«Ce qui manque à cette campagne, c’est l’évidence du lien unissant social et écologie», regrettent Frédéric Denhez, journaliste, auteur de la Dictature du carbone, et Mathieu Jahnich, directeur associé de l’agence Wanacôme, qui déplorent que «la crise écologique soit passée sous l’ombre de La Crise».
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Quel contraste! En 2007, chaque candidat à la présidentielle y allait de sa danse prénuptiale autour du bon Nicolas Hulot. Obligés par l’idole de se positionner par rapport à la crise écologique, les postulants n’avaient plus que vert en bouche. Ayant signé, presque tous, le Pacte écologique, ils purent aller en tribune avec l’onction du Grand médiatique. Cela donna un Grenelle de bon aloi, non par ses résultats, mais par le déblocage qu’il entraîna dans maints esprits: le symbole du Grenelle a décomplexé, ôté des scrupules, il a rendu banals l’initiative et le discours écolo, il a mis autour de la même table des acteurs qui se tournaient le dos.
Cinq ans sont passés et le vert a quitté la campagne. La crise écologique est passée sous l’ombre de La Crise. Pourtant, celle-ci n’est que l’acmé d’une crise de civilisation dont le premier donneur d’alerte est la crise écologique. Répondre à l’une, c’est répondre à l’autre. Les écolos ont raison: c’est bien un changement structurel profond, un autre système de valeurs, une renverse du modèle économique, qui permettra à nos sociétés abîmées de s’adapter aux contingences écologico-énergético-géopolitiques modernes.
Alors, pourquoi ne font-ils pas plus de 3 % dans les intentions de vote? Pourquoi eux-mêmes ne causent-ils que nucléaire et énergies renouvelables et profèrent-ils d’attendues incantations contre les vilains Marchés?
Il y a La Crise, évidemment, qui permet de faire semblant d’agir, de désigner des boucs émissaires, d’en appeler à la responsabilité de l’effort sous peine de Déluge. Dans ce genre de discours, «l’environnement, ça suffit», forcément. D’autant que le discours écolo, trop technique, mal relié aux problèmes de la vie quotidienne, souvent culpabilisateur, passe mal auprès du peuple. Et puis, proféré par une dame à l’accent, une juge aux lunettes rouges dont une des rares propositions compréhensible semble être des jours fériés confessionnels, ce discours ne s’entend pas.
Il y a pourtant bien du vert dans les programmes: enfoui, terne, qui se cache souvent à lui-même et qui prend de l’éclat aussitôt qu’on le déterre. La TVA sociale par exemple. La taxe carbone était très semblable dans sa construction, pour un objectif comparable. Elle avait le mérite supplémentaire de relier le social et l’écologie. Mais ces deux mesures sont affligées de deux tares: la Cour des comptes n’a jamais vu que l’allégement des charges sociales eut participé à la création d’emplois; et ajouter une énième taxe à un système fiscal notoirement inefficace et inégalitaire ne fait qu’accroître l’inefficacité et l’inégalité. Et donc le rejet par le peuple dont la situation financière empire.
Le «made in France», lui, parle au peuple. Il y a cinq ans, ceux qui en causaient étaient taxés de patriotisme, c’est-à-dire, en langage précieux, de racisme et d’archaïsme. Aujourd’hui, les candidats découvrent l’évidence que la «concurrence libre et non faussée» n’est qu’une ânerie dogmatique: une concurrence entre des niveaux socio-économiques différents n’est qu’un avantage concurrentiel offert au moins-disant. Lequel l’est souvent également sur le terrain de l’écologie. Pour autant, de quel «made in France» parle-t-on? Pensé en France? Assemblé en France? De marque française?
Cette question rejoint celle de la réindustrialisation du pays. Néolibéraux et écolos s’étaient rejoints dans le mépris pour l’industrie qui est vieille garde, qui pollue, qui coûte cher… Alors concevons chez nous mais faisons produire ailleurs. Ainsi, nous avons délocalisé la pollution industrielle (et un tiers de notre budget carbone), contribué à l’apparition d’un sous-prolétariat aux antipodes et fait exploser l’usage des transports intercontinentaux, gourmands en énergie. Pire! Le secteur tertiaire, qui a remplacé le secteur industriel, s’est révélé un gouffre énergétique et une catastrophe sociale. Et puis en délocalisant, nous avons aussi délocalisé la réflexion. Aujourd’hui, les centres de recherche et développement industriels (parfois de marques bien françaises comme Renault), qui font les brevets et les avantages concurrentiels, sont étrangers. Réindustrialiser, ce n’est donc pas que promouvoir des circuits courts, c’est aussi, paradoxalement, maîtriser les impacts et maintenir des cerveaux et des emplois à haute valeur ajoutée en France. Emplois qualifiés que n’offrira pas «l’économie verte» développée sur notre tissu industriel actuel, car les postes les plus élevés ne dépasseront pas ceux du maçon bio et du technicien de maintenance d’éoliennes.
L’énergie, justement. Il faut sortir du nucléaire, développer les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques et thermiques. Une fois qu’on a dit cela, on a tout dit. On se balance des chiffres, on joue sur la peur de l’accident, celle de la pénurie d’électrons ou celle des pertes d’emploi. On dit que l’on peut gagner 30 % rien qu’en économisant. Mais on ne dit pas que ces 30 % seraient avalés par ce qu’on appelle «l’effet rebond». Nous roulons plus avec l’auto qui consomme moins. Nous débranchons les appareils quand ils ne fonctionnent pas, mais nous les utilisons toujours plus. Ainsi, l’efficacité énergétique de la France, multipliée par quatre depuis 1970, ne s’est pas traduite par une diminution de notre consommation énergétique. Or, cet effet rebond pourrait être corrigé, en rendant chacun de nous responsable à la fois de sa consommation et de sa production: en payant de façon exponentielle avec le gaspillage, en nous informant mieux sur ce que l’on produit et consomme. Consommer ce que l’on produit localement responsabilise les citoyens (c’est aussi valable pour l’alimentation!). Mais voilà, l’atomisation de la production d’énergie, c’est l’autonomisation des maisons, des quartiers, des territoires. Mais cette atomisation de la production remet en cause la centralisation de la production par un géant omniprésent, c’est-à-dire le Corps des Mines, ainsi que l’infantilisation du citoyen réputé incapable de décider lui-même. Que des gens puissent se regrouper en coopératives, en mutuelles de production électrique, et établir les liens d’échanges et de ventes de leur électricité entre elle dépasse l’entendement républicain: l’autonomie de décision, c’est l’autonomie. Et l’autonomie, c’est l’ennemi de la République.
Ce qui manque à cette campagne, c’est l’évidence du lien unissant social et écologie. Jusqu’au ridicule. Voyez la précarité énergétique: un simple problème de coût de l’essence? Non! Ce qui coûte à l’automobiliste, c’est l’étalement urbain qui le condamne à ne pas disposer de transports en commun, à faire ses courses et aller au cinéma dans des complexes inhumains, à vivre dans une maison en parpaings-BA 13 chauffée à l’électricité. Or, l’étalement urbain, c’est aussi la fragmentation des milieux naturels, la perte de terres agricoles fertiles, l’augmentation du risque d’inondation et de coulées de boue, l’uniformisation des paysages… L’écologie s’occupe bien de la Cité. Elle n’est ni de droite ni de gauche, mais elle est, au sens propre, un socialisme. Elle mérite toute sa place dans le débat présidentiel.
Frédéric Denhez, journaliste, conférencier, auteur de La Dictature du carbone (Fayard) et des Nouvelles pollutions invisibles (2de édition, Delachaux & Niestlé)
Mathieu Jahnich, directeur associé de l’agence Wanacôme