«Il s'agit aujourd'hui de développer une sensibilité à la violence morale, d'apprendre purement et simplement aux femmes à la repérer et à la refuser»: la violence conjugale à caractère psychologique est aujourd'hui un délit, rappellent Eliette Abécassis, écrivain, Isabelle Broué, cinéaste et Yael Mellul, avocate.
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Jeudi 25 novembre 2010 : journée mondiale contre les violences faites aux femmes. Encore cette question: «Que peut-on conseiller à une femme victime de violence conjugale?», et toujours la même réponse: «partir à la première gifle».
La première gifle, c'est déjà trop tard, c'est déjà la fin.
Au début, ce sont seulement les mots.
Les mots qui blessent, qui humilient, qui harcèlent, qui menacent, qui dénigrent. Ces mots qui finissent par annihiler la personnalité de l'Autre, le détruisent.
Sans une préparation psychique destinée à la soumettre, aucune femme n'accepterait cette gifle. Et c'est cette préparation psychique, cette pression psychologique, cette violence des mots créant une situation de domination, qui conduisent de manière irréversible, à la destruction morale d'un être, et à la violence des coups.
Par des micro-violences, mensonges, sarcasmes, mépris, humiliations, puis par du dénigrement, isolement, état de dépendance financière, harcèlement, menaces, la victime est progressivement privée de tout libre arbitre et de regard critique sur la situation. Ce processus d'emprise entraîne chez la victime une abolition totale de ses capacités de jugement, qui la conduisent à accepter l'inacceptable, à tolérer l'intolérable. Et lorsque la soumission par les mots ne suffit plus au manipulateur, une fois que toutes les résistances psychiques de la femme ont cédé, la soumission par les coups intervient: l'agresseur a alors besoin de posséder le corps de l'Autre, posséder son esprit ne lui suffit plus.
Quand le corps est touché, c'est que l'esprit ne répond plus, n'offre plus de résistance, n'a plus de force. Quand la violence physique s'installe, processus irréversible, la femme est davantage emprisonnée, enfermée. Plus la violence physique augmente, moins la victime est à même de partir.
Nicolas Sarkozy, lors de l'ouverture de la table ronde sur les violences conjugales, le 7 mars 2006:
«Les violences conjugales ne doivent en aucun cas être tolérées ou minimisées. Elles sont une forme de barbarie (...) Plutôt que de donner des leçons à tous ceux qui ne respectent pas les droits de l'Homme dans le monde, même s'ils sont nombreux, je propose de faire en sorte qu'en France ces droits de l'Homme, et donc de la Femme, soient pris en compte et soient respectés.»
Nicolas Sarkozy, discours à Périgueux, 12 octobre 2006 :
«La République c'est la compréhension mutuelle, le respect de l'autre et la solidarité pour tous. (...) Je veux répéter qu'aucune coutume, aucune culture d'origine, aucune pratique religieuse ne saurait en France autoriser quiconque à proclamer l'infériorité intrinsèque de la femme. (...) La République ce n'est pas proclamer des principes que l'on n'applique pas, ce n'est pas non plus rendre supportables des inégalités qu'on ne veut pas réduire. (...) Ne plus tolérer l'intolérable. Ne plus accepter l'inacceptable. Voilà la rupture que je vous propose!»
C'était un bel engagement de la part du candidat Sarkozy. Mais la loi nécessaire à la mise en œuvre de ce changement social n'a pas été la priorité du président Sarkozy. C'est donc au bout de quatre ans qu'elle a enfin pris corps, après un combat incessant et une lutte de tous les jours de la part des défenseurs de la cause des femmes. Il est pourtant plus essentiel à la lutte contre les violences faites aux femmes de tenir ce type d'engagements et d'offrir un cadre légal et une formation efficace que de dénoncer un cas de polygamie.
Jeudi 25 novembre 2010: il faut dépasser les promesses et arriver à ce changement qui établira le principe d'égalité entre les femmes et les hommes de notre République, comme un droit imprescriptible de la personne humaine, conformément aux exigences du Conseil de l'Europe.
Les chiffres sont là: on estime qu'une femme meurt tous les 2 jours ½ sous les coups de son compagnon en France en 2010. Quand une femme meurt de la violence de son conjoint, c'est qu'au préalable, elle a été victime de violence physique, qui a nécessité une préparation psychique pour s'installer: la violence psychologique, la racine du mal, la racine de la mort.
C'est la raison pour laquelle il est fondamental de nommer la violence psychologique, de la définir, afin d'aider les victimes à prendre conscience de leurs souffrances.
La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 a intégré dans le Code pénal le délit de violence conjugale à caractère psychologique se caractérisant par «le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. (...) Les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité.»
Il s'agit aujourd'hui de développer une sensibilité à la violence morale, d'apprendre purement et simplement aux femmes à la repérer et à la refuser. Il s'agit également d'encourager les femmes à s'extirper de cette situation, le plus vite possible, avant que la violence physique ne puisse s'installer.
Grâce à cette loi, un nouveau principe normatif a été crée: le respect.
Pour une meilleure compréhension et donc une bonne application de la loi du 9 juillet 2010, les magistrats devront être formés au concept de la violence psychologique. Les législateurs ont choisi de ne pas définir les éléments constitutifs du délit et de laisser le soin au magistrat de le faire. Alors même qu'il appartenait au législateur d'être suffisamment précis et complet pour écarter tout risque d'arbitraire ou toute incertitude quant à l'application du texte de loi, les magistrats vont devoir poser les mots justes correspondant avec exactitude aux violences psychologiques subies par les victimes. Force est de constater qu'un programme de formation des magistrats est indispensable afin de faire l'économie de plusieurs années de jurisprudence.
Une victime de violence conjugale n'est pas une femme battue, mais une femme abattue, une femme à abattre.
Cette loi va permettre à la victime de (re)devenir femme, et libre.