Billet de blog 26 mars 2012

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Tuerie de Toulouse: quand Dominique Reynié manie l'amalgame qu'il dénonce

Baptiste Le Maux et Clément Sénéchal, rédacteurs en chef du site placeaupeuple2012, réagissent aux propos du directeur général de la Fondapol, Dominique Reynié, qui «renvoie tout le monde dos-à-dos», les antisémites et ceux qui critiquent le pouvoir démesuré de la finance.

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Baptiste Le Maux et Clément Sénéchal, rédacteurs en chef du site placeaupeuple2012, réagissent aux propos du directeur général de la Fondapol, Dominique Reynié, qui «renvoie tout le monde dos-à-dos», les antisémites et ceux qui critiquent le pouvoir démesuré de la finance.

Interrogé par l'agence Reuters à la suite des crimes perpétrés à Toulouse, Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, un think tank néo-libéral proche de l'UMP, vous vous êtes fendu de déclarations pour le moins douteuses : «On est dans une pathologie meurtrière liée à des fantasmes sur l'immigration et sur l'antisémitisme, qui sont alimentés un peu par tout le monde (…). Entre les grandes controverses sur le multiculturalisme, les sorties délirantes sur le pouvoir de la finance ou l'ennemi sans visage ou “je suis le bruit, la fureur et le fracas” (discours de Jean-Luc Mélechon au Mans), je renvoie tout le monde dos-à-dos», avez-vous affirmé. Rapprochant étrangement l'argent et la communauté juive, vous, qui êtes aussi professeur à Science-Po, avez en quelque sorte accusé «les sorties délirantes» de Jean-Luc Mélenchon d'avoir contribué à «favoriser un passage à l'acte du tueur». Quel est le rapport entre un crime perpétré à l’encontre d’enfants de confession juive et la critique politique du système financier actuel ?

Dans ce même entretien, avant de vous en prendre au candidat du Front de gauche, vous aviez pourtant prévenu : « La récupération et l'instrumentalisation sont interdites. Celui qui dérogera sera puni, parce qu'on touche à des choses qui sont au-dessus de l'élection, pour les Français.» Eh bien, trouvez-vous châtiment qui vous convienne. Vous êtes le premier puni pour des propos renvoyant «dos-à-dos» sans les nommer Marine Le Pen (Claude Guéant ?) et Jean-Luc Mélenchon (ou François Hollande).

Avant d'en arriver à cette brillante conclusion, vous évoquiez un peu plus tôt dans ce même entretien une campagne «dominée par un ton extrêmement agressif et une rhétorique populiste très présente.» Puis de souligner, doctement, dans une prophétie auto-réalisatrice espérée, que désormais «le ton de la campagne ne pourra pas être le même». Il va selon vous devoir «baisser en intensité» pour laisser place à un discours d'explication «froide et rationnelle».

Dans votre cas, est-ce le politologue ou le penseur néolibéral proche de l'UMP qui s'exprime ? Mais revenons-en à votre accusation. Notons tout d'abord qu'outre le caractère infondé de ce commentaire, il est pour le moins douteux. Quoi de plus caractéristique, en effet, que l'amalgame nauséabond entre le monde de la finance, de l'argent, et la communauté juive ? Peut-être qualifierez-vous cela de « dérapage » – terme désormais consacré pour désigner tout propos haineux à caractère xénophobe ou autre - mais qui de vous ou de Jean-Luc Mélenchon lie le monde de la finance et les Juifs ? Assurément pas le candidat du Front de gauche…. Nous vous mettons au défi ce trouver le moindre propos qui pourrait le laisser penser.

Ce commentaire est ensuite incroyablement réducteur. Si critiquer la finance, revendiquer le partage des richesses, faire cesser le chantage à l'exil des privilégiés, etc, c'est être antisémite, vous voilà, M. Reynié, arrivé au sommet du Mont Godwin. Seul. Le drapeau de l'UMP fermement serré dans une main, flottant péniblement malgré la tempête.

Ainsi, en bon démocrate que vous devez être, vous conviendrez qu'au vu des irresponsabilités bancaires et de la vision court-termiste de nos dirigeants actuels, il soit permis, sans être repeint en antisémite dissimulé, de dénoncer un système à bout de souffle. Un système que vous défendez pourtant bec et ongles avec vos camarades de Fondapol.

Il est enfin incohérent puisque vous dites vous même dans Libération à propos du populisme que lorsque le peuple se réimpose « ça peut donner le pire, comme l'histoire l'a montré, mais aussi le meilleur comme Kant l'a souligné à propos de la Révolution française, en faisant du peuple l'expression concrète de l'humanité bienveillante.»

En lisant ça, on est en droit de s'interroger : Connaissez-vous Jean-Luc Mélenchon ? Avez-vous déjà seulement écouté un de ses discours, au cours desquels il n'a de cesse de faire référence aux Lumières ? Peut-être n'avez-vous pas entendu parler de la reprise de la Bastille ? Auquel cas prêtez-y l'oreille ! Vous n'y entendrez pas de sanguinaires revanchards assoiffés de sang. Mais un rassemblement massif autour d'un programme populaire. Populiste s'il vous plaira.

Et puisque les approximations suggestives ne semblent pas vous effrayer, tombez donc dans le conspirationnisme le plus sombre : corrélez alors la prise de la Bastille avec la tuerie de l'école Ozar Hatorah. Mêlez versets et faits-divers pour faire diversion. Voilà l'abject ligne de conduite que la majorité que vous conseillez à l'occasion semble s'être donnée. En témoignent les propos tenus par Jean-Daniel Lévy aujourd’hui dans Direct Matin, qui analyse l'attitude de Nicolas Sarkozy sur la tuerie de Toulouse : «Il faut qu'il la joue finement, pour ne pas donner l'impression de tirer profit des drames.» Or le chômage, la crise environnementale, le coût de la vie, la répartition des richesses, etc., voilà des problèmes aggravés par cinq ans de sarkozysme qu'un fait-divers ne suffiraient à faire oublier. On comprends bien que pour la droite tout ceci soit une bonne affaire.

Car qui peut penser le contraire quand on voit le tournant pris par la campagne ? Et cette précipitation à formuler des annonces législatives maladroites afin de réimposer l'agenda sécuritaire au détriment de l'agenda économique – comme en 2007 d'ailleurs. Pour conclure, puisque vous semblez considérer qu'il est encore fécond le ventre d'où surgit la bête immonde et que malheureusement décence et retenue ne semblent devoir prévaloir que pour les autres, nous finirons avec une citation d'un homme qui lui avait vu venir le danger : «Le diable a de nombreux filets : des filets à grosses mailles pour les âmes grossières et des filets à mailles serrées pour les âmes subtiles.» (Sebastian  Haffner, L'Histoire d'un Allemand. Après vous avoir écrit cette tribune, nous ne savons pas lesquels de ces filets vous retiendront...

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