Le rapport de Dick Marty sur la rumeur de «trafic illicite d'organes humain au Kosovo» n'apporte toujours aucune preuve à ces affirmations, souligne Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France, qui déplore en même temps les partis pris du rapporteur sur le caractère «mafieux» du Kosovo. Franco-kosovar, M. Kullashi enseigne la philosophie à l'université Paris-VIII et est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les Balkans.
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Le rapport de Dick Marty, intitulé «Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d'organes humain au Kosovo» (pdf), présenté le 16 décembre 2010 devant la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a provoqué un choc et un emballement médiatique dans de nombreux pays. Dick Marty a été mandaté par la Commission suite à la publication, en avril 2008, du livre La traque, les criminels de guerre et moi, de Carla Del Ponte, ancienne Procureure auprès du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
Dans ce livre de souvenirs, Del Ponte évoque des allégations sur «le prélèvement d'organes sur des prisonniers serbes, commis par des responsables de l'UCK». Cependant, Florence Hartmann, ancienne porte-parole de la procureure du TPIY, dans son article «Kosovo: Carla Del Ponte et les rumeurs de trafic d'organes» (Le Temps, 16 avril 2008), s'étonnait alors de la crédibilité que Del Ponte accordait à des rumeurs sur le prélèvent d'organes, alors même «qu'elle n'avait pas le début d'une preuve pour poursuivre l'enquête. Elle concède également que ses enquêteurs n'ont jamais eu accès aux sources des journalistes. Ces derniers avaient en effet refusé de révéler l'identité de leurs sources, faute d'éléments probants appuyant leurs déclarations.» En effet, sur ces allégations, venant pour la plupart de Serbie, avaient enquêté, outre le TPIY, également la Minuk et l'Eulex. Ces enquêtes n'avaient pas pu aboutir, faute de la moindre preuve.
M. Marty se propose, dans ce rapport, de mener une «véritable enquête», une «investigation approfondie» sur ces «faits», guidé par «le devoir de vérité et de justice» comme «une prémisse indispensable pour qu'une véritable paix soit rétablie et que les différentes communautés puissent se réconcilier et recommencer à vivre et travailler ensemble» (p. 7). Il s'emploie à dénoncer un défaut de vérité et de justice au Kosovo, et l'explique par l'attitude des instances internationales, qui auraient considéré «tous les événements et les faits dans une optique rigoureusement manichéenne: d'un côté les Serbes, nécessairement méchants, de l'autre les Kosovars albanais, inévitablement innocents».
Cette thèse centrale est pourtant simplement fausse. Il suffit de consulter les rapports de nombreux organismes internationaux sur place (Minuk, Pnud), ceux des associations internationales des droits de l'homme, ainsi que les discours publics, notamment, des responsables internationaux, transmis par les médias, pour voir qu'à partir de juin 1999, la sécurité de la minorité serbe devient graduellement une préoccupation majeure. Les responsables politiques de l'ONU ou de l'UE vont définir l'attitude envers la minorité serbe comme critère essentiel dans la valorisation des nouvelles institutions kosovares.
D'autre part, avant la décision de l'intervention au Kosovo, en avril 1999, la communauté internationale, comme cela a été le cas pour les conflits précédents (en Slovénie, en Croatie et Bosnie) n'avait pas de propension à considérer de façon «rigoureusement manichéenne» la responsabilité des acteurs dans les conflits. Assez longtemps avait dominé le schéma de conflits entre des «belligérants», qui impliquait une distribution symétrique des responsabilités pour les crimes. Pour la Bosnie, il a fallu attendre que les crimes des troupes serbes prennent les formes les plus extrêmes pour qu'on commence à parler d'une relation agresseurs-agressés.
Ainsi, contrairement à ce qu'affirme Marty, les instances internationales n'ont pas considéré les Serbes comme «nécessairement» bourreaux ou méchants (par nature) mais, face à des situations extrêmes, ont constaté objectivement avoir affaire à des agressions de fait de la Serbie. A la différence de Marty –qui s'était opposé, au nom du droit international, à l'intervention de l'Otan au Kosovo–, de nombreux pays se sont associés dans la volonté de stopper les crimes massifs contre les Albanais du Kosovo.
Afin de mettre en valeur son projet du rétablissement de la vérité et de la justice au Kosovo, Dick Marty s'emploie à réduire ou à dévaloriser le travail énorme que les instances internationales ont réalisé sur place, avec les acteurs locaux, depuis 1999: reconstruction d'un pays dévasté, mise en place de nouvelles institutions politiques et administratives, organisation des premières élections libres, rénovation des hôpitaux, des écoles, des entreprises, création des conditions pour les médias libres, mise en place d'une police et d'une administration de la justice.
Les affirmations de M. Marty, pour qui les «crimes contre les Serbes au Kosovo étaient un véritable tabou» (p.9), accompagné d'«une absence de volonté de s'occuper de ces faits» non seulement dans les institutions kosovares mais aussi parmi les internationaux, est également fausse. Les crimes contre les civils serbes au Kosovo ont bel et bien fait partie du débat public et du travail des responsables internationaux sur place. Il y a eu depuis 1999 des enquêtes judiciaires et des procès. Insuffisants? Bien sûr, mais on ne doit pas oublier, justement pour éviter l'approche manichéenne, que les procès à l'encontre des Serbes qui ont commis des crimes envers les Albanais ont pour le moins été aussi insuffisants.
Tout en dévalorisant globalement le travail des instances internationales, il arrive parfois à Marty de nuancer ces affirmations en concédant même que «la police kosovare, à caractère pluriethnique, est formée de manière professionnelle, bien équipée et efficace dans la lutte contre la petite et moyenne criminalité » (p. 8).
En même temps, Marty, dans son zèle de vérité, constate que «les crimes commis par les troupes serbes ont été documentés, dénoncés et, autant que possible, jugés». Bien étrange affirmation: seul un nombre symbolique d'auteurs de crimes contre 10.000 civils Albanais du Kosovo ont été jugés, en Serbie ou au Kosovo. Par ailleurs, la majorité des auteurs de ces crimes, comme ceux des crimes commis en Croatie et en Bosnie, se trouve en Serbie.
S'agissant de la dénonciation de ces crimes commis au Kosovo par les troupes serbes, Marty oublie que les autorités de Serbie n'ont jamais, jusqu'à présent, clairement reconnu la responsabilité de l'Etat serbe: le gouvernement et le président de la Serbie, Boris Tadic, continuent de cultiver, tout en affirmant leur attachement «aux valeurs européennes», le déni des crimes envers les Albanais.
Le caractère « mafieux » du Kosovo
Dans son «investigation approfondie», Marty opère surtout avec trois représentations-clés: l'UCK comme organisation fondamentalement mafieuse, la société kosovare, privée d'une société civile, serait régie par «une structure très clanique» et par l'omerta, cependant que l'Etat du Kosovo serait fondé et envahi par les structures mafieuses. M. Marty conduit son enquête sur les réseaux criminels, à l'appui de ces représentations, même s'il lui arrive, chemin faisant, de nuancer: ainsi, il reconnaît l'existence de «certains interlocuteurs qui représentent la naissante société civile kosovare» (p. 8) ou même quelques «résultats tangibles» du travail de la police et de la justice dirigée par l'Eulex.
M. Marty s'évertue à expliquer la criminalité organisée au Kosovo, tout en avouant que c'est un «problème majeur de la région», comme un phénomène spécifique qui proviendrait de l'essence mafieuse et criminelle de l'UCK, dont les formes se manifesteraient dans toutes les institutions de la société kosovare et dans les fondements même de l'Etat du Kosovo. Le caractère pour le moins problématique de ces représentations, et notamment l'affirmation sur le règne de l'omerta et du Kanun (le Code traditionnel), apparaîtra à tout observateur un tant soit peu attentif aux événements politiques et sociaux du Kosovo. Il se rendrait compte des divisions et des fractures politiques et sociales, de la diversité des intérêts et des opinions entre les partis politiques, mais aussi au sein des partis, de la transformation des organismes de la société civile, en interaction permanente, depuis une décennie, avec les organismes internationaux sur place. Il aurait pu remarquer que, depuis 1999, aucune personnalité ou institution, locale ou internationale, n'échappe aux critiques des journalistes et des associations, et que la corruption ou diverses formes de criminalité sont des thèmes fréquents des médias au Kosovo.
Tout en reconnaissant un certain «factionalisme» au sein de l'UCK, y compris durant la guerre, M. Marty veut la voir comme fondamentalement «criminelle et mafieuse», au mépris d'un souci élémentaire d'objectivité. Ainsi, il affirme: «Les principales unités de l'UCK et leurs zones de commandement opérationnel respectives étaient la copie presque conforme des structures qui contrôlaient les diverses formes de criminalités organisées dans les territoires où opérait l'UCK» (p. 14). Afin d'étayer sa thèse, Marty affirme que ce n'est qu'une minorité qui aurait combattu pour la libération du pays (p. 12). Donc, la majorité a pu ainsi s'adonner à des activités criminelles et mafieuses.
A l'opposé de M. Marty et d'autres contempteurs de l'UCK, des observateurs qui voulaient comprendre ce qui se passe sur le terrain ont pu constater que ce mouvement de résistance armée est apparu en 1997, après que la résistance politique des Albanais du Kosovo à la terreur du régime serbe, durant une décennie, ait buté contre un mur. Cette résistance armée a été plus significative dans la région de Drenica et celle de Dukagjin (la région autour de Deçan) : elle a été portée, comme Marty le reconnaît à un moment, par une population paysanne exposée à l'oppression. Cependant, Marty reconnaît que de nombreux militants de la résistance politique (du LDK de Rugova et autres), y compris même ceux du Conseil des droits de l'homme, ont rejoint les rangs de l'UCK. Mais au lieu d'expliquer la naissance et les activités du mouvement de résistance armée par la nécessité pour une population de se défendre d'une agression militaro-policière, Marty, en spécialiste des mafias, ne voit dans les noyaux de résistance de Drenica qu'une «stratégie globale, préméditée et évolutive» du «Groupe de Drenica», comme un réseau de «criminalité organisée» avec le «parrain de la pègre» de l'UCK, Hashim Thaci, l'actuel Premier Ministre (p.15).
Même s'il admet que la vallée de Drenica était un «noyau traditionnel de la résistance des membres de l'ethnie albanaise à l'oppression serbe de Milosevic et lieu de naissance de l'UCK», Marty aurait appris, avec un tout petit peu plus de connaissances historiques, que la vallée de Drenica, comme la plaine de Dukagjin, ont été, au début du XXe siècle et dans l'entre-deux guerres, des lieux caractéristiques de la résistance à l'oppression de l'Etat serbe. En ce temps, les résistants albanais n'étaient pas qualifiés par la classe politique de Serbie et une partie des médias occidentaux de «mafieux» mais de «bandits». Cependant que les leaders de la social-démocratie serbe (D. Tucovic, D. Jovanovic, etc.) les considéraient plutôt comme des paysans-combattants menant une lutte légitime.
Le caractère «criminel et mafieux» de l'UCK est encore expliqué par Marty avec des considérations «anthropologiques» sur le Kanun et «la structure très clanique de la société kosovare». Ces considérations se déploient au long de son rapport comme un prisme privilégié sur le Kosovo. Son ignorance de la société kosovare, mais aussi du Kanun, peut être illustrée par cette affirmation: «C'est avant tout la coutume ancestrale, encore très ancrée dans certaines couches de la société, de la loyauté viscérale envers le clan ou son équivalent dans la sphère de la criminalité organisées qui semble empêcher de nombreux Kosovars d'obtenir que la justice soit véritablement rendue» (p. 27). L'ignorance se manifeste dans le fait que le Kanun, en tant que code traditionnel, au contraire, codifie tout un spectre de peines pour des actes considérés comme injustes ou contraires aux coutumes traditionnelles. Il définit le point d'honneur d'un homme non pas par le silence envers le crime mais au contraire par sa dénonciation ouverte et sa punition. Ce Kanun a de nombreux défauts, il est assez ancien, mais il n'a pas à faire avec les règles et les coutumes des bandes mafieuses. Des observateurs sérieux de la société kosovare ne la voient pas aujourd'hui régie par le Kanun et l'omerta, et ne la réduisent pas à un grand organisme mafieux. Ce qui ne les empêche pas d'affronter de façon critique de nombreux phénomènes (dont la corruption et le crime organisé) qui pèsent lourd sur la société kosovare.
La présentation de la société kosovare comme un organisme criminel et mafieux a été développée, notamment à partir des années 80, par la machine de propagande de l'Etat serbe, ses médias et son Académie des sciences, qui accompagnait et justifiait la terreur policière. Cette propagande va stigmatiser comme «terroriste» et «mafieuse» aussi bien l'UCK de Thaci que le mouvement de résistance politique guidé par le LDK de Rugova.
L'opération de présentation de l'UCK et de la société kosovare comme des organismes mafieux est facilitée, dans le schéma de Marty, par l'usage fréquent du terme «illicite», qui s'applique à de nombreuses activités des combattants ou des citoyens kosovars dans des conditions d'occupation. En effet, la collecte d'argent et des armes pour la résistance, la collecte d'argent pour l'aide humanitaire à tous ceux qui étaient expulsées des institutions, toutes ces activités ne se sont pas déroulées dans le cadre d'un Etat de droit, pour la simple raison qu'il n'existait pas.
Les rumeurs sur les crimes abjectes
En 1999, suppose Dick Marty, une «poignée de prisonniers ont été conduits au centre de l'Albanie pour y être assassinés avant de subir le prélèvement de leurs reins dans une clinique improvisée». Cette supposition, construite à partir de quelques indices et récits de témoins, la plupart du temps indirects, devrait montrer rétrospectivement, par son caractère odieux, la «vraie nature» de l'UCK et des structures politiques qui en sont issues.
En s'acharnant à semer des doutes sur un crime supposé, il refoule la question de l'impunité des auteurs des crimes contre plus de 10.000 civils kosovars.
Néanmoins, de nombreuses personnalités internationales, qui ont travaillé au Kosovo ou sur le Kosovo dans les années 2000, ainsi que de nombreux experts, ont déjà exprimés des doutes sérieux à l'endroit de cette supposition, qui prend la forme d'une accusation aussi bien chez Carla Del Ponte que chez Marty. Les enquêtes du TPIY, de la Minuk et de l'Eulex, qui étaient au courant de ces récits et allégations provenant de diverses sources, les principales venant de la Serbie, ont été abandonnées comme non corroborées. Récemment, les responsables d'Eulex ont réaffirmé que leur enquête n'a pas abouti, faute de preuves. Les difficultés que ces organismes internationaux ont connues dans leurs enquêtes ne peuvent être interprétées, comme le fait Marty, comme des preuves que le crime supposé a vraiment eu lieu.
La volonté de stigmatisation, qui l'emporte chez Marty sur l'obligation d'objectivité, se manifeste également dans la manière dont il établit la continuité entre le crime supposé en 1999 «dans une clinique improvisée» en Albanie, et les faits réels de trafic d'organes effectué dans la clinique «Médicu » à Pristina, en 2010. Cette activité criminelle avérée a été découverte par la police du Kosovo et celle d'Eulex. Dans ce cas, on est face à un aspect du phénomène de trafic d'organes qui a une dimension internationale. Les personnes impliquées sont de trois pays différents, en dehors du Kosovo. L'arbitraire de la méthode d'enquête se voit, ici aussi, par la construction artificielle d'une continuité d'une décennie, qui n'est corroborée par aucune preuve. (p.27)
Les guerres dans les Balkans, avec des atrocités réelles, des crimes odieux, on été accompagnées aussi par des rumeurs et des fictions, dont certaines prennent l'apparence d'une enquête cohérente.
Ainsi, les rumeurs sur les prélèvements d'organes sur les prisonniers serbes par les membres de l'UCK avaient donné lieu, en 2006, au récit transmis par les médias de la Serbie («Kurir» par exemple...), que M. Bernard Kouchner aurait participé, en tant que médecin, aux prélèvements des organes des prisonniers serbes, que les troupes de la Kfor auraient encadré cette opération, et que la transplantation des organes se serait faite dans les bases de l'Otan, en Allemagne. Ces rumeurs étaient diffusées dans les médias serbes par des personnes qui se disaient êtres les «sources» de Carla Del Ponte.
Une rumeur similaire avait circulé sur un autre Premier Ministre du Kosovo, M. Bajram Rexhepi, en 2002. Il était présenté, dès son élection, dans une partie des médias en Serbie, comme un «coupeur de têtes de civils serbes». Cette rumeur avait pris la forme d'une enquête des experts serbes. Selon Nebojsa Covic, le représentant de la Serbie, dans une commission commune avec le représentant de la Minuk et celui du gouvernement provisoire du Kosovo, M. Rexhepi était coupable d'avoir coupé des têtes aux civils serbes, en tant que soldat de l'UCK et en sa qualité de médecin. L'envoyé spécial de l'ONU au Kosovo, M. Steiner, avait demandé l'expertise de ce dossier. Un mois après, il avait déclaré: «Nous sommes tombés d'accord avec M. Covic, que dans ce dossier il n'y a rien qui pourrait incriminer le Premier Ministre Rexhepi.» Et cependant, l'emballement médiatique en Serbie avait fait son travail sur ce cas aussi.
Les motifs politiques de M. Marty et la volonté de révision
Les motifs politiques de M. Marty transparaissent à travers tout le texte de son rapport. En tant qu'adversaire virulent de l'intervention de l'Otan contre les troupes serbes qui massacraient les civils albanais du Kosovo, en tant qu'adversaire de l'indépendance du Kosovo, il se livre, comme on a pu le montrer, à une stigmatisation de l'UCK, de la société kosovare et de l'Etat du Kosovo, comme «organismes mafieux criminels». Cette image du Kosovo, envahi dans toutes ses pores par la mafia, s'accorde difficilement, pourtant, avec le fait que le Kosovo, qui ne compte que 10.000 km2, était contrôlé et surveillé depuis 1999, par 40.000 soldats de la KFOR, par des centaines de policiers, par de nombreux services de renseignements, et exposé aux regards de nombreux journalistes et diverses associations.
M. Bruno Vekaric, Procureur spécial de la Serbie pour les crimes de guerre, a déclaré à Belgrade, après la publication du rapport Marty, que celui-ci contenait une grande partie de son propre rapport. Cependant, Marty reconnaît que l'équipe de ce Procureur, «qui a déployé des efforts considérables, n'a pas non plus abouti à des résultats très concrets» (p.10).
Dans son rapport, M. Marty ne cache pas non plus sa passion anti-américaine (p. 13, p.ex.), justement en relation avec le Kosovo. Il présente l'UCK et l'Etat du Kosovo comme des produits et des instruments de la politique américaine. Dans ce cas aussi, M. Marty manque d'objectivité: les problèmes du Kosovo ont été traités dans un travail commun de l'Union européenne et des Etats-Unis.
Les positions politiques de Marty envers le Kosovo sont similaires avec celles du président de la Serbie, M.Tadic. Chez les deux hommes, il s'agit surtout de renverser la perception de la question du Kosovo, d'apporter une révision des événements, révision du rôle et de la responsabilité des acteurs du conflit.
Dans le quotidien belgradois «Danas», le 20 décembre, le président de la Serbie, M. Tadic, à propos du rapport de Marty, déclare : «Après la publication du rapport Marty sur les crimes à l'encontre des Serbes, et malgré le principe de la présomption d'innocence, la communauté internationale va percevoir de manière tout à fait différente la question du Kosovo. La Serbie a attendu durant des années devant les instances internationales pour qu'il y ait un tel rapport. Nous avions demandé que tous les crimes soient éclairés, mais ces appels n'étaient pas pris au sérieux. Maintenant, l'image est différente et j'en suis reconnaissant à Dick Marty.» Le président Tadic ajoute qu'une vaste enquête sur le cas soulevé par Marty devrait «éclairer le processus de formation du soi-disant Etat du Kosovo».
Donc, malgré la présomption d'innocence, malgré le fait que la supposition sur le trafic d'organes par certains membres de l'UCK pourrait être fausse, Tadic s'attend à ce que la perception de la question du Kosovo, mais aussi la perception des autres conflits en ex-Yougoslavie, sera, par ce rapport, tout à fait différente. La visée de Marty rejoint celle du président Tadic: changer radicalement la perception des événements. Ainsi, la responsabilité de la Serbie pour les quatre guerres d'agressions (contre la Slovénie, la Croatie, la Bosnie et le Kosovo), avec tout le cortège des crimes massifs sur les populations civiles, devrait être escamotée par la supposition, qui n'est confirmée par aucune preuve, qu'«une poignée» de prisonniers serbes, avant d'être assassinée, aurait «subi le prélèvement de leurs reins dans une clinique improvisée» en Albanie, par les membres de l'UCK. C'est l'abjection d'un crime supposé qui devrait éclairer «la vraie nature» d'un mouvement de libération et d'un Etat.
Marty avoue, vers la fin de son rapport, que son enquête n'a pas apporté quelque chose de nouveau: «Ce n'est pas une nouveauté et ce n'est pas une exclusivité du Kosovo». Il ajoute que «le crime organisé est très redoutable également en Serbie, au Monténégro, en Albanie»... et il constate «même des complicités étonnantes et inquiétantes entre ces différentes bandes» (p.28). Nous pourrions ajouter que se dessinent également des complicités étonnantes entre ceux qui à tout prix veulent croire et faire croire à la «vérité» des crimes dont ils n'ont pas la moindre preuve crédible. Mais c'est précisément par la focalisation sur un crime supposé que Marty a réussi à attirer l'attention des médias et à choquer les opinions.
Par ces défauts, le rapport de M. Dick Marty ne peut pas être une contribution à une analyse plus objective du passé conflictuel, apport à la vérité et à la justice. Par son approche, ses partis pris politiques et ses thèses, il peut encore moins prétendre à œuvrer à la «véritable réconciliation» et à une «stabilité durable de cette région».