Billet de blog 28 avril 2015

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Faire tomber le mythe de la dette pour réorienter la construction européenne

Pour Nicolas Sansu, député Front de gauche du Cher et membre de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, « depuis la crise de 2008, la dette publique sert de prétexte à la mise en œuvre de politiques d’austérité sans que jamais ne soient évoqués les causes réelles de l’endettement, les enjeux d’une restructuration des dettes publiques ou le développement de modes de financement alternatifs permettant aux États de s’affranchir de la tutelle des marchés financiers ».

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Pour Nicolas Sansu, député Front de gauche du Cher et membre de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, « depuis la crise de 2008, la dette publique sert de prétexte à la mise en œuvre de politiques d’austérité sans que jamais ne soient évoqués les causes réelles de l’endettement, les enjeux d’une restructuration des dettes publiques ou le développement de modes de financement alternatifs permettant aux États de s’affranchir de la tutelle des marchés financiers ».


Les députés du Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine ont déposé une proposition de résolution européenne sur la dette des États européens, débattue le 7 mai prochain. Ils plaident pour la tenue urgente d’une grande conférence européenne sur la dette et soutiennent l’initiative du Parlement grec de mettre en place une « commission de vérité sur la dette grecque ». Une démarche qui doit être généralisée à toute l’Europe.

La dette publique atteint un niveau inédit sur notre continent. Elle s’élève à 91,9% du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro en 2014. Derrière ce chiffre se cachent des réalités bien diverses, traduisant des déséquilibres considérables entre États. Ainsi, la dette grecque (177,1%) est supérieure à celle de l’Allemagne de plus de cent points (74,7%). Pour la seule France, la dette (95%) a progressé de trente points depuis 2007.

Ces chiffres servent aujourd’hui de puissant justificatif aux politiques récessives et austéritaires menées en Europe. « Au nom de la dette », les peuples paient au prix fort les coupes budgétaires massives qui viennent détruire les tissus économiques locaux, casser les liens sociaux, jeter des millions de personnes dans la misère et la précarité.

Véritable instrument de chantage et d’asservissement, agissant telle une arme de destruction massive face à l’ambition, la dette est mystifiée, brandie dès lors qu’il s’agit de mener une politique publique redistributive et créatrice de richesses pour le plus grand nombre.

Cette situation, qui relève de l’amnésie, l’aveuglement et l’irresponsabilité, n’est plus acceptable.

Amnésie quant aux causes de l’endettement public des États européens. Le mythe de la dette est faussement construit sur des États prétendument « trop dépensiers », « vivant au-dessus de leurs moyens », après des années et des années de « gabegie ».

La réalité est toute autre. La hausse de la dette publique française, de l’ordre de 50 points de PIB en 20 ans, est en réalité le fruit de plusieurs phénomènes découlant assez clairement de l’orientation néolibérale des économies occidentales.

D’abord, l’État finance ses déficits depuis plusieurs décennies via un recours exclusif aux marchés financiers. Ceux-ci prêtent à l’État qui, en retour, verse des intérêts. Pendant deux décennies (années 80 et 90), la France va verser des intérêts supérieurs au taux de croissance, générant des déficits, qui vont progressivement s’accumuler, et ont alimenté de facto la puissance du secteur financier.

À partir du début des années 2000, la France entre ensuite de plain-pied dans la concurrence fiscale et sociale (déloyale) européenne, permise par la liberté totale de circulation des capitaux et accentuée par l’élargissement de l’Union Européenne à 27. En baissant massivement les prélèvements, en particulier à l’attention des catégories les plus aisées et des entreprises,  l’État fait le choix délibéré de s’appauvrir, pour des retombées économiques bien faibles.

Au final, avec le versement des intérêts et la baisse de la fiscalité, c’est le double jackpot pour les plus riches et pour la finance. Pour la France, c’est quelques 600 milliards d’euros qui s’envolent.

Ce double constat est partagé, à des degrés divers, par les États membres de l’UE, notamment la Grèce. Des États qui voient également leurs ressources s’évaporer face à l’ampleur de l’évasion fiscale, chiffrée à 1 000 milliards d’euros par an pour l’ensemble de l’Europe.

Last but not least, la crise financière explose en 2008. Les États interviennent alors massivement pour garantir la stabilité d’un système financier, au prix de la socialisation d’une crise financière privée et, in fine, d’un accroissement significatif de l’endettement public. La transmission de cette crise à l’économie réelle est un désastre, causant des dégâts économiques et sociaux majeurs, augmentant les dépenses publiques et contractant les recettes fiscales.

Telle est la réalité de la dette, dans notre pays et ailleurs en Europe !

Aveuglement et irresponsabilité ensuite, au regard des recettes apportées pour sortir de la crise économique, sociale, environnementale, démocratique que nous traversons. Qui peut encore croire que l’austérité va permettre la création d’activité et d’emploi durables ? Qui pour considérer que les coupes budgétaires aveugles vont permettre l’indispensable transition énergétique dont a besoin l’Europe ?

L’austérité plonge les pays européens dans la dépression et la misère. La réduction inconsidérée des dépenses publiques, répondant à une logique comptable et court-termiste, s’est traduite inéluctablement par une contraction de l’activité et ne permet pas la diminution de la dette.

Dès lors, quelles alternatives à l’austérité pour sortir du piège de la dette et offrir des perspectives nouvelles et positives pour l’Europe ? L’expérience historique montre que les États ont usé d’une large palette de pistes pour se désendetter, allant des moyens les plus doux (notamment l’inflation, qui permet « d’euthanasier les rentiers », selon la formule de Keynes) aux plus violents (telle la punition physique des créanciers au XIVème siècle).

Le XXème siècle témoigne d’un usage fréquent par les États de la voie de la restructuration de leurs dettes. L’exemple allemand de 1953 est à ce titre frappant. Surendettement public, économie amorphe… L’Allemagne peine à financer le redémarrage du pays après la guerre. Dans un éclair de grandeur et de lucidité, que les décideurs européens actuels devraient avoir en tête, les créanciers publics s’accordent pour renoncer à plus de la moitié de la dette allemande et intègrent diverses  clauses qui permettront de booster la balance commerciale du pays. Le « miracle allemand » est en marche.

L’Europe devrait s’en souvenir, alors qu’elle applique aujourd’hui la seule loi des créanciers, imposant des « petits Traités de Versailles » successifs à la Grèce, violant les droits fondamentaux et méprisant une nouvelle fois la souveraineté des peuples. L’écart n’a jamais été aussi grand entre une Europe dont le seul projet est l’austérité et ses citoyens. Le continent est enlisé dans une crise profonde qui s’aggraverait encore en cas de sortie de la Grèce de la zone euro.

Pour sortir de l’ornière, les députés du Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine ont déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution européenne demandent la tenue rapide d’une large conférence européenne sur la dette, réunissant les décideurs européens, le FMI, les parlements nationaux et la société civile. L’abandon d’objectifs de court terme au profit d’une reconstruction durable des pays du Sud et la restructuration de la dette des pays en difficulté doivent être à l’ordre du jour. L’autre priorité est la définition d’une stratégie européenne de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales afin de lutter efficacement contre ces fléaux.

C’est en sortant du diktat de la dette et de la tutelle des marchés financiers que l’Europe reprendra du souffle. Telle est la voix que la France doit porter. Telle est la voix que nous porterons à l’occasion de l’examen de notre proposition de résolution le 7 mai. Telle est la voix que nous continuerons à porter au cours des prochains mois pour soutenir la reconstruction de la Grèce et celle de l’Europe.

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