Billet de blog 28 septembre 2010

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Quelques réflexions sur Bart De Wever et la collaboration en Wallonie

Daniel Droixhe, professeur à l'Université de Liège et membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, fait le point après la tonitruante tribune de Bart de Wever, chef de file des indépendantistes flamands, qualifiant la semaine dernière de «particulièrement sommaires» les recherches «relatives à la collaboration francophone» pendant la deuxième guerre mondiale.

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Daniel Droixhe, professeur à l'Université de Liège et membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, fait le point après la tonitruante tribune de Bart de Wever, chef de file des indépendantistes flamands, qualifiant la semaine dernière de «particulièrement sommaires» les recherches «relatives à la collaboration francophone» pendant la deuxième guerre mondiale.


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Ce qu'écrit Bart De Wever de la collaboration wallonne (lire ici la dépêche de l'AFP) est partiellement faux, partiellement vrai. Qu'il y ait eu peu de recherches sur le sujet en Wallonie est faux. Outre l'ouvrage de Flore Plisnier (1) mentionné dans un article de «la Libre Belgique», je citerai deux études importantes dans le domaine de la collaboration culturelle, représentatifs de ce que la critique de Bart De Wever peut par ailleurs avoir de fondé.

A été défendu à l'Université de Liège, en 1990, un mémoire de licence (comme on disait alors) intitulé Introduction à la collaboration intellectuelle en Belgique francophone, en deux volumes, par Fabrice Schurmans. D'autre part, a été soutenue à l'Université Libre de Bruxelles en 2006 une non moins volumineuse thèse sur L'histoire de l'édition francophone belge sous l'Occupation allemande 1940-1944, par Michel Fincoeur. Ces études n'ont pas été mises dans le public et l'accès est réservé –sous des conditions draconiennes– à des chercheurs universitaires dûment pourvus d'autorisation (j'ai moi-même rencontré quelque difficulté à consulter l'une d'entre elles). Dans le cas de l'étude remarquable de Michel Fincoeur, le lecteur ordinaire doit se contenter du résumé dans le catalogue des thèses de l'ULB. De Fabrice Schurmans, on lira « Les débuts du Nouveau Journal sous l'occupation (1940-1941). Analyse critique du témoigne de Robert Poulet », paru dans Textyles (télécharger ici).

Pourquoi ces ouvrages n'ont-ils pas été publiés ? Leur volume en rend-il l'édition papier difficile ? Les moyens modernes de diffusion offrent d'autres possibilités. Des facteurs relevant d'une certaine « réserve » d'ordre juridique ont-ils empêché la publication ? Ou la « convenance » qui entoure les sujets tabous a-t-elle joué ? Il est sûr que celle-ci a tendu à occulter jusqu'ici la mise en évidence –et parfois la simple mise au jour– de faits relatifs à des formes diverses d'implication dans la vie culturelle sous l'Occupation. La bienséance empêche encore trop souvent de faire état de comportements notoirement avérés. Il faut ici « battre sa coulpe » collectivement. Ce n'est pas seulement dans certains milieux ou certains cercles qu'il est « de mauvaise compagnie » d'évoquer le racisme latent de Georges Simenon, pour ne pas dire davantage. Le cas de Hergé n'est pas du tout isolé. On pardonne beaucoup au talent. Ce serait légitime si on pardonnait aussi à ceux qui en dénoncent les taches obscures. Sur celles de Simenon, on verra utilement, de Jacques Ch. Lemaire : Simenon jeune journaliste : un « anarchiste » conformiste (Paris : Complexe, 2003).

Concernant Poulet, Colin, Pierre Daye, etc., les études se trouvent aisément, quand elles n'abondent pas (sauf quand il s'agit d'évoquer le « premier Paul Colin », de la revue Clarté au début des années 1920). Il y a un public ciblé pour ce genre de personnage. Le marché pourvoit dès lors ce lectorat en études documentées. Voir par exemple Vérités et mensonges de la collaboration : trois écrivains racontent « leur » guerre (Raymond De Becker, Félicien Marceau, Robert Poulet), par Paul Aron et Cécile Vanderpelen-Diagre (Bruxelles : Labor, Collection Quartier Libre, dirigée par Pierre Delrock, 87), 2006.

Si des nostalgiques d'extrême-droite entretiennent, notamment sur Internet, la mémoire de la « bande à Poulet », la « critique de gauche » a-t-elle fait toute la lumière sur tel ou tel membre de la compagnie ? Allons plus loin : est-elle parfois embarrassée par certaines figures ? On le comprendrait dans le cas de Pierre Hubermont. Son parcours est pour le moins sinueux, même dans ces temps troublés où la jeunesse enthousiaste des années trente se cherchait des repères pour un monde nouveau, avec les corrections de trajectoire et les revirements qu'imposaient les surprises et ruses de l'histoire. Hubermont, d'abord journaliste au Peuple, fréquentant, comme on le sait, Plisnier et les écrivains prolétariens, puis influencé par de Man, collabore pendant la guerre au Nouveau Journal de Poulet et fonde la pro-allemande revue Wallonie. Ceci lui vaudra d'être condamné, à la fin de la guerre, à la détention perpétuelle, ramenée à une libération en 1950. On est tout de même surpris de retrouver sa signature, d'après un article de Paul Delforge dans l'Encyclopédie du mouvement wallon, dans le journal Combat du Mouvement populaire wallon, à l'époque de la grève générale de 1960 (2). On n'imaginait guère, parmi les lecteurs jeunes et même âgés de Combat, dans le monde ouvrier, combien le journalisme militant ressemble au « jardin aux chemins qui bifurquent » de Borges... L'histoire réserve de ces amers retours de souvenir (3).

Le cas de Hubermont, comme celui de Joseph Mignolet, pose plus largement la question de la conception de la Wallonie qui animait dès les années 1930 certains adhérents à Rex et, plus tard, au parti de Degrelle. Celui-ci avait écrit en 1930, pour une anthologie de la littérature wallonne intitulée O dulcissima Wallonia, une préface suffisamment ambiguë pour n'être pas désavouée par tous les régionalistes entêtés de l'idée de la « race » et de ses « traditions ». Au fond, on constate l'opposition factuelle, notamment à travers la presse, de deux mouvements politico-littéraires se revendiquant d'une fidélité au terroir. On échange des mots d'oiseaux entre l'Action wallonne, de tendance plutôt libérale et socialiste, et le Cassandre de Paul Colin. En quoi les discours des uns et des autres se fondent-ils sur une vision différente de la région à laquelle ils se réfèrent ? Où se croisent ces « deux Wallonies » ? L'une revendique (souvent dans une indépendance institutionnelle assez stricte à l'égard de Bruxelles, comme chez Marcel Thiry) les droits de l'identité wallonne ; l'autre finira par animer la Légion du front de l'Est ? Il y a là une question qui devrait davantage, me semble-t-il, intéresser les historiens.

Si la recherche concernant la collaboration en Wallonie et à Bruxelles (la situation n'est pas nécessairement la même) se trouve caractérisée par une pauvre visibilité –en dehors des ouvrages faisant l'apologie de l'engagement dans les armées allemandes– cet état de choses relève-t-il d'une responsabilité largement partagée ? Le public lui-même n'a-t-il pas, pressé par d'autres soucis, relégué les questions de collaboration culturelle parmi les « vieilleries » indignes d'un intérêt moderne ? L'éloignement des autorités politiques de niveaux divers, à l'égard de ces questions, est un fait patent, quand on considère par exemple l'appui accordé aux fonds ou groupes de recherche traitant de l'histoire de la Wallonie et du mouvement wallon. A nouveau, la convergence médiatique unissant d'une part la politique scientifique et culturelle, et d'autre part le public qu'elle doit satisfaire, tend à laisser sous le boisseau des personnalités littéraires dès qu'elles sont honorées de la reconnaissance internationale. Les médailles peuvent également faire briller et éblouir. A chacun de chercher et de communiquer, dans l'histoire difficile de la « collaboration » ou de la complaisance envers le nazisme, sa part de vérité. Il reste à faire.

(1) Fl. Plisnier, Ils ont pris les armes pour Hitler, Bruxelles : Groupe Luc Pire/ CEGES, 2008.

(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Hubermont et l’étude de F. Schurmans, p. 207 sv.

(3) Voir la réédition de Treize hommes dans la mine de Hubermont, avec la mise au point de Jacques Cordier (Bruxelles : Labor, Collection Espace Nord).

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