Billet de blog 26 octobre 2011

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Compétitivité, innovation: l'autre échec du quinquennat

Malgré une fiscalité généreuse à leur égard, les entreprises françaises sont handicapées par la faiblesse de la recherche et de l'innovation, explique Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques du think tank Terra Nova.

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Malgré une fiscalité généreuse à leur égard, les entreprises françaises sont handicapées par la faiblesse de la recherche et de l'innovation, explique Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques du think tank Terra Nova.

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Depuis le début des années 2000, la France a tenté d'amortir la dégradation tendancielle et continue de sa compétitivité-prix (perte de 10 à 15 points par rapport à l'Allemagne) par trois leviers principaux, dont aucun n'est satisfaisant: un volume toujours plus important d'exonérations de charges sociales (25 milliards d'euros aujourd'hui, 30 milliards si l'on y ajoute les exonérations de cotisations salariales des heures supplémentaires) trop faiblement conditionnées, et de mesures fiscales généreuses en faveur des entreprises ; une incitation permanente à la modération salariale, alors qu'à l'inverse, notre modèle de financement de la protection sociale restait largement inchangé (600 milliards d'euros pesant encore en 2011 à près de 70 % sur des cotisations pesant sur le travail) ; un troisième amortisseur «par défaut»: une baisse continue des marges des entreprises, lesquelles ont diminué de l'ordre de 15 à 20 % depuis le début des années 2000.
Ce modèle n'a pas été remis en cause fondamentalement par le quinquennat qui s'achève. Il montre aujourd'hui toutes ses limites. Il nous faudra réinventer, au cours de la prochaine législature, une autre stratégie de compétitivité.

Du côté de la compétitivité-volume, cette stratégie sera fondée sur une réorientation de nos efforts vers la recherche, l'innovation, la qualité technologique et la valeur ajoutée, selon la voie suivie par les pays d'Europe du Nord, une partie des États-Unis, la Corée du Sud ou le Japon ; et sur une relance de l'investissement privé (impôt sur les sociétés différencié, avec un taux moindre pour les bénéfices réinvestis) et des grands programmes industriels technologiques impulsés par l'Etat en faveur de grandes filières structurantes (santé, environnement, transport, énergie,...).

Du côté de la compétitivité-prix, il faudra mettre en œuvre une réforme du financement de la protection sociale en faveur du facteur travail (transfert vers une contribution écologique et/ou ne nouvelle assiette sur les entreprises ou les revenus des ménages) ; une plus forte conditionnalité des aides aux entreprises et des aides fiscales actuelles, afin de dégager les marges de manœuvre nécessaire pour mieux aider encore nos PME et entreprises intermédiaires à croître et exporter dans les secteurs confrontés à la compétition internationale

La dégradation de notre compétitivité depuis 2007


La crise a révélé une situation compétitive sérieusement dégradée par rapport aux pays d'Europe du Nord, à la fois en termes de coûts et en termes structurels depuis 2007, notamment dans le secteur industriel.
En 2010, plus de 70.000 entreprises ont fermé en France. Dans le secteur industriel, depuis 2007, plus d'un demi-million d'emplois industriels ont été supprimés, selon un récent rapport de la Direction du Trésor (Lilas Demmou, «La désindustrialisation en France», juin 2010, Documents de travail de la DGTPE). Alors même que l'industrie représente 17% du PIB national mais 85% des dépenses de R&D et 80% des exportations de biens et services !
Les « délocalisations » au sens strict vers les pays à plus faibles coûts salariaux n'expliquent, selon cette étude, qu'entre 10 % et 20 % des pertes d'emplois industriels, soit environ 15 000 emplois détruits par an. Les 90.000 autres emplois industriels perdus chaque année tiennent à des causes d'affaiblissement structurelles : montée en puissance des nouveaux pays émergents et des services dans l'économie, mais aussi faiblesse spécifique des nouvelles technologies et des gains de productivité en France.
Certes, la crise financière 2008-2009 est passée par là : la production industrielle a ainsi baissé de près de 20% en 2009 et 2010 ! Mais la tendance est structurelle et n'a pas été interrompue depuis 2007 : l'industrie ne représente plus dans notre pays que 17% du PIB contre 26% pour l'Allemagne et 17% de l'emploi total contre 36% en Allemagne. Quant à nos exportations industrielles, elles ne représentent plus que 27% du PIB contre 53% chez notre voisin outre-Rhin. A l'évidence, le choc de la crise ne saurait occulter la poursuite de la dégradation structurelle de notre compétitivité prix et volume depuis 2007.
Les résultats du commerce extérieur -chaque année un peu plus alarmants- en témoignent: plus de 50 milliards de déficits sont attendus fin 2011 contre un excédent de plus de 150 milliards d'euros chez nos partenaires allemands! Et l'an dernier, pour la première fois depuis 20 ans, l'Hexagone a importé davantage d'automobiles qu'elle n'en a exporté. Les taux d'utilisation des capacités de production sont tellement bas que l'investissement ne repartira pas avant plusieurs trimestres.
En matière de compétitivité prix, l'écart de nos coûts salariaux ave nos voisins allemands, qui étaient de plus de 10 à 15 points il y a 10 ans, est aujourd'hui quasiment nul et nos coûts salariaux sont désormais nettement supérieurs à ceux de l'Italie. L'incidence sur notre commerce extérieur a été brutale. Pour ne citer qu'un exemple, la France, jadis première exportatrice de denrées agricoles en Europe, est tombée depuis 2007 à la troisième place, derrière l'Italie et les Pays-Bas, en raison de coûts de production désavantageux !
Encore faut-il être précis sur les causes de cette dégradation : à partir de 2004 environ, la divergence entre les coûts salariaux de l'Allemagne et de la France s'est accentuée, les gains de productivité n'ayant pas été répercutés dans les salaires en Allemagne, contrairement à ce qui s'est passé en France.
Cette politique de modération salariale a permis aux entreprises allemandes de réduire à néant les écarts de prix avec la France, mais au final, cette stratégie n'est ni coopérative, ni optimale pour les uns et les autres: l'Allemagne a résolu son problème de compétitivité apparu après la réunification, au détriment de sa consommation intérieure et donc des exportations de ses voisins, France en tête.
Notre compétitivité volume s'est également considérablement dégradée, notamment au niveau des PME et de nos Entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le retard français en matière d'investissement, chiffré par les économistes Charles Wyplosz et Jacques Delpla à 400 milliards d'euros, ne s'est pas résorbé depuis 2007. Nos industriels ont continué à investir depuis 2007 plutôt moins dans leur outil de production en France, que leurs pairs européens dans leurs pays respectifs. De même, pour réduire les coûts de production, les groupes français continuent ont préféré délocaliser complètement leur activité plutôt que réorganiser leur chaîne de valeur (1). Cette logique est reflétée par la structure des importations des deux pays : la France importe pour consommer, l'Allemagne pour produire.

Enfin, la France aura maintenu durant tout le quinquennat un niveau de dépenses publiques et de pression fiscale parmi les plus élevés en Europe. Le taux de prélèvements obligatoires, qui mesure la pression fiscale, atteindra un nouveau record à 44,5% du PIB, contre 43,4 % en 2007. En 2012, la France se situera ainsi à la quatrième place au sein des pays de l'UE en matière de prélèvements obligatoires, derrière le Danemark, la Belgique et la Suède, et loin devant l'Allemagne (40 %) ou le Royaume-Uni (38 %).

De même, le niveau de sa dépense publique, qui atteindra 56% de la richesse nationale l'an prochain, place la France au premier rang de l'Union européenne, à quasi parité avec le Danemark (57 %) et loin devant la Suède (51 %) ou l'Allemagne (44 %) !

Au total, l'insuffisance de l'investissement physique, la baisse de l'effort de recherche et développement et le faible renouvellement du tissu des entreprises - ainsi que le maintien d'une pression fiscale et un niveau de dépenses publiques record- expliquent beaucoup plus le déclin de nos positions industrielles que le coût du travail en France (qui reste toutefois un vrai sujet) ou encore la durée du temps de travail, qui est en moyenne très proche de celui de l'Allemagne.

Le bilan très mitigé du quinquennat

Tout n'est bien sûr pas négatif dans l'action entreprise depuis 2007. Certaines réformes ont dessiné des avancées, telles que les nouveaux moyens dédiés à l'innovation et aux pôles de compétitivité, ou encore l'amorce d'une réflexion nationale sur le financement des investissements d'avenir. Mais, à l'échelle du quinquennat, la France a fait trop peu, trop tard pour « rompre » avec les faiblesses structurelles de notre compétitivité.

De nombreuses réformes indispensables ont, dans ce cadre, été laissées au bord de la route : insuffisance du capital-investissement et du capital-risque en France, réorientation de la formation professionnelle, amélioration du dialogue social dans les PME-TPE , fixation d'obligations nouvelles aux banques sur leurs prêts aux PME/TPE; facilitation de l'accès au conseil des dirigeants de PME et aux marchés publics, développement de la portabilité des droits des travailleurs et transférabilité des contrats de travail... la liste des réformes oubliées est longue.

Les entreprises ont globalement été traitées de manière relativement favorables en termes de mesures fiscales et de maintien d'un volume important de baisses de charges. La France consacre désormais plus de 25 milliards par an de baisse de charges pour les entreprises, au prix d'effets d'aubaine bien connus (à titre d'exemple, les entreprises ne savent pas ex ante quel montant ils percevront au titre de l'année qui vient ; elles le découvrent ex post). En outre, le renforcement de la conditionnalité promis à l'égard des critères d'emploi ou de renforcement du dialogue social, n'a pas été respecté. Cette politique de soutien de notre compétitivité au prix d'un coût croissant pour les finances publiques aura globalement montré ses limites face à l'accentuation de la compétition internationale et de la pression des pays émergents, à la fois sur les prix et du point de vue de leur montée en gamme (automobile, télécoms, informatique, défense, aérospatiale,....).

De même, les entreprises sortent largement gagnantes de l'évolution de la fiscalité depuis 3 ans, entre la réforme - non remise en cause - de la taxe professionnelle (6 milliards par an), la suppression de l'imposition forfaitaire annuelle (1,4 milliard), le renforcement du crédit d'impôt recherche (dont le coût doit bondir à 5,3 milliards l'an prochain) ou encore le bénéfice de la TVA restauration (3 milliards). Pourtant, cette politique favorable aux entreprises - et notamment aux plus grandes dans le domaine fiscal - s'est révélée insuffisante, elle aussi pour améliorer notre compétitivité est de relancer notre productivité. Il aurait été plus efficace de faire de l'innovation, de la recherche et de l'équipement technologique dans les PME des priorités absolues.

Malheureusement, la relance de l'investissement technologique n'a été qu'amorcée, malgré la « goutte d'eau » et la mesure conjoncturelle incarnée par le Grand Emprunt. La part de l'investissement en R&D dans le PIB (2.08%) reste bien inférieur à l'objectif de 3% établi par l'Agenda de Lisbonne d'ici 2010.
Plus largement, dans le domaine de l'aide à l'innovation, mise à part la très forte montée en puissance du crédit d'impôt recherche, la mobilisation des instruments mis en place avant 2007 (Pôles de compétitivité, Agence nationale de la recherche, OSEO,...) est restée globalement insuffisante eu égard à la faiblesse des marges et à la faiblesse de l'investissement. La marge brute des entreprises, et notamment des PME, en proportion de leur valeur ajoutée, est tombée légèrement au-dessus de 30%, alors que la moyenne européenne s'établit 8 points en dessus, à 38%. Il n'y a aucun pays en Europe de l'Ouest où les marges des entreprises soient plus faibles qu'en France. Et au sein des aides aux entreprises, le nécessaire rééquilibrage en faveur des PME pourtant les plus touchées par la crise et par le resserrement du crédit bancaire, n'a été qu'amorcé.
Enfin, certaines réformes emblématiques du quinquennat se sont soldées par des résultats peu concluants. La suppression de la taxe professionnelle, avec un allègement d'impôt de 8 milliards d'euros et un gain de trésorerie de 11 milliards d'euros, a certes bénéficié à plein aux grandes entreprises. Mais elle a déstabilisé les ressources des collectivités locales. L'«ISF PME» a certes permis officiellement de drainer officiellement un milliard d'euros par an vers les PME, les assujettis à l'ISF réduisant leur impôt en investissant dans des PME. Toutefois, le dispositif s'est traduit par des effets d'aubaines considérables pour certains particuliers (baisse d'impôt pour des investissements qui auraient été faits de toute façon) ou ont profité à plein à des fonds de placement et à des holdings spécialisées pouvant ainsi accroître leurs marges d'intermédiation. Ce mécanisme a entraîné un rabotage de plus de 600 millions d'euros par an du produit de l'impôt sur la fortune.

Dans le domaine universitaire, la réforme sur l'autonomie des Universités piétine, faute de modes de financement adaptés à l'urgence. Des moyens financiers supplémentaires ont certes été mis sur la table, mais pas dans les proportions annoncées (qui étaient de 1 milliard d'euros par an, soit 5 milliards d'euros sur l'ensemble de la mandature). Le montant des crédits supplémentaires effectivement touchés par les universités, s'établit entre 2,5 et 3 milliards d'euros. Dont une partie a été immédiatement rognée par les charges nouvelles liée au passage à l'autonomie, notamment en termes de gestion du personnel. En outre, les retards de décaissements sont spectaculaires : à ce jour, aucun des 100 «laboratoires d'excellence», dont la liste a été dévoilée en mars 2011, n'a reçu le moindre centime à ce jour. Même constat s'agissant des 22 millions d'euros promis pour les laboratoires de recherche au titre du Grand Emprunt... Insuffisant eu égard à la confirmation, année après années, du lent déclassement de l'Université française à l'échelle internationale.
La dégradation de notre compétitivité s'illustre dans l'ensemble des classements internationaux.

En matière universitaire, les derniers classements internationaux témoignent de la chute : sur les 200 premiers établissements mondiaux des principaux classements internationaux (Arwu, Times Higher Education et QS), la France ne compte désormais plus que 4 à établissements classés, contre plus de 10 pour l'Allemagne, et entre 16 et 30 pour le Royaume-Uni. La France ne forme plus aujourd'hui que 44 ingénieurs pour 10.000 habitants contre 61 en Chine.

En matière scolaire, le dernier rapport de l'OCDE publié en septembre 2011 atteste de la dégringolade de la France dans les classements internationaux, au niveau de la maîtrise des savoirs fondamentaux (lecture, écriture, calcul,...). Pas étonnant eu égard à la litanie des réformes avortée depuis 2007 sur la formation des enseignants, la modification des rythme scolaire, et à la baisse continue du nombre d'enseignants (depuis 2007, plus de 80 000 postes supprimés dans l'Education nationale...). Autre chiffre éloquent : la scolarisation des moins de trois ans a chuté à 15% aujourd'hui contre 35% en 2000, alors même que toutes les études montrent combien elle est importante pour les enfants les plus modestes.

Dans le dernier classement sur la compétitivité high-tech de 66 pays, la France perd 4 places à la 21ème, loin derrière les Etats-Unis, numéro un mondial, suivis de la Finlande, mais aussi Singapour, l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède.
En réalité, entre une stratégie de compétition salariale par les prix et une stratégie de compétition par l'innovation, la France depuis 10 ans a plutôt privilégié la première. Sans corriger ses problèmes structurels de compétitivité et la fragilité de sa spécialisation industrielle et de ses entreprises dans la mondialisation.
(1) Ainsi, les Allemands ont délocalisé une partie de la chaîne de valeur, notamment chez leurs voisins de l'Est, ce qui s'est traduit par des importations de biens intermédiaires, comme les composants ou les pièces détachées, qui leur a permis de réduire encore plus leurs coûts.

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