Voici le texte du Manifeste de la Convention nationale portant sur « l’Accueil et les Migrations » qui se réunit à Grande-Synthe jeudi 1er et vendredi 2 mars, à l’initiative de son maire, Damien Carême (les précisions et le programme de cette Convention nationale sont ici). « Ce texte, écrit-il en préambule, a une ambition, celle de réunir des acteurs engagés sur les questions de l’accueil des exilés. Il s’inscrit dans une dynamique d’ensemble, réunissant les associations, les ONG, les élus, pour débattre,proposer et militer sur les droits des exilés au-delà de leur statut. C’est évidemment un texte militant qui se base sur toutes les expériences positives menées déjà danstout le pays lorsque toutes les forces vives travaillent en commun, dans le respect mutuel. » Durant ces deux journées, il sera possible de signer en ligne de manifeste, sur le site de la Convention.
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La crise de l’accueil des exilés est d’abord et avant tout une crise de l’Union Européenne et des politiques empêchant, coûte que coûte, les arrivées en Europe de personnes ayant fui leur pays. Celles-ci sont pourtant inéluctables en raison des conflits, de la pauvreté et du changement climatique.
L’ensemble du projet politique de l’Union Européenne est fragilisé par la politique migratoire qui a été instaurée tant au niveau européen, qu’au niveau des Etats membres. De fait, l’absence de consensus entre les Etats de l’Union témoigne d’un manque de solidarité européenne, à la fois entre pays européens et à l’égard de celles et ceux qui fuient des conditions de vie dramatiques, alors même que des milliers de vie en dépendent.
Nous croyons au projet et au devenir de l’Union Européenne mais il nous faudra mettre fin aux règles de Dublin qui font reposer le poids de l’accueil des réfugiés sur les pays aux frontières de l ’Europe.
En parallèle tout a été entrepris pour stopper l’émigration vers nos pays et en particulier en France : sécurisation des frontières, financement et déploiement de forces policières, réglementations diverses et variées limitant les libertés individuelles des exilés notamment.
Comme le signalent de nombreuses associations ou encore la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, les droits fondamentaux de ces personnes exilées en France ne cessent d’être restreints. Le combat des associations pour faire valoir ces droits en est un exemple criant comme celui des positions prises par le Défenseur des Droits.
Cette politique est indigne de nos valeurs et de notre tradition historique de l’accueil des réfugiés en France. Par ailleurs, cette incapacité à accueillir dignement ces personnes ne correspond pas au nombre réel d’arrivées, somme toute modeste, par rapport à l’Allemagne en particulier.
Cette politique de fermeture et de repli sur soi alimente aujourd’hui la défiance, multiplie les risques politiques, déstabilise les opinions publiques et fragilise la place de la France en Europe et dans le monde.
L’amalgame entre immigration et asile doit cesser.
Malgré cette réalité, l’optimisme de la volonté perdure. C'est eux qui nous animent, en tant que citoyen, bénévole, militant associatif ou responsable politique.
Cette fraternité des bénévoles fait des miracles. Tous les jours. Elle permet la réussite de parcours d’intégration durables.
Nous ne croyons pas que nos compatriotes soient unanimement convaincus que l’étranger, au sens large, représente un danger et une menace notamment à l’heure où bon nombre de pays européens doivent au contraire compter sur l’immigration afin de faire face aux défis de nos sociétés vieillissantes.
Nous ne croyons pas que les politiques de fermeture des frontières et des esprits résoudront les crises systémiques en oeuvre de par le monde.
Nous sommes en France, les dépositaires d’une tradition historique d’accueil aujourd’hui mise en danger.
La France a choisi de s’engager dans une politique migratoire d’une dureté sans précédent. Nous le regrettons.
Le Président de la République avait évoqué dans son discours aux préfets début septembre 2017, sa volonté de « refonder complètement la politique d’asile et d’immigration », estimant entre autre que nous « accueillons mal en ne garantissant pas rapidement une mise à l’abri ou un hébergement aux migrants ».
Il estimait, dans le même temps, que « la France était largement inefficace dans l’expulsion, la reconduite aux frontières de ceux et celles qui n’ont pas l’accès au titre. »
Depuis, le gouvernement est largement sorti de l’ambiguïté. pour montrer son vrai visage et ses véritables intentions en mettant en place des mesures d’une brutalité sans précédent.
Une circulaire du Ministère de l’Intérieur instaure ainsi, depuis le 12 décembre 2017, la création de « brigades mobiles pour contrôler les personnes hébergées dans les hôtels sociaux. »
Cette remise en cause du principe d’hébergement inconditionnel est inacceptable tout comme le renforcement des mesures de privation des libertés, le doublement de la durée de mise en rétention passant de 45 à 90 jours, voire à 135 jours, ou la mise en place d’une vraie course contre la montre administrative pour les demandeurs d’asile, notamment pour les recours.
Ces mesures constituent une forme de violence institutionnelle.
La rétention reste un lieu et un moment d’enfermement et de souffrances inutiles, alors que la France est déjà le pays européen qui a le plus expulsé en 2016.
Jamais un gouvernement n’était allé aussi loin, glissant irrémédiablement vers l’option sécuritaire. Nous ne pouvons cautionner cette ligne au triptyque indigne : raréfier les entrées, expulser en nombre et intégrer, si possible, « les autres ».
Les villes, les communes, les territoires accueillants restent souvent bien seuls avec les ONG et les associations, en première ligne pour faire face aux enjeux de l’urgence du sort des exilés de tout âge.
Si l’Etat fait preuve de défaillance, il nous appartient pourtant d’oeuvrer et d’agir à l’image de l’histoire et de la culture de l’hospitalité en France.
Fort de ce constat, nous croyons fermement qu’il reste possible d’agir car la solidarité incombe à chacun d’entre-nous.
Nous faisons pour cela des propositions, adaptées et mesurées afin de ne plus confondre la politique du droit d’asile avec celle de l’immigration choisie et enfin répondre aux impératifs de l’urgence, celle de la prise en charge des personnes.
1- Nos villes, nos communes, nos territoires peuvent devenir des villes, des communes et des territoires refuges pour tous ceux et toutes celles qui ont besoin d’être mis à l’abri.
Des exemples existent déjà de par le monde qui doivent nous interroger et nous animer de manière pragmatique.
Le conseil municipal de Montréal a adopté la proposition du Maire désignant Montréal comme ville refuge ou sanctuaire en février 2017 pour offrir à tous les mêmes droits, réfugiés, sans papiers ou résidents.
Cela pose évidemment des questions.
Une ville peut-elle se distinguer d’un Etat et prendre de sa propre initiative des décisions supérieures à celui-ci ?
Cela a été le cas à Grande-Synthe avec l’ouverture du lieu humanitaire par l’action innovante et commune de la ville et de Médecins Sans Frontières.
C’est évidemment revisiter non pas le droit d’asile mais celui de l’hospitalité en répondant d’abord et avant tout aux urgences, celles liées à l’accès inconditionnel à l’hébergement, à l’alimentation, à l’hygiène, à la santé, à l’éducation, pour répondre aux besoins vitaux. Le temps que les personnes puissent entrer dans le droit commun.
La réussite du Centre d’hébergement humanitaire d’Ivry démontre que l’on peut construire des réponses concrètes pour un accompagnement global des exilés.
2- Nous délivrerons, comme à New York, une carte de citoyenneté à chacun, permettant aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dans nos territoires.
Inventer cela de manière pragmatique, c’est faire face à notre devoir moral dans un contexte dans lequel les villes renoueraient avec leur histoire sans pour autant s’immiscer dans le droit d’asile, la naturalisation ou l’injonction définitive de s’intégrer, voire de s’assimiler, qui relèvent des prérogatives de l’État.
Pourquoi exiger cette intégration définitive ou totale alors que beaucoup de réfugiés sont en transit ou aspirent à retourner d’eux-mêmes, à terme, dans leurs pays ?
Construire ces villes refuges, c’est dépasser la question fallacieuse de la nationalité pour redécouvrir notre humanité, sans angélisme, et lutter aussi contre toutes formes de trafics.
C’est réfléchir aux parcours d’aujourd’hui et de demain en anticipant les arrivées inéluctables. Les défis sont devant nous et en premier lieu ceux liés au changement climatique.
Qui osera croire que l’on pourra empêcher les peuples de migrer pour des terres plus sûres ?
C’est dans tous les cas, au-delà de la demande d’asile en France, penser le parcours de l’exilé comme un temps de présence dans notre pays, au sein de nos territoires.
A quoi sert-il de nier la présence de ceux et celles qui souhaitent partir en Grande-Bretagne ou ailleurs alors que leur prise en charge et leur reconnaissance permettraient de résoudre bien des difficultés pour eux et nous mêmes?
3- Nous proposons au-delà de l’hospitalité des villes, la reconnaissance de cette présence temporaire, dite de transit.
Cela permettrait de « sécuriser » les parcours migratoires, d’offrir le temps nécessaire à la réflexion sur leur projet migratoire permettant, ensuite, à chacun de choisir, de le poursuivre, de l’amender ou d’y renoncer.
Il faudra pour cela que le gouvernement respecte enfin les droits fondamentaux des exilés et abandonne sa vision réductrice des phénomènes migratoires consistant notamment à opposer les demandeurs d’asile aux autres migrants, les migrants aux Français.
C’est à l’Etat de favoriser l’accueil et l’hébergement, de protéger le droit d’asile mais aussi de faire respecter les autres droits des personnes migrantes quel que soit leur statut sans pour autant abandonner notre combat contre l’injustice sociale et toutes les formes de précarités déjà existantes dans notre pays.
4- Nous demandons une attention particulière sur le devenir des mineurs non accompagnés et les jeunes majeurs dont la prise en charge est insatisfaisante, notamment par les conseils départementaux et l’Etat.
Du fait de la fragilité des dispositifs de prise en charge, ces mineurs et jeunes majeurs sont rendus aujourd’hui pour une bonne part « invisibles » ou non pris en charge, ce qui menace leur intégrité et celle de notre société.
Leur nombre s’accroît de manière inexorable, proche aujourd’hui des 25 000 personnes.
Les MNA [Mineurs Non Accompagnés] sont d’abord et avant tout des enfants en danger qui relèvent de la protection de l’enfance. Cependant les difficultés de nombreux départements à assumer une prise en charge de qualité, impose que l’Etat fournisse les moyens adéquats à chacun pour que ces jeunes construisent leur projet d’avenir en toute sécurité.
La question des MNA est une urgence absolue. Les villes accueillantes ne peuvent seules, être mises dans l’obligation, avec les associations de les prendre en charge et d’assurer le devenir de ces jeunes, quelque fois en lieu et place des départements.
Pourtant les défaillances à l’égard des mineurs se multiplient partout avec des arguments toujours identiques : faiblesse de l’Aide Sociale à l’Enfance, capacités d’accueil saturées et crainte de « l’appel d’air ».
Le principe de prise en compte de l’intérêt de l’enfant devrait primer sur toute autre considération alors que ses droits sont pourtant garantis par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989.
5- Nous proposons que l’Etat assume sa mission et assure les moyens pour créer des solutions d’hébergement plus nombreuses et plus qualitatives que celles existantes aujourd’hui. Il faudra, par ailleurs, harmoniser les dispositifs pour éviter que le logement d’urgence ne devienne la règle.
Ensemble, nous pourrons, si nous le décidons, éviter à l’avenir toute forme d’encampement ou de constitution de « jungles », grâce à un accueil dans nos villes et territoires digne de notre pays et notre démocratie.
Ceci ne sera possible que si l’hébergement inconditionnel redevient la norme intangible. L’accès à un hébergement ne peut être conditionné au droit à être sur le territoire, ou le transfert d’un hébergement à un autre fondé sur la situation administrative de la personne.
6- Nous organiserons un réseau d’élus et de collectivités désirant se saisir des questions de l’accueil et des urgences liées aux migrations.
Il faudra pour cela formaliser ce réseau à l’échelle du pays et ouvrir un dialogue permanent et constructif avec l’ensemble du tissu associatif, les ONG et l’Etat afin de trouver les solutions concrètes et pragmatiques dans le cadre d’un pays accueillant et plus tolérant. Il n’existe pas UNE solution nationale à l’accueil, mais bien autant de situations locales.
Ce réseau aura vocation d’être l’interlocuteur de l’agence de l’accueil et de l’intégration que nous souhaitons aussi voir émerger au niveau national.
Il s’agit, disons-le clairement, de ne pas laisser le Ministère de l’Intérieur se saisir seul des questions liées aux migrations alors que la volonté de sécuriser les frontières et le renforcement des politiques d’expulsion sont les deux seuls leitmotivs de la politique du gouvernement.
La mise en place d’une vraie politique interministérielle permettrait de mettre fin aux dispositifs improvisés et contradictoires menés par le seul Ministère de l’Intérieur.
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Nous avons ensemble l’occasion de donner une nouvelle impulsion, celle de faire de la question des exilés une grande cause nationale.
Nous ne pourrons le faire seuls, mais en complémentarité avec les citoyens, les associations et leurs bénévoles, les élus qu’il faudra convaincre, et l’Etat dont la responsabilité juridique et éthique est évidemment première.
C’est déjà le cas au niveau local, là où de nombreuses initiatives ont foisonné, loin de l’image d’un pays et d’un peuple recroquevillés.
Sans grandes difficultés, nous croyons fermement que la France pourrait accueillir plus et mieux les exilés. Cela suppose aussi que l’Etat puisse mieux s’organiser et consulte en amont les associations et les élus locaux.
Cet optimisme de la volonté doit être contagieux et résolu, pour faire vivre et résonner ce qu’il y a de meilleur en nous et atteindre une véritable cohésion nationale.