Billet de blog 29 juin 2015

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Monsieur Buisson, « Si Paname m’était conté » n'est pas un film documentaire

Ruth Fiori, historienne du patrimoine et Pauline Duyck, restauratrice du patrimoine adressent une lettre ouverte à Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire (TF1), au sujet de « Si Paname m’était conté ». Elles y dénoncent un parti pris et trouvent « ennuyeux qu'il soit présenté comme un "film documentaire" ».

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Ruth Fiori, historienne du patrimoine et Pauline Duyck, restauratrice du patrimoine adressent une lettre ouverte à Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire (TF1), au sujet de « Si Paname m’était conté ». Elles y dénoncent un parti pris et trouvent « ennuyeux qu'il soit présenté comme un "film documentaire" ».



Monsieur,
Nous avons eu la possibilité d’assister à l’avant-première de « Si Paname m’était conté » ce mardi 22 juin.
Travaillant toutes deux en lien avec l’histoire de Paris, nous aimons les images d’archives, les instantanés inédits, les photographies anciennes faisant revivre un Paris révolu.


Mais nous ne pouvons pas ne pas réagir à votre production, que vous présentez comme un « film documentaire » et que vous introduisez comme « un hommage nostalgique, un hommage au petit peuple parisien, gouailleur et frondeur, malicieux et irrévérencieux, une élégie pour un type humain broyé par les mâchoires d’acier des aménageurs de territoire et le sinistre laminoir de la modernité ». Dans votre discours d’introduction, vous n'avez pas hésité à employer le mot « génocide » pour caractériser le « changement de peuplement » qui a accompagné le changement de paysage urbain des trente glorieuses. Vous avez aussi parlé de « nostalgie coupable » pour évoquer les émotions suscitées en vous par cette époque.


Monsieur, nous ne comprenons pas le sens de votre film. Quel est ce Paris dont vous êtes si nostalgique ? Celui que l’on voit dans votre film est celui des quartiers populaires et miséreux. Vos images insistent sur les immeubles insalubres, les hôtels meublés et les taudis. Une réalité sociale dure et sordide, avec des logements d’une pièce sans chauffage sous les toits, des toilettes dans la cour, des enfants dormant à quatre dans un lit. Les cadavres de jeunes filles tirés de la Seine, les soulards des pavés, les petits métiers, les filles de joies, expression qui semble pour vous être une jolie désignation pittoresque. Auriez-vous réellement aimé avoir vécu enfant dans ce Paris-là ? Est-ce cela dont vous êtes nostalgique ?

Nous habitons l’une dans le 11e, l’autre dans le 19e arrondissement, et nous sommes heureuses de vivre dans le Paris d’aujourd’hui. La modernité a du bon. Et pourtant, ce Paris aussi comporte sa part de misère.


Libre à vous de regretter la réalité sociale des quartiers populaires des années 1950. Il est cependant ennuyeux que votre film, produit par la chaîne Histoire, soit présenté comme un « film documentaire » : mêlant extraits d’archives, extraits de films, citations littéraires et chansons populaires, le tout est totalement fondu et lissé sans que ne soient mentionnées les sources de ces extraits au moment même de leur passage (elles sont listées à la fin du générique) et sans qu’il nous soit donné de distinguer l’archive d’une production artistique, hormis par le fait de reconnaître Jean Gabin ou bien une photographie de Doisneau. Aucune date précise n'est évoquée, aucun fait historique. Vous ne faites aucune référence au contexte de l'après-guerre qui a pourtant profondément marqué cette décennie. Il ne s'agit ici que d'un enchaînement de citations récitées par des acteurs tentant désespérément de prendre l'accent parigot sur un air d'accordéon qui tente de faire oublier la misère sociale à vos yeux si romantique. Souvenons-nous qu'en 1954, au beau milieu de vos « folles années » l'Abbé Pierre lançait un appel dans lequel il rappelait que « Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. » Parmi eux, certainement, les enfants des rues que vous nous montrez la larme à l'œil et le « c'était mieux avant » au bord des lèvres.


Cités à plusieurs reprises dans ce marasme de passéisme et de discours populiste, Ferré, Brassens, Prévert se retournent à coup sûr dans leur tombe…

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