Alors que les députés s'apprêtent à boucler, mardi 26 mai, la réforme de leur règlement, les deux vice-présidents socialistes de l'Assemblée, Danièle Hoffman-Rispal et Alain Néri, dénoncent l'introduction d'un «crédit-temps» dans l'hémicycle. «La plupart des prises de parole seront dorénavant limitées à 120 secondes», écrivent-ils dans une tribune. Et les élus de la majorité en seront «les premières victimes»...

Vice-présidant l'Assemblée nationale au nom du groupe Socialiste, Radical, Citoyen et divers gauche depuis bientôt un an, nous avons approfondi notre connaissance d'une institution dans laquelle les discussions constructives constituent bel et bien le quotidien, en dépit des appartenances partisanes... et des fantasmes de Jean-François Copé. Nous effectuons au bureau de l'Assemblée nationale un travail sur lequel pas un de nos collègues n'a émis le moindre reproche. Nos présidences de séance ne semblent pas souffrir de davantage de contestation, que ce soit de la part des députés de la majorité ou de celle des ministres.
La presse s'est pourtant fait l'écho de critiques émises par l'Elysée sur la répartition faite entre les six vice-présidents. Selon les « plus hautes autorités de la République », le rejet du projet de loi Création et Internet du 9 avril dernier serait directement lié à la présidence de séance socialiste (1). Ces allégations, qui ne résistent pas à l'épreuve des faits, auraient pu rester lettre morte... mais elles tombent à point nommé pour dissimuler les divergences internes à la majorité. Nous constatons qu'aucune présidence de séance consacrée à l'examen de la réforme du règlement ne nous a été attribuée. Confier aux représentants de l'opposition la responsabilité de la bonne tenue des travaux sur ce texte sensible aurait été interprété comme un geste d'apaisement. Mais la bonne volonté ne figure pas à l'ordre du jour de la majorité.
D'autres mains, moins symboliques, auraient ainsi pu être tendues : création d'un véritable statut de l'opposition, respect du temps de parole des présidents de groupe, publicité des travaux en commission. Las ! Toutes ces dispositions ont été rejetées, uniquement par l'aile dure de l'UMP, et souvent contre l'avis des groupes SRC, GDR (Gauche Démocratique et Républicaine) et Nouveau Centre. Cela éclairera utilement les observateurs sur la sincérité du président Copé qui hurle à qui veut l'entendre qu'il a fait « énormément de concessions ». Il ne reste maintenant plus qu'une possibilité de sauvegarder les capacités des députés de peser sur le débat, via l'examen des articles de la réforme du règlement consacrés au « crédit temps ». Ce crédit temps qui prévoit un seuil d'heures au-delà duquel il ne sera plus possible de débattre nous semble néfaste à la qualité de notre législation. A l'heure où les textes gouvernementaux sont pour la plupart soumis à une procédure d'urgence donnant énormément de poids au Sénat, nous ne comprenons pas que l'on veuille réduire encore davantage l'initiative des représentants de la Nation. Rappelons que les élus issus du suffrage indirect qui discutent actuellement en bonne intelligence et dans la recherche du consensus ne seront pas soumis aux mêmes contraintes. L'équilibre parlementaire constitué autour d'une prédominance de l'Assemblée nationale sur la chambre haute pourrait bien vivre ses derniers instants.
Les mauvais garçons pourraient croire qu'avec de telles revendications nous ne faisons que défendre notre pré-carré, voire préserver nos capacités d' « obstruction ». Ils se trompent. Énormément. Les premières victimes de la réforme du règlement de l'Assemblée nationale pourraient en effet bien être les députés de la majorité eux-mêmes. Nous ne reviendrons pas sur la possibilité d'une alternance en 2012, que l'UMP ne cesse de nier. Un autre risque pour les représentants de la droite réside dans l'existence d'une remise en cause de l'équilibre de la vie parlementaire cher à Maurice Hauriou. Le juriste toulousain craignait ainsi qu'une majorité parlementaire « dissip[e] en un moment toute son énergie et us[e] tout son crédit en un feu de paille législatif » (2). La similitude avec un début de législature marqué par la dilapidation de 15 milliards d'euros dans le paquet fiscal, le démantèlement des 35 heures, la taille dans les effectifs de la fonction publique ou encore la dérèglementation du travail le dimanche comme solution au chômage en deux courtes années saute aux yeux. En multipliant les lois inapplicables et inefficaces, souvent parce que le rythme de parution des décrets d'application ne suit pas la cadence, la droite risque bien l'essoufflement.
On sait que le Président de la République refuse que l'on tire son bilan avant la fin de son mandat. C'est pourtant lui qui nous y pousse en tirant toutes ses cartouches si vite que l'on devine que c'est l'improvisation qui règnera dorénavant. Pourtant, une autre voie est possible. Il suffirait pour cela de laisser se dérouler « les procédures parlementaires, les multiples lectures des propositions de lois, l'obligation du vote identique par les deux Chambres, le jeu des interpellations, les intrigues de couloirs, la lutte de la minorité contre la majorité » (3), bref de réaliser le souhait de M. Karoutchi de pouvoir écouter des Jaurès ou des Blum. Le rejet du projet de loi Création et Internet, le rejet du projet de loi OGM, l'amendement du projet de loi Hôpital, les retards sur le travail le dimanche constituent autant d'éléments qui « auront été stériles au point de vue législatif, mais qui auront permis à l'assemblée de durer jusqu'à l'expiration de son mandat » (4)... si on avait permis leur survie. Le Président de la République, le Président du groupe UMP et le rapporteur de la commission des lois ont fait le choix inverse, préférant accélérer plus que de raison l'ensemble des procédures parlementaires. La plupart des prises de parole dans l'hémicycle seront dorénavant limitées à 120 secondes Peut être le temps passera-t-il plus vite en haut du perchoir lorsque nous présiderons... Mais cela contribuera surtout à accentuer le déclin des députés vis-à-vis de leurs collègues sénateurs, déclin que seul un retour à la proposition de résolution Accoyer dénaturée par le président Copé pourrait enrayer.
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1. En effet, Alain Néri présidait la séance le 9 avril dernier au matin
2. Maurice Hauriou, Principes de droit public, 2e éd., 1916
3. ibid.
4. ibid.