues dans le cadre de notre métier et la forte présence des organisations syndicales dans les cabinets d'expertise se traduisent souvent par une prise de conscience de salariés qui étaient au départ éloigné du syndicalisme. Beaucoup s’engagent à leur tour.

Dans les cabinets d’expertise, comme dans les autres entreprises, le débat sur les orientations stratégiques est un enjeu de la réflexion et du combat syndical au même titre que la défense des conditions de travail des salariés. Les points de vue exprimés par les dirigeants des cabinets ne représentent pas les points de vue ou les intérêts des salariés. Eux c’est eux, et nous c’est nous.

Après Macron et Rebsamen, les militants CGT des cabinets d’expertise CE et CHSCT seront mobilisés contre le projet de loi travail « El Khomri ». Aux côtés des salariés, dans la rue comme dans les entreprises.

Les signataires :

Texte collectif des sections et syndicats CGT des principaux cabinets du secteur : Alter, Apex-Isast, Degest, JDS experts, Secafi, Sextant, Sogex Cube, Syndex et Technologia.

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