Billet de blog 29 mars 2013

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L'urgence d'un pacte social européen

Constatant que « le social est le parent pauvre de l’action de l’Union en cette période de crises », Jean-Luc Bennahmias, député européen et vice-président du Modem, demande la mise en place d’un Pacte social pour l’Europe. Ce pacte vise à défendre les investissements sociaux, l’emploi des jeunes, des salaires décents, un accès universel à la santé et à un logement abordable.

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Constatant que « le social est le parent pauvre de l’action de l’Union en cette période de crises »Jean-Luc Bennahmias, député européen et vice-président du Modem, demande la mise en place d’un Pacte social pour l’Europe. Ce pacte vise à défendre les investissements sociaux, l’emploi des jeunes, des salaires décents, un accès universel à la santé et à un logement abordable.


Sur le front de la situation sociale, les mauvaises nouvelles s'enchaînent. Après plusieurs années de crise, de politiques d'austérité et d'assainissement budgétaire dans les pays européens, la dégradation de la situation sociale dans l'Union est flagrante. Les chiffres du chômage publiés cette semaine font état de près de 3,2 millions de chômeurs en France (proche du pic de 1997), soit 10,6% de la population active. En Europe, 26,2 millions de personnes sont au chômage, soit 10,8% de la population active, avec d'énormes écarts entre Etats membres (26% en Espagne et en Grèce).

Depuis le début de l'année, l'exécutif européen commence –enfin– à prendre la mesure de l'ampleur et de la gravité de la situation : dans le rapport trimestriel sur l'emploi et la situation sociale, publié mardi 26 mars par la Commission européenne, le constat est sans appel : la crise sociale atteint des niveaux sans précédents dans l'Union européenne.           

Une situation d'urgence sociale

Selon Eurostat, 120 millions de personnes étaient menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale dans l'Union en 2011, soit près du quart de la population européenne. En France, 8,6 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté (964 euros). Sans surprise, les plus touchés sont les chômeurs, les familles monoparentales, les immigrés. Début janvier 2013, la Commission européenne révèle que le revenu disponible brut a fortement diminué dans la majorité des Etats membres. Là encore, sans surprise, les plus touchés sont la Grèce, l'Espagne, Chypre et l'Irlande. Dans ces pays, les systèmes de protection sociale ne remplissent plus leur rôle d'amortisseur des effets sociaux de la crise (comme cela a pu être le cas au début de la crise). 

Durement frappés par les crises, puis sous le coup de « mémorandum » d'austérité négociés entre les gouvernements et la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI), les pays sous assistance financière connaissent une aggravation de leur situation sociale sans précédent, liée à la diminution drastique des dépenses sociales –qui a été beaucoup plus forte que lors de crises antérieures, comme la Commission européenne le reconnaît elle-même dans son dernier rapport.

Pour la première fois depuis 1975, l'Europe voit ses dépenses de santé baisser, selon le Rapport OCDE sur les dépenses sociales 2012. Une réduction d'une brutalité extrême dans certains pays, qui risque d'augmenter les inégalités. Le problème est désormais l'accessibilité du système de santé : près d'un tiers des Français ont déclaré à Eurofound avoir des difficultés à accéder aux soins à cause de leur coût. Ainsi, fin 2012, selon le gouvernement grec, plus du tiers de la population n'aurait plus d'assurance maladie. Eurostat évalue à 3,4 millions –soit 31% de la population totale– les personnes menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale dans le pays. Sous l'impact de la crise, les privations de toutes sortes s'aggravent (chauffage, alimentation, vêtements, vie sociale, congés...).

Où sont les investissements sociaux ?

Le mois dernier, la Commission européenne a publié une communication visant à promouvoir les investissements sociaux dans laquelle elle exhorte les Etats membres à orienter leurs investissements vers le social, vers l'emploi, vers l'inclusion et la lutte contre la pauvreté. En la matière, rappelons-le, la compétence reste essentiellement dans les mains des Etats membres –mais désormais aussi, dans les pays sous assistance financière, dans les mains de la Troïka. Cette dernière est l'instigatrice de politiques d'austérité très dures pour les populations européennes, qui ont conduit à la dégradation de la situation sociale. L'exécutif européen doit mettre en cohérence son discours et ses actes : il ne peut pas d'un côté prôner l'urgence de l'investissement social et de l'autre participer à l'élaboration de « mémorandum » d'austérité très sévères.

Le système actuel est intenable. Les Etats contributeurs nets ne veulent plus supporter à eux seuls la solidarité européenne et réclament plus de discipline. C'est compréhensible, mais, pour sortir du bras de fer entre Europe du Nord et Europe du Sud, contributeurs nets et bénéficiaires, nous avons besoin de ressources propres et d'harmonisation fiscale. Sans un budget européen basé sur des ressources propres et sans harmonisation fiscale, l'Europe sociale n'existera jamais. Or, nous avons urgemment besoin d'un réel pacte social en Europe. Le Parlement européen a déjà voté en faveur, mais les Etats ne suivent pas, comme nous le montrent les négociations en cours sur les différents programmes sociaux européens. Où est le budget dédié à la relance et à l'emploi ? Que ce soit sur le fonds d'aide aux plus démunis, sur l'emploi des jeunes, le Fonds social européen ou encore le Fonds d'ajustement à la mondialisation, le compte n'y est pas !

Le fonds d'aide aux plus démunis diminué

Le Programme d'aide aux plus démunis (PEAD) est devenu à la fois l'emblème de la solidarité européenne et celui des égoïsmes nationaux. Créé en 1987, ce programme vient en aide à plus de 13 millions d'Européens dans 19 pays (1). Mis en cause par l'Allemagne en 2011 (2),  le PEAD a, après de longues négociations, obtenu un sursis. Les 500 millions d'euros annuels, qui sont un minimum, sont préservés pour 2013 et 2014. Pour ce qui est de l'après-2014, la Commission européenne a proposé le 24 octobre 2012 un nouveau fonds d'aide aux plus démunis qui repose non plus sur la PAC, mais sur la politique sociale de l'Union et dont le budget sera en provenance du Fonds social européen (FSE).

Le budget dévolu au fonds dépendra de l'accord sur le cadre financier pluriannuel. Pour le moment, on est loin des 500 millions. Dans l'accord du Conseil européen des 7-8 février, les Etats se sont accordés sur 2,5 milliards sur sept ans (2014-2020), donc 357 millions par an. Le Parlement européen a rejeté, dans une résolution votée le 13 mars, l'accord budgétaire pluriannuel tel qu'adopté par le Conseil.

En ce moment, au Parlement européen, nous travaillons sur la proposition de nouveau fonds. La Commission emploi-affaires sociales, à laquelle j'appartiens, est compétente sur ce dossier et devrait voter en mai prochain. Le fonds doit être à destination des personnes en situation de privation alimentaire et son budget doit absolument être revalorisé. Il doit être simplifié d'un point de vue administratif pour que les associations –principalement composées de bénévoles– puissent remplir leur rôle au mieux.

La garantie pour la jeunesse doit être confirmée

Egalement en cours de discussion, la garantie européenne pour la jeunesse. La Commission européenne a décidé de s'attaquer à la « génération perdue » et au scandale que représente le chômage des jeunes dans l'Union. En janvier 2013, 23,6%, soit 7,5 millions de jeunes adultes, étaient sans emploi, étude ou formation (contre 5,5 millions en mars 2012, selon Eurostat). Ils sont plus de 55% en Espagne et en Grèce, 33% en Italie, 29,6% en Irlande, 25,7% en France. La Commission propose la mise en place d'une garantie pour la jeunesse : elle vise à ce que tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer une offre de qualité pour un emploi, une formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant la sortie de leurs études ou la perte de leur emploi.

Les Etats membres ont validé cette idée (qui existe déjà en Autriche ou en Finlande) et ont mis sur la table un budget de 6 milliards d'euros (dont 3 proviendraient du FSE et 3 d'une ligne dédiée) qui sera destiné à toute région dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25% (3).

Le Fonds social européen a une réelle valeur ajoutée

Cette initiative est à saluer, mais, encore une fois, on ne peut que regretter le fait que le budget sera –pour moitié– pris sur le budget du FSE, comme pour le fonds d'aide aux plus démunis. En effet, pour faire vite, une telle pratique revient à prendre à une population vulnérable pour donner à une population jugée encore plus dans le besoin (ici les jeunes). Le FSE est un fonds européen destiné à promouvoir l'emploi, investir dans l'éducation et la formation, promouvoir l'inclusion sociale et lutter contre la pauvreté. Depuis les débuts de la construction européenne, le Fonds aide concrètement sur le terrain des associations à visée sociale, soutient des projets visant à renforcer l'insertion professionnelle et sociale en Europe. C'est l'instrument central du soutien à l'emploi dans l'Union européenne : si nous voulons un réel pacte de croissance en Europe, il faut le renforcer et donner aux plus démunis et aux jeunes un budget qui leur est propre –à un niveau qui corresponde à l'urgence de la situation. 

Préservons le Fonds d'ajustement à la mondialisation

Un dernier fonds à visée sociale qui fait l'objet des baisses drastiques de la part du Conseil européen est le Fonds d'ajustement à la mondialisation (FEM). Créé en 2007, le Fonds apporte une aide aux travailleurs licenciés en raison de modifications économiques liées à la mondialisation. Il est déclenché par une demande provenant obligatoirement d'un Etat membre. L'Etat se fait ainsi le relais d'une entreprise qui souhaite bénéficier du soutien financier du FEM. A la condition que certains critères soient remplis, le FEM vient financer des mesures actives pour la reconversion des travailleurs, comme des aides à la recherche d'un emploi, des aides à la création d'entreprises ou encore des aides à la formation... Or, selon l'accord budgétaire des 7-8 février, son budget passerait de 500 millions par an à 150 millions.  

Nous avons besoin d'un pacte social européen fort 

Force est de constater que le social est le parent pauvre de l’action de l’Union en cette période de crises. Les règles contraignantes en matière de discipline budgétaire et de surveillance des politiques économiques et budgétaires devraient s’accompagner de règles en matière d’emploi et de critères sociaux : nous demandons la mise en place d’un Pacte social pour l’Europe qui défende les investissements sociaux et promeuve l’emploi des jeunes, des salaires décents, un accès universel garanti à certains services de santé essentiels pour la couverture des besoins fondamentaux mais aussi des services publics de qualité (notamment d'éducation et de formation) et l’accès à un logement abordable. 

C’est peu de dire que l’Union traverse depuis déjà quelques années une crise profonde –une crise économique, sociale, sociétale, institutionnelle et finalement une crise de sens. C’est pourquoi l’idée d’un pacte social est pour moi fondamentale. Nous l'avons voté au Parlement européen, la Confédération européenne des syndicats comme la Plateforme sociale européenne ou encore l'Organisation internationale du travail le réclament à corps et à cris depuis longtemps, agissons en ce sens !

Jean-Luc Bennahmias, député européen, vice-président du Modem


(1) Belgique, Bulgarie, République tchèque, Estonie, Grèce, Espagne, France, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Hongrie, Malte, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie et Finlande.

(2) Pour mémoire, le Programme était basé sur les surplus de la Politique agricole commune (PAC). Mais, depuis la fin des surplus agricoles, le Programme était abondé par des achats sur le marché. L'Allemagne, qui n'utilise pas le Programme, a contesté sa validité devant la Cour de justice européenne et a obtenu gain de cause, ce qui a eu pour conséquence la nécessité de créer un nouveau fonds.

(3) Régions françaises qui seraient concernées selon les statistiques de 2011 : Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardennes et Nord-Pas-de-Calais (pour ce qui est de la métropole). D'autres régions pourraient se rajouter selon les chiffres 2012.

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