Billet de blog 28 mai 2014

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Les OGM, la science et la justice

Pourquoi dénoncer la Cour d'Appel de Colmar, qui se serait « substituée aux scientifiques » en relaxant des faucheurs d'OGM, sans critiquer aussi le Conseil d’État, qui interdit l'interdiction d'un maïs transgéniques ? Pour Christophe Noisette, rédacteur en chef du site Inf'OGM, les scientifiques qui s'inquiètent de l'arrêt rendu à Colmar manquent de cohérence.

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Pourquoi dénoncer la Cour d'Appel de Colmar, qui se serait « substituée aux scientifiques » en relaxant des faucheurs d'OGM, sans critiquer aussi le Conseil d’État, qui interdit l'interdiction d'un maïs transgéniques ? Pour Christophe Noisette, rédacteur en chef du site Inf'OGM, les scientifiques qui s'inquiètent de l'arrêt rendu à Colmar manquent de cohérence.


Lorsque le Conseil d’État a annulé, par deux fois, les arrêtés ministériels d'interdiction du maïs MON810, nous n'avons pas entendu les partisans de la cause transgénique critiquer ce tribunal car il aurait dépassé la ligne rouge du droit pour s’immiscer dans des arguments scientifiques. Au contraire, l'Association française des biotechnologies végétales (AFBV) se félicitait, en août 2013, que « le Conseil d’Etat (...) [ait] déclaré que le moratoire sur le maïs MON 810 n’était pas justifié (scientifiquement) »

En effet, le Conseil d’État, en jugeant que « le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation », a jugé des arguments scientifiques, et a pris position. Le Conseil d’État a, par exemple, jugé que les zones refuges « prévues par la demande d'autorisation » du MON810 permettent de retarder le risque d'apparition de résistance chez les insectes cibles, et que le risque de réduction des populations de lépidoptères peut être réduit par l'adoption de mesures de gestion, même si, reconnaît-il, la Commission européenne n'a pas imposé la mise en œuvre de mesures de gestions telles que celles préconisées par l'avis de l'AESA.

Nous pourrions encore évoquer le jugement porté par le Conseil d’État sur les travaux de la professeur Hilbeck ,qui « ne conclut pas à l'existence d'un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires ». Le Conseil d’État s'est donc considéré comme compétent pour étudier, évaluer et juger des études scientifiques. Était-ce dans ses prérogatives ? Ces prises de position avaient alors questionné Inf'OGM qui soulignait qu'en Allemagne, une Cour s'était au contraire déclarée « non compétente » pour juger la validité des arguments scientifiques du gouvernement pour annuler l'interdiction de mise en culture du MON810. Mais l'AFBV ne questionnait pas cette immersion de la justice dans les arguments scientifiques, du moins à ce moment-là.

En revanche, quand la Cour d'appel de Colmar relaxe les Faucheurs volontaires en estimant que l'essai était « irrégulier »… c'est la levée de boucliers. Quelques chercheurs et journalistes se sont accordés pour dénoncer ce jugement, en caricaturant le propos de la Cour. L'AFBV, dans un communiqué où elle demande au Procureur de se pourvoir en Cassation, écrit que « les juges n'ont pas à se substituer aux instances scientifiques chargées de l'évaluation des risques ». Une position qui contraste donc avec la satisfaction de l'AFBV affichée lors de la décision du Conseil d'Etat. A ce paradoxe, s'ajoute la confusion que l'AFBV entretient autour du jugement de Colmar.

Car la Cour d'appel de Colmar ne s'est pas substituée à ces instances scientifiques consultatives, elle a déclaré une autorisation ministérielle (c'est bien le ministère qui donne les autorisations, pas le Haut conseil sur les biotechnologies) non conforme à la réglementation en vigueur.

La Cour n'a pas dit qu'il y avait un risque. Elle s'est bien gardée d'un tel jugement. Elle s'est contentée de prendre au sérieux l'annexe II de la directive 2001/18 qui encadre les essais en champs de plantes transgéniques et de noter, simplement, qu'un certain nombre d'études d'impacts n'étaient pas dans le dossier. Et que les données fournies par l'Inra dans son dossier ne sont pas étayées. Extrait du jugement : « [L'Inra] se contente d’affirmer, sans fournir la moindre donnée scientifique, que l’essai ne générera aucun risque, d’une part, pour l’écosystème, tout en reconnaissant que si une résistance de la plante s’exprimait, il n’est pas à exclure par contre que les populations virales évoluent ; d’autre part, pour la santé humaine, étant uniquement soutenu [sic] “nous n’avons observé aucune anomalie auprès des personnels travaillant au contact de ces plantes depuis 4 ans” ». Concernant les risques, la Cour ne reconnaît pas l'état de nécessité, estimant que « les débats n'ont pas démontré qu'il existait (…) une certitude que les OGM implantés sur les porte-greffes (…) créaient un danger actuel ou imminent pour l'environnement et pour l'économie des cultures traditionnelles ou biologiques ». Et plus loin, elle ajoute : « en effet l'existence d'un risque danger [sic] de la culture des OGM fait encore débat au sein de la communauté scientifique ». On ne peut pas être plus clair. Affirmer que la Cour conclut à un risque de ces porte-greffes transgéniques est, à tout le moins, une erreur de lecture, ou... de la mauvaise foi. 

Quant à la réaction des président(e)s et directeurs/trices généraux de douze instituts de recherche qui « au nom de la communauté scientifique » expriment leur « total soutien » à l’Inra, et leur « inquiétude forte face aux conséquences d’une décision de justice », quelques questions s'imposent. Cette déclaration doit-elle être lue comme une position des milliers de chercheurs du secteur public ? Ces derniers ont-ils été consultés ? Est-ce que tous auraient été en phase avec les propos tenus par les supérieurs hiérarchiques ? Évidemment non… A l'Inra, de nombreuses visions de la recherche publique se côtoient. Et le syndicat Sud Recherche a d'ailleurs d'ores et déjà communiqué, de façon claire, pour soutenir les questions et les idées défendues par les Faucheurs, tout en signalant que d'autres moyens auraient pu être mis en œuvre.

Ces responsables d'instituts de recherche paraissent faire également preuve de confusion en écrivant que « depuis cet arrêt (...) la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées, n’est donc plus assurée »… La Cour n'a justement pas relaxé les Faucheurs de ce chef d'inculpation. La Cour n'a pas légitimé l'action des Faucheurs. Encore une fois, elle s'est attachée à montrer le caractère « irrégulier » de l'autorisation au regard du droit européen, mais cette irrégularité ne justifiait pas à ses yeux la violation de domicile…

Cette prise de position rappelle « l'affaire Séralini » où quelques Académiciens se sont permis de parler au nom des Académies, sans les avoir réellement et démocratiquement consultées… Où des chercheurs du CNRS et de l'Inserm, qui avaient pris la parole au nom de cette fameuse communauté, s'étaient faits recadrer par d'autres scientifiques des mêmes institutions. Dans une lettre publiée dans le journal Le Monde du 14 novembre 2012, ils relevaient que « les scientifiques qui se sont exprimés sur ce sujet l’ont fait en leur nom propre et ne peuvent prétendre représenter la communauté scientifique dans son ensemble »… La conclusion de cette lettre ouverte mérite d'être à nouveau mentionnée : « Disqualifier le protocole suivi dans le cadre de [l'étude de Séralini] revient à disqualifier du même coup les données ayant fondé les décisions d’acceptation des OGM par les experts ».

Comme pour Séralini et les protocoles expérimentaux, pourquoi deux poids, deux mesures ? Pourquoi dénoncer la Cour d'Appel de Colmar sans critiquer aussi le Conseil d’État ? Cette façon partielle, sinon partiale, de traiter l'information ne favorisera pas l'émergence d'un débat serein.

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