Un mouvement de protestation est organisé dans l'éducation nationale ce mardi pour obtenir le retrait du projet de réforme de l'évaluation des enseignants et dénoncer les 14.000 suppressions de postes de la rentrée 2012. Pour Didier Desponds, maître de conférences en géographie à l'université de Cergy-Pontoise, l'une des réformes les plus calamiteuses du quinquennat de Nicolas Sarkozy aura été celle de la formation des enseignants.
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Parmi les multiples réformes calamiteuses du quinquennat de N. Sarkozy se distingue en bonne place celle de la formation des enseignants. Elle mérite de figurer sur le podium des échecs retentissants, au côté de la loi TEPA ou de l’Union pour la Méditerranée. Cette réforme, lancée, rappelons-le en juin 2008 a accumulé tous les défauts de la pratique sarkozienne. En cela, elle est emblématique d’un mode de fonctionnement, d’une façon de concevoir et d’engager les « réformes ».
Il s’agissait de modifier en profondeur la manière de former les enseignants en élevant le niveau de leur recrutement au niveau Bac + 5 et en confiant leur formation aux universités et non plus aux seuls IUFM. Or, cette « réforme » a accumulé les fragilités, identifions-les :
- Absence de cadrage initial du ministère quant au contenu de la formation.
- Absence de prise en compte des exigences de la professionnalisation des enseignants. Des stages professionnels ont, a minima, été intégrés dans les cursus, à l’initiative des universités, lorsqu’elles purent le faire en relation avec les rectorats.
- Absence d’écoute des critiques sans cesse réitérées par les responsables de formation des universités.
- Complication extrême résultant de l’année de master 2 lors de laquelle les étudiants doivent tout à la fois préparer leur master et leur concours.
- Modification des règles du jeu avec ajouts de certifications obligatoires (C2i2e et niveau B2 en langues), le tout venant se cumuler aux stages en responsabilité inscrits de manière tout à fait indispensable dans les formations.
- Les effets de cette réforme se sont rapidement fait sentir par la chute forte des étudiants s’inscrivant aux différents concours (de professeurs des écoles comme de professeurs des lycées – collèges).
Les raisons ayant conduit N. Sarkozy a persister dans une réforme ayant suscité de multiples critiques résultent de plusieurs registres. Le rejet dogmatique des IUFM considérés comme de dangereux foyers du pédagogisme, mais aussi la volonté masquée de recruter toujours davantage d’enseignants sans passer par le filtre des concours. Ne négligeons pas l’argument financier, l’Etat souhaitait faire de substantielles économies en n’ayant plus à rémunérer les élèves stagiaires (les anciens PE2 ou PLC2 des formations IUFM exerçaient à mi-temps), tout en promettant des améliorations financières pour les débuts de carrière. Partant de cette situation, sans revenir nécessairement à la situation ante, est-il possible de dessiner des pistes pour améliorer de façon sensible la formation des enseignants ? Ceci constitue un enjeu majeur. Former les enseignants permet de donner une cohérence aux grandes orientations qui vont structurer dans la durée les différents niveaux de scolarisation en France. Il s’agit d’un pari sur l’avenir, d’un investissement pour le futur et non d’un coût devant être réduit par tous les moyens… Cinq pistes pour le moins seraient à envisager :
Piste n°1 : Rompre avec le positionnement du concours en septembre de la deuxième année de master pour les professeurs des écoles et en novembre pour les professeurs des lycées – collèges, les PLP et les CPE. Les concours d’admissibilité devraient être positionnés en fin de M1. Ceci permettrait d’alléger et de réorganiser l’année de M2.
Piste n°2 : Faire de cette année de M2, une véritable année de professionnalisation, en alternance si possible. Les étudiants ayant une responsabilité partielle de classe pourraient asseoir progressivement leurs propres méthodes et se familiariser avec le fonctionnement des établissements scolaires comme des équipes pédagogiques. Les ministres de l’Education nationale, X. Darcos, puis L. Chatel, ont menti en permanence sur la dimension professionnelle de la réforme dont ils avaient la charge. Elle est insignifiante en comparaison de ce qui existait auparavant. Il s’agit de renforcer cet aspect essentiel de la formation.
Piste n°3 : Rompre avec la valorisation systématique des pratiques individuelles des enseignants. L. Chatel pousse toujours plus loin l’individualisation des rémunérations. Or, être enseignant, c’est travailler dans une équipe éducative. Une responsabilité de classe repose certes sur une relation entre un enseignant et des élèves, mais également sur la cohérence du discours et des pratiques des équipes. Ce volet devrait être renforcé dans la formation initiale des enseignants. Il ne s’agit pas de travailler seul pour être évalué seul, mais bien d’être capable de s’impliquer au sein d’une équipe, d’y concevoir des projets et de faire face collectivement aux difficultés lorsqu’elles surviennent.
Piste 4 : Permettre aux étudiants qui le souhaitent de conclure leur année de master 2 par un mémoire de recherche, en relation avec leur discipline pour les professeurs des lycées – collèges ou les sciences de l’éducation pour les professeurs des écoles. Un nombre croissant de masters universitaires sont aujourd’hui à double finalité (professionnelle et recherche), il peut en aller de même pour les masters enseignement, en fonction du profil que l’étudiant envisage de donner à sa future carrière. Il s’agirait ainsi de laisser aux enseignants des portes ouvertes pour l’avenir.
Piste 5 : Rompre avec la pénurie des recrutements, en s’engageant dans un programme pluriannuel sur cinq années. Les étudiants ont besoin de visibilité quant aux perspectives d’obtention des concours. S’engager dans une formation d’enseignant nécessite un minimum d’anticipation. Compte tenu des évolutions de la démographie scolaire il est aisé de prévoir les besoins à moyen terme et par conséquent d’évaluer les recrutements nécessaires.
Améliorer la formation des enseignants constitue un enjeu majeur pour une société, qu’il s’agisse de son fonctionnement démocratique comme de sa capacité à faire face aux enjeux de l’innovation. Sur ce point, le bilan de N. Sarkozy et de ses fidèles équipes est désastreux. Le système a été déstabilisé sans la moindre cohérence, si ce n’est la recherche du coût minimal et celle de l’atomisation des personnels de l’enseignement. On est en droit d’attendre que les candidats à la présidentielle se saisissent de ce dossier pour ce qu’il est : un enjeu majeur pour le futur. Et que ceci conduise à une rupture définitive avec des pratiques qui mènent droit à l’effondrement de l’Education nationale.
- Dernier ouvrage paru : Desponds D. (sous la direction de) : « Pour en finir avec l’égalité des chances. Refonder la justice sociale ». Ed. Atlande. 2011.