Billet de blog 28 février 2011

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

La santé manipulée

Derrière la réforme de l'Aide médicale d'Etat, qui devient payante, pas d'économies à attendre, affirme Médecins du Monde: cette mesure «électoraliste» entraînera «un retard de recours aux soins et des tableaux cliniques plus lourds» pour les étrangers sans papiers.

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Derrière la réforme de l'Aide médicale d'Etat, qui devient payante, pas d'économies à attendre, affirme Médecins du Monde: cette mesure «électoraliste» entraînera «un retard de recours aux soins et des tableaux cliniques plus lourds» pour les étrangers sans papiers.

--------------

Le 1er mars 2011, l'Aide médicale d'Etat (AME), dispositif permettant l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière, devient payante pour les bénéficiaires majeurs. Cette décision, portée par la majorité au pouvoir, a été dénoncée par de nombreux acteurs associatifs, politiques et institutionnels et remise en question par les conclusions d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances de novembre 2010. Ce rapport met en avant le non respect des principes élémentaires de santé publique du fait des restrictions de l'accès à l'AME et l'absence de réponses adéquates pour compenser l'augmentation du coût du dispositif AME.

Souvenons-nous que l'AME, avant d'être un dispositif humanitaire, existe justement pour répondre à des enjeux de santé publique. Elle est financée à ce titre par le budget de l'Etat, afin de limiter entre autres les risques que nous prendrions de laisser loin des soins et de la prévention une frange de la population présente illégalement sur le territoire.

Les pourfendeurs de l'AME ont justifié l'augmentation de son coût et sa réforme en s'appuyant sur des mythes tels que la fraude, les abus, le trafic de médicaments, ou la migration thérapeutique. Ces arguments mensongers ne trouvent de justification plausible que dans l'application d'une stratégie purement électoraliste pour répondre à des amalgames et des contre vérités douteuses.

Car il faut savoir que les économies escomptées par une telle mesure ne seront pas au rendez-vous. Les patients étrangers sans papiers pouvant bénéficier de l'AME vivent tous sous le seuil de pauvreté et ne pourront s'acquitter du droit d'entrée de 30 euros, ce qui entraînera un retard de recours aux soins et des tableaux cliniques plus lourds. Le système hospitalier se retrouvera en première ligne et seul à gérer ces prises en charge, seul face à des impayés, alors qu'il aurait été préférable de favoriser les orientations de ces patients vers la médecine de ville en leur facilitant l'ouverture du droit commun. Il ne s'agit que d'un jeu de vases communicants. On ne fait pas d'économies dans le champ de la santé en limitant l'accès aux soins primaires et à la prévention. On ne fait que décaler les soins vers des prises en charge hospitalières plus coûteuses car tardives.

Au lieu de polémiquer et de manipuler un enjeu collectif pour des raisons politiciennes, il aurait été plus sensé de saisir l'occasion de réinterroger les fondements et le cadre réglementaire de l'AME, afin de faire d'un dispositif d'équité et de solidarité, un outil plus rigoureux et optimisé. En effet, il est légitime de questionner la gouvernance d'un dispositif solidaire qui n'a jamais eu de pilote bien défini, et dont le financement n'a jamais été à la hauteur des enjeux de santé publique posés. Questionner l'AME, c'est possiblement pointer la nécessité de renforcer notre système de soins primaires en ville ou en campagne, interroger l'absence d'accès à la prévention pour les plus misérables et rappeler que la fusion avec la couverture médicale universelle peut simplifier les démarches d'accès aux droits et aux soins.

Réformer l'AME, mais d'une autre manière, aurait été l'occasion de renouer le lien entre valeurs éthiques et pragmatisme médico-économique. Or on assiste à l'inverse à une remise en question de ces fondements à l'origine de notre assurance maladie. En augmentant le «reste à charge» des plus précaires, le gouvernement a fait le choix de privilégier une logique comptable individuelle à court terme au détriment d'une maîtrise médicalisée collective plus opérante

Dans ces conditions, les équipes de Médecins du Monde, comme de nombreux autres acteurs de soins, vont poursuivre leurs mobilisations afin de répondre aux besoins médicaux de ces populations rendues encore plus fragiles par des mesures politiques irresponsables. Aussi, nous mettrons en place des indicateurs nous permettant d'évaluer et de documenter les effets sur la santé de telles mesures: impact sur le retard de recours aux soins notamment et ce au nom d'une conception solidaire du soin.

Dr Olivier Bernard, président, Dr Christophe Adam, membre du conseil d'administration et Dr Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du Monde.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.