« Il est faux de dire que le risque de thrombose a été caché. Il est connu depuis bien longtemps, mais il a été occulté par des arguments de confort », affirme Jean-François Bergmann, professeur de thérapeutique à l'hôpital Lariboisière (Paris) et ancien vice-président de la Commission d’AMM. Et selon lui, «il est illusoire de croire que l’AMM européenne de ces pilules de 3e et 4e générations puisse être retirée».
On pourrait résumer l’affaire en quelques mots : les pilules de 3e et 4e génération exposent à un risque accru de thrombose veineuse ou artérielle, l’information est mal passée, elles ont été sur-prescrites, elles ne seront plus remboursées et leur autorisation de mise sur le marché (AMM) va être revue au niveau européen. Pourtant, d’autres faits importants méritent d’être soulignés.
On a oublié de rappeler que ces pilules de 3e et 4e générations ont été présentées comme plus naturelles, moins dosées, mieux supportées : moins de prise de poids, moins d’acné, moins de tension mammaire. C’est cela qui a fait leur succès initial et ces éventuels bénéfices, en termes de confort, ont habilement occulté les risques vasculaires. Les prescripteurs, notamment gynécologues, les leaders d’opinion, l’industrie, la presse grand public, les magazines féminins, ont fait le succès de ces pilules. Les laboratoires pharmaceutiques savaient que ces avantages n’avaient pas de grande pertinence clinique. S’ils avaient demandé le remboursement de ces pilules, elles auraient eu un prix comparable aux pilules de première génération.
Ce sont donc les laboratoires eux-mêmes qui ont choisi de ne pas demander de remboursement, ce qui leur permettait d’avoir un prix libre. Comme pour un smartphone ou une console de jeux, les consommatrices ont été séduites par la notion de « nouvelle génération » qu'elles ont été prêtes à payer huit fois plus cher, sans remboursement. Et les laboratoires comme les prescripteurs les y ont incitées.
Au cours du temps, ce n’est que lorsque le marché des pilules de 3e et 4e génération s’est encombré que les dernières venues ont demandé le remboursement (à un prix proche de celui des 1ère et 2e génération), sans pour autant qu’elles soient réservées aux femmes intolérantes aux pilules de 1re ou 2e génération, et ce malgré un risque accru de thrombose.
Il est illusoire de croire que l’AMM européenne de ces pilules de 3e et 4e générations puisse être retirée. Même si la France proposait cette décision à ses partenaires européens, le vote a lieu à la majorité, et la majorité des pays est contre le retrait de l’AMM, car ces pilules y sont prescrites avec discernement. Ils diront : « Si les Français prescrivent trop et mal, qu’ils améliorent leurs pratiques mais qu’ils n’obligent pas les Européens à changer les leurs lorsque celles-ci sont correctes ». Un retrait d’AMM européenne ne se fait qu’en cas de problème de santé publique nouveau et majeur, or le risque de thrombose est connu depuis le début. Lorsque la France a voulu retirer l’AMM à un antidiabétique oral, la pioglitazone (Actos), elle n’a pas été suivie par l’Europe et elle a été obligé de le remettre sur le marché
Il faut expliquer mieux qu’il n’y a pas contradiction à vouloir dérembourser une pilule tout en la laissant sur le marché. En déremboursant, on souligne le risque accru de thrombose et on incite à prescrire de meilleurs choix : les pilules de 1ère et 2 e génération, qui restent remboursées. La Sécurité sociale a tout à gagner à ne pas prendre en charge une pilule qui pourrait entraîner des coûts de santé très importants par les thromboses qu’elle risquerait d’entraîner. En revanche, pour les quelques milliers de femmes qui voudraient absolument des pilules de 3e génération, ce choix thérapeutique doit rester disponible, mais à leurs frais. Ne laisser sur le marché qu’un seul type de pilule serait se priver de la diversité utile pour répondre aux besoins forcément variables de milliers de femmes. Certains antidépresseurs, certains antihypertenseurs sont plus à risque que d’autres mais ils restent utiles dans certains cas et la pharmacopée ne peut pas se réduire à une seule molécule par maladie.
Il est faux de dire que le risque de thrombose a été caché. Il est connu depuis bien longtemps, mais il a été occulté par des arguments de confort. Face à la crédulité des consommatrices et des prescripteurs, une amélioration de l’information officielle telle que proposée actuellement a bien moins de portée que des méthodes plus radicales comme un renforcement de l’éducation et de la formation continue d’un médecin ou un contrôle des prescriptions. Il serait techniquement aisé de vérifier qu’une prescription de pilule de 3e ou 4e génération ne puisse se faire qu’après une tentative loyale de contraception avec une pilule de 1ère ou 2e génération. Mais dès qu’on touche à la formation des médecins (la formation continue n’est toujours pas obligatoire dans cette profession à haut risque), dès qu’on parle contrôle des prescriptions, les politiques, les syndicats médicaux et l’Ordre des médecins se lèvent comme un seul homme au nom de la pseudo liberté de prescription pour défendre des avantages corporatistes et empêcher toute réforme de fond permettant le contrôle et l’amélioration de l’acte thérapeutique.
Si le risque thrombotique de ces pilules était connu, il était très mal quantifié. Les précédentes réévaluations du bénéfice/risque faites par les agences nationales se sont basées sur des données de pharmacovigilance artificiellement tranquillisantes. Il faut enfin admettre que le système français de notification des événements indésirables aux centres régionaux de pharmacovigilance n’est qu’un vaste gruyère : moins d’1% des événements thrombo-emboliques ont été notifiés ! Nous possédons pourtant des outils pharmaco-épidémiologiques efficaces pour mesurer la réelle incidence des événements thrombotiques, mais il manque la volonté politique de les mettre en œuvre.
Finalement, les ingrédients de ces scandales sanitaires sont toujours un peu les mêmes : des laboratoires rusés, des leaders d’opinion cupides, des prescripteurs crédules, des patients instrumentalisés et une administration somnolente. Les vraies réformes passent par une formation et une information plus rigoureuse et un réel contrôle des prescriptions.