Militants, élus, représentants syndicaux CFDT–Médias France Télévisions interpellent François Hollande et lui demandent des comptes : « Monsieur le Président de la République Française, nous voici réunis, autour de ce courrier, pour vous interpeller sur l’audiovisuel public, sa gouvernance et sa régulation qui défraient la chronique depuis plusieurs mois maintenant…»
Les récentes révélations de Médiapart ne font que coucher sur le papier les éléments qui reviennent à nous depuis plusieurs semaines et qui dépeignent au CSA, un fonctionnement digne des meilleures républiques bananières. Tant de dysfonctionnements ne peuvent, selon nous, relever du hasard, pas plus que de la loi des séries ; mais bien d’un manque de compétence, de transparence, d’éthique, de morale, en somme de sérieux et de respect dans la conduite de la chose publique. Les faits que nous soulignons ici relèvent d’une forme de dérive dans la gouvernance et le contrôle de sociétés, dont la mission est de servir le public et dont l’état, seul actionnaire, en est le garant.
En mai 2014, la ministre de la culture de l’époque, nomme directeur de cabinet, le Directeur Général de France Télévisions. Jusque là rien d’extravagant. C’est oublier qu’il évolue alors (et encore aujourd’hui) sous le statut de témoin assisté dans l’affaire Bygmalion/France Télévisions, dossier dans lequel nous sommes partie civile. Si une mise en examen et encore moins, un statut de témoin assisté, ne doivent pas entacher la présomption d’innocence, une telle nomination à la tête du ministère de tutelle, dénote pour le moins un manque de prudence et de sérieux. Comment peut-on exercer sereinement cette fonction, alors-même que, du jour au lendemain une audition chez le juge peut vous replonger dans le passé de l’entreprise que vous êtes chargé de contrôler et que vous dirigiez quelques heures plus tôt ? Les déclarations de la ministre d’alors, témoignaient de son idée très précise sur l’issue de l’enquête en cours. Martin Ajdari n’avait rien à se reprocher dans l’affaire Bygmalion, affirmait-elle en substance. Elle savait alors, ce que le juge lui, ne sait pas encore aujourd’hui. Est-ce bien là le rôle d’une ministre que de se prononcer sur une instruction en cours ? Est-ce bien sérieux, est-ce bien prudent ?
Bien que choquant, ceci n’était que le hors-d’œuvre d’un menu assez indigeste, offrant par la suite, des plats d’une bien plus grande résistance à l’entendement et à la morale.
En mars dernier, profitant d’indiscrétions, Le Canard Enchaîné révèle l’affaire du « bureau » du Président de Radio France. On entre ici dans un train fantôme. La moquette, le palissandre, l’atonie du CSA, les pressions du ministère, l’enquête frileuse de l’IGF, la grève la plus longue de l’histoire de la radio, les antennes en pilote automatique et la sensation pour les auditeurs, les salariés et les contribuables que personne ne tient la barre, mais que beaucoup s’accrochent à la rampe. Personne capable de dire le droit, d’imposer la morale ou au moins la bienséance face aux excuses pathétiques du PDG, aux bilans de ses prédécesseurs, à l’inspection gênée de l’IGF… Le ministère nomme un médiateur au pouvoir limité, le CSA reste atone… Comme d’habitude.
Et puis commencent à sortir les éléments sur l’histoire de la désignation de Mathieu Gallet. La drôle de campagne avant sa candidature. La drôle de journée de visite de l’INA organisée pour le CSA, avec la bénédiction de son président selon un conseiller même du CSA. Le sentiment de certains sages, dans Le Monde, d’avoir été manipulés… Pour couronner le tout, Télérama (23/03/2015) met au jour des liens familiaux entre Olivier Schrameck, lui-même, et le directeur du marketing de Radio France, un transfuge de l’INA, un proche de Mathieu Gallet. Mais cela ne gêne à priori personne. Et depuis on en est là. Le PDG, le médiateur, et les beaux-parents, coexistent sans qu’on sache vraiment qui gouverne, comment, ni pour quoi faire ?
Pendant cette affaire, le CSA en préparait une autre, celle de l’élection du nouveau président de FTV. Ou plutôt l’élection de Delphine Ernotte Cunci ; car les éléments qui filtrent à l’issue de cette séquence, dessinent un simulacre de concours. Un mauvais Vaudeville écrit à la lueur des chandelles, répété en coulisse et qui devait se jouer sans public.
33 candidats déposent un dossier. Certains ont été auparavant plus ou moins encouragés à s’aligner. Le casting doit avoir fière allure. Ils ne savent pas que les dés roulent déjà. Premier aperçu au soir de l’établissement de la short-list. Sept candidats retenus, suppose la presse, qui n’a aucune communication officielle sur la chose. Parmi eux, deux candidates n’ont aucune expérience dans le milieu (N. Collin – La Poste – et D. Ernotte Cunci – Orange), un ne l’a vu que de très loin (C. Beau – Monnaie de Paris). Des choix surprenants mais qui apparaissent aberrants, quand on prend connaissance des recalés du premier rang, parmi lesquels MC Saragosse (Présidente en exercice de France Média Monde), Emmanuel Hoog (AFP), Alexandre Michelin (Paris Première, Canal Plus, France 5) ou encore Didier Quillot (ex- Lagardère Active). Ils ont tous planché et remis des dossiers d’une centaine de pages ou plus, contre par exemple à peine une trentaine pour D. Ernotte Cunci. Ne même pas les auditionner est proprement scandaleux au regard des candidats retenus. Visiblement ils auraient été victimes d’une sorte de vote bloqué, 4 voix s’opposant systématiquement à leur sélection. Cela ressemble à un véto télécommandé. Ils ne le savent pas encore mais ils viennent de se heurter au socle qui portera la nouvelle présidente à la victoire.
La suite vire au drame familial. Le CSA coupé en deux. Rétifs aux injonctions de son cavalier, la moitié des conseillers refuse de se rendre et de livrer les clés de FTV sur commande. Ils résistent toute une journée durant. Pour départager Delphine Ernotte Cunci et Pascal Josèphe l’autre finaliste, une nouvelle audition est improvisée, avant un nouveau vote. On est déjà dans une forme de télé réalité, qu’on nous promet d’ailleurs, dans un futur proche. Paris bruit de coups de fils, de rumeurs, d’interventions, de dîners et de déjeuners. C’est lors d’un de ceux-ci, Monsieur le Président, qu’un de vos proches, un élu, le jour du dernier vote, aurait fait passer l’ordre à Pascal Josèphe de se rallier à Delphine Ernotte. Par la suite on apprendra que votre ancien conseiller audiovisuel aurait aussi fait campagne pour la gagnante, aux côtés de Xavier Couture (ex-TF1 et Canal +, actuellement Orange) qu’on ne savait pas jusque là si attaché aux valeurs de l’audiovisuel public. Selon Le Point, même la CGT aurait eu droit à son rendez-vous particulier en amont avec l’élue… Voici donc le résultat, et peut-être pour lui l’intérêt, de la procédure secrète inventée pour l’occasion par Olivier Schrameck. Secret des candidatures, secret des votes, secret des auditions, et au final, suspicion à tous les étages. Avec comme certitude le slogan de ceux qui savent être nés pour gouverner les nations et les peuples : ça se tassera… Mais visiblement ça ne se tasse pas. Le CSA peut compter sur nous.
Votre prédécesseur, Monsieur le Président, avait forcé l’usage de la démocratie en nommant directement les Présidents des chaînes publiques ; mais au moins, celui de FTV avait-il dû se plier à une audition publique devant le peuple et les élus. Ici rien, à part un communiqué et un PDF au lendemain de l’élection. Le CSA, d’habitude si frileux à sanctionner les chaines fautives, innove pour le processus de désignation de la personne chargée d’engager pour 2,8 milliards d’euros d’argent public chaque année, et affiche, l’écran noir ! On est loin de la transparence que vous nous avez promise. Cette mascarade ne rendra pas non plus grand service à la nouvelle équipe dirigeante.
Olivier Schrameck n’a donc rien appris de son crash électoral de 2002, lorsqu’il dirigeait le cabinet de Lionel Jospin à Matignon. Du Conseil d’État à Matignon, de Matignon au CSA, ou comment passer sa vie hors-sol, sans jamais devoir faire face aux conséquences de ses décisions, de sa gestion. Depuis, la presse n’en finit plus de refaire l’élection, à coup d’indiscrétions et de comparaisons. Celles entre le dossier de D. Quillot et celui de D. Ernotte réalisées par L’Express, et poursuivies par Médiapart, ne manquent pas de sel. De troublantes similitudes apparaissent en effet. Ailleurs on parle d’injonctions téléphoniques pour faire basculer la voix qui manquait. Tout peut être démenti et rien n’est totalement faux puisque tout s’est joué dans l’ombre et dans le dos des Français. Olivier Schrameck ira même jusqu’à menacer ses conseillers de poursuites s’ils révèlent le secret des délibérations, des votes, des auditions. Alors même que ceux-ci envoyaient des sms, téléphonaient le soir etc. C’est pathétique.
Mais que dire de l’attitude de Sylvie Pierre-Brossolette qui reconnait à demi-mot devant le journaliste de Médiapart qu’elle aurait joué les entremetteuses pour Delphine Ernotte Cunci, au moins une fois, mais nous ne sommes peut-être pas encore au bout de nos surprises. Comment dans ce cas valider une procédure dans laquelle ceux qui sont garants de l’impartialité de la procédure, qui engagent par leurs actes, la probité des présidents des deux assemblées et la vôtre, agissent avec autant de désinvolture ? Le microcosme « réseauteur » de l’audiovisuel parisien peut donner l’impression d’être un cocon, mais il n’est pas étanche et de telles imprudences, si elles devaient se révéler exactes, discréditeraient encore un peu plus l’institution. Bien sûr, dans une des démocraties nordiques ou anglo-saxonnes auquel le gouvernement fait souvent référence, ce genre de comportement aurait déjà été vérifié, et en réalité la personne en cause aurait déjà dû en répondre depuis longtemps. Qu’il semble loin le temps où cette éditorialiste écumait les plateaux et donnait dans ses articles le ton sur la contenance que vous, élus, deviez adopter dans l’intérêt du pays.
Il en va de même de la déclaration liminaire, rapportée par Médiapart, qu’Olivier Schrameck aurait faite avant le premier tour, déconseillant de voter pour des candidats déjà en poste, désignant nommément Marie-Christine Saragosse de fait comme non-sélectionnable. Encore une fois, si un tel comportement est avéré, il ne manquera pas de choquer la morale et de démontrer que le costume est bien trop grand pour celui qui l’enfile car, penser que ce genre de propos peu rester dans les secrets des délibérations, relève d’une confondante naïveté. Et donc, osons violer le tabou à propos d’un conseiller d’état, d’une certaine incompétence.
En attendant, au sortir de cette élection, on en sait encore beaucoup moins sur ce qui attend France Télévisions, ses téléspectateurs-contribuables et ses salariés, que lors de la nomination de Rémi Pflimlin en 2010. C’est un comble !
Pour la transparence on repassera. Simplement on apprend dans le dossier de notre nouvelle présidente, qu’elle nous promet l’arrivée de la téléréalité – ouf ! enfin !- et que selon Médiapart elle nourrirait une forme d’aversion pour le journalisme qui dérange (c'est-à-dire en fait, le journalisme). Elle citerait volontiers, toujours selon le site, Cash Investigation comme une émission qui n’a pas sa place sur le service public. Voilà donc qui nous promet des débats d’une grande portée et sans doute pour elle quelques ennuis si, ces propos sont mis en œuvre. Mais voyez-vous, Monsieur le Président, ceci nous n’avons pas pu le vérifier car contrairement à son prédécesseur Delphine Ernotte Cunci, n’a jamais défendu son projet en public. Le CSA a donc réussi à vous faire endosser une procédure de désignation à la présidence de France Télévisions, beaucoup plus opaque que du temps de Nicolas Sarkozy. Un tour de force !
Tant de zones d’ombres, de silhouettes, d’entorses à la morale et aucune réponse ? Aucune investigation pour lever les doutes ? Vous qui avez nommé son président, avec pour mission première, de clarifier la régulation de l’audiovisuel public, pouvez-vous laisser le CSA s’enfoncer dans la glaise des affaires, de la rumeur, de la suspicion sans rien faire ? La très récente vente de la chaine Numéro 23 montre bien que les règles sont faites pour être adaptées aux circonstances et aux personnes. Et que l’alternance ne concerne pas l’audiovisuel. Ici encore, on y trouve des intérêts qui ne sont pas que philosophiques car l’affaire dépasse les 80 millions d’euros.
Dans la poussière de ces tristes affaires on en oublierait presque Agnès Saal et ses taxis! Encore une fois on découvre une manageuse qui prône la rigueur pour tout le monde sauf pour elle et sa famille. Une femme revendiquée de gauche qui recase, « fait le ménage » à l’INA pour placer des collaborateurs proches. Encore quelqu’un qui nie le passé de l’entreprise, comme si rien n’avait existé avant. Elle aurait des amitiés parmi la tendance frondeuse du PS comme le souligne le JDD. Il n’est pas toujours facile de mettre en adéquation les grandes idées et les petites pratiques. Le ministère est intervenu rapidement, poussant Agnès Saal à la démission. Cela commençait à faire beaucoup.
Voilà donc, Monsieur le Président de la République, dans quel état est l’audiovisuel public aujourd’hui. Copinage, opacité, intrigues, groupes de pression. Triste bilan dont vous avez certes hérité en partie mais que votre bras armé s’est montré impuissant à corriger. Cependant nous ne sommes pas naïfs, tout ceci n’est pas sans finalité. Car dans une période économique tendue, les 2,8 M€ de FTV, ne laissent pas indifférents. Et votre ennemie « la finance », n’est peut-être pas loin.
Xavier Couture, le revoilà, plusieurs fois cité comme un proche de Delphine Ernotte Cunci, est le signataire d’un manifeste de l’institut Montaigne. Il a co-rédigé un rapport sur l’avenir de la production audiovisuelle française avec 10 propositions dont la dixième, comme un aboutissement, est de « donner un objectif à France Télévisions de consolidation de l’industrie » audiovisuelle. En somme, aider les gros producteurs à devenir plus gros avec l’argent public, pour produire et vendre à l’étranger des émissions de flux, entre autres de la téléréalité à la française, financée par et testée sur France Télévisions. Quel beau programme de gauche ! Que ce genre de personnage, se retrouve dans l’entourage proche de la nouvelle présidente de France Télévisions, elle-même encensée par le CSA, ne nous paraît ni très moral, ni au service de l’intérêt général. Qu’un aréopage de vos proches, d’ex-conseillers, d’élus de gauche, aient soutenu cette démarche, même de manière indirecte, à travers une candidature, nous semble totalement contre nature.
Eisenhower parlait du danger de voir « le complexe militatro-industriel » prendre la main sur la démocratie. Sans voir à chaque coin de rue le grand complot, avouez Monsieur le Président, qu’il y a ici, dans ces exemples, de quoi nourrir encore la tumeur qui ronge un peu plus chaque scrutin et qui inquiète tant le Premier Ministre.
De Radio France à l’INA, en passant par France Télévisions, nous n’arrivons pas à distinguer où et comment se déploie, la présidence exemplaire que nous avons – soyons francs – très largement appelée de nos vœux, naguère. Vous avez déjà démontré que vous étiez capable de changer de cap, de premier ministre, de méthode. Les salariés de note entreprise, certains dans des situations fragiles, attendaient un débat d’un autre niveau. En fait nous attendions un débat. Tous ces chantres de la révolution numérique sont visiblement plutôt adeptes du copier-coller que du projet participatif et citoyen. On peut pourtant parier qu’encore une fois on voudra nous faire passer pour des ringards, in-réformables face « aux enjeux et aux mutations que connaissent nos métiers actuels ». Quel crédit auront les dirigeants qui viendront nous tenir ces discours après une telle comédie de démocratie ?
Le système de régulation et de contrôle que, dans un souci de respect des principes démocratiques vous avez instauré, est aujourd’hui assez largement discrédité, parce qu’il démontre qu’il est capable de rester sourd, aveugle et insensible à toute forme de sens commun, mais pas de groupes d’intérêts privés. Il n’est jamais trop tard, Monsieur le Président, pour bien faire. Et pour changer. Les 66 millions de français qui paient leur redevance vous en seront reconnaissants. Près de 20 000 salariés de l’audiovisuel public français aussi. Les générations futures, surtout.