Politique pénale, pénitentiaire, migratoire ou psychiatrique: les droits de l'homme, mis à mal par la présidence Sarkozy, ne doivent pas être oubliés par les prétendants socialistes à sa succession. Par Renaud Helfer-Aubrac (1).
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Il faut s'inquiéter que les droits de l'homme soient une nouvelle fois les grands absents des programmes des partis de gauche.
Certes, parce que la France les considère comme universels, les droits de l'homme sont un instrument de politique étrangère. En ce sens, la France doit chaque fois que c'est possible intervenir aux côtés de ceux qui revendiquent le droit à plus de liberté.
Mais les droits de l'homme sont aussi et avant tout un instrument de politique intérieure.
La présidence de Nicolas Sarkozy laisse la France dans un état critique. En charge des questions de sécurité depuis 2002, bientôt dix ans, l'échec est patent. Mais ce qui est plus grave encore, c'est que la République, loin de fédérer les Français et de faire société autour des valeurs républicaines humanistes, est devenue la scène d'un affrontement permanent. Les Roms contre les autres, ceux qui se lèvent tôt contre les assistés, la police contre la justice, etc. C'est une France à la dérive qui, en abdiquant sur la sauvegarde de l'héritage des Lumières, est en train de renoncer à sa place parmi les grandes nations.
Sans programme, le candidat Sarkozy a choisi de poursuivre dans cette voie, en ayant l'audace de parier, pour la campagne 2012, sur la sécurité. Son quarteron de conseillers en la matière, Messieurs Buisson, Ciotti, Guéant et Hortefeux, est en place et les premières surenchères déjà annoncées.
Le PS a le devoir de se tenir prêt sans se laisser aveugler par les mirages sécuritaires.
Pour ne pas être une préoccupation quotidienne des Français, les droits de l'homme n'en sont pas moins au cœur de la République. Si les citoyens se sentent les fiers héritiers de ces droits et qu'ils considèrent leurs fondements juridiques comme acquis, ils savent que leur application concrète est toute relative. Il est vrai, le respect des droits de l'homme est au quotidien, dans l'administration d'un pays, un combat encombrant. Le respect commence par celui des valeurs les plus fondamentales. C'est un combat politique.
Au-delà de sa puissance économique, diplomatique et militaire, la France doit pouvoir mesurer son rayonnement à sa capacité de gérer dans la dignité les populations qui sont à sa marge. Sans être ni idéalisés ni méprisés, les droits civils, politiques, économiques et sociaux fixent le cadre très pratique de cette ambition.
Régulièrement dénoncées par les associations de défense des droits de l'homme, les conditions de détention sont déplorables. La surpopulation carcérale, de 115% au dernier recensement, le délabrement des cellules dont la moitié datent d'avant 1914, et le nombre de détenus en attente même d'un jugement –près de 17000 personnes– engendrent suicides, violences entre détenus et envers les surveillants. Les professionnels ne parlent plus de réinsertion, mais de prévention de la récidive. L'échec des politiques publiques en la matière est devenu le symbole de la faillibilité de la République. Pour un coût moyen unitaire à la construction de 100 000 euros la cellule, selon les experts, le PS doit proposer un plan ambitieux sur plusieurs quinquennats. La France aurait ainsi la possibilité de s'affranchir des politiques démagogiques émotionnelles sur lesquelles la droite a joué dangereusement depuis dix ans. La politique pénale devra également être réformée. Si la recherche d'alternatives à l'incarcération des courtes peines doit prévaloir, le PS doit mettre un terme à l'esprit du tout répressif qui pèse sur les juges comme sur les forces de police. Mettre un terme au renforcement systématique du parquet au détriment des juges d'application des peines.
Ce qui est valable pour les prisons l'est également en matière d'internement psychiatrique ou encore pour la justice des mineurs. A ce titre, le récent projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, en cours d'examen au Sénat, est révélateur de la volonté de la droite de rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs. Cet acquis humaniste, on le voit, est en passe d'être vidé de sa substance. Ni les juges, qui sont les garants des libertés, ni le Conseil d'Etat –pourtant juge et partie– ni même le Conseil Constitutionnel n'ont pu sanctuariser ces acquis. Ce ne sont pas les seuls. Les autorités administratives indépendantes –dont les présidents sont toujours nommés par l'exécutif– se sont elles-mêmes avouées impuissantes à jouer pleinement leur rôle de vigie républicaine.
Les lois en matière d'immigration sont toujours plus sévères. Elles entraînent mécaniquement des violations de droits humains. La possibilité pour un demandeur d'asile d'un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d'asile n'est toujours pas systématique. Le candidat du PS dans son programme doit établir cette garantie. Il n'est par ailleurs pas acceptable de lutter contre l'immigration illégale par n'importe quel moyen. Les conditions de vie dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative doivent être totalement revues, et les pratiques discriminatoires et racistes éradiquées.
Ces questions ne sont pas oubliées et elles ont bien toutes leur légitimité dans le débat, aux côtés des autres mesures de politique générale. Elles sont à la base du respect de chaque citoyen envers son prochain, du respect que la France se doit à elle-même.
La campagne présidentielle est lancée. Nous sommes dans la première séquence, celle des primaires socialistes. Alors que la droite a un candidat mais pas de programme, le Parti socialiste s'est entendu sur le socle d'un projet avant de désigner la personne qui l'incarnera. Les primaires vont permettre aux différentes sensibilités du PS de s'exprimer, sans se résumer à un affrontement de personnes. Les candidats se départageront sur le fond, en proposant la vision de la France qui leur est propre.
Le socle du projet est consensuel et ne prétend pas être exhaustif. L'enjeu des primaires est d'en combler les lacunes.
Dès lors, les droits de l'homme, les libertés fondamentales et donc le respect de la dignité humaine sous toutes ses formes ne sauraient être oubliés du débat. Faute de quoi la France se perdra, et le Parti socialiste en portera la responsabilité.
(1) Renaud Helfer-Aubrac est l'auteur de Passage de témoin, Entretiens avec Raymond Aubrac, éditions Calmann-Lévy, 201.