L'économiste allemand Heiner Flassbeck juge « ridicule et dangereux » le choix de François Hollande pour une politique de l'offre afin de renouer avec la croissance et de combler le retard de compétitivité de la France par rapport à l'Allemagne. « Tous ces “nouveaux sociaux-démocrates” ne survivront pas politiquement. Ils ne préparent que le chemin pour l’extrême droite. »
Ce qu’on avait prédit dans ces colonnes au sujet du discours du président français s’est réalisé. Dans sa politique économique, le président François Hollande a pris un tournant « assez explosif ».
Lors de sa conférence de presse du début de l’année, il a quasiment lâché l’ensemble des idées défendues lors de ses dix-huit premiers mois au gouvernement. Par son tournant, il veut « soulager les entreprises pour augmenter la compétitivité » de la France vis-à-vis d’autres économies –en abaissssant les charges sociales des entreprises, en réduisant drastiquement les dépenses de l’Etat et en « simplifiant » les procédures bureaucratiques. Une politique « déja vue » en Allemagne et ailleurs...
Oui, il a prononcé la phrase décisive qu’il se revendique « social-démocrate moderne ». Désormais, la presse conservatrice néolibérale mainstream va dire qu’il a « compris la realpolitik économique » : ce qui veut dire qu’une politique économique ne serait possible qu’avec le consentement au moins tacite du patronat. Hollande a dit qu’il va conduire « une politique de l’offre ». Mot pour mot, il a repris l’interprétation (assez simpliste) de la « loi » de J.B. Say selon laquelle « l’offre créera sa propre demande »... ça y est, un autre gouvernement se voulant social-démocrate/socialiste, élu comme alternative à la politique néoliberale par ses électeurs, a dû –par manque de programme et mesures économiques délibérement préparés– s’humilier devant le patronat après seulement dix-huit mois au pouvoir.
D’abord, l’argumentation spectaculaire de gauche de Hollande sur les impôts, comprenant l’augmentation des taxes pour les super-riches. Et maintenant, un soutien aussi spectaculaire pour les entreprises suite à son interprétation de la « loi » de Jean-Baptiste Say. A croire qu’une économie en récession et se trouvant dans un retard majeur de compétitivité face à son concurrent le plus important dans une même union monétaire pourrait améliorer sa position par une politique économique d’offre –c’est à la fois ridicule et dangereux. Mais c’est Hollande lui-même qui est politiquement responsable de la situation déplorable dans laquelle l’économie française se trouve de nos jours. Dès le début de son mandat, il n’a pas analysé assez sérieusement les problèmes de la zone euro ni comparé et évalué les différentes stratégies possibles (s’offrant dans l’intérêt de la France).
S’il l’avait fait, il aurait probablement découvert que, pour l’ensemble de la zone euro, il n’y a comme issue à la crise européenne que le chemin en avant, le chemin de la croissance contre le choix de la récession. Il aurait dû –dès le début de son mandat– mettre en cause publiquement la politique d’austérité allemande (se battre avec Merkel au lieu de se soumettre à elle) et faire remarquer et discuter largement les fautes commises par les Allemands (non-respect du but commun de l’inflation de 2%, non-respect des hausses de salaires réelles selon le gain de productivité; diminution du niveau des salaires réels de 4,2% entre 2000 et 2010 en Allemagne). Ce que Hollande et son équipe sont en train d’instaurer comme politique économique française, c’est le chemin de retour pour tenter d’égaler –en termes de compétitivité– le niveau allemand. Ce choix constitue une décision fatale parce qu’il va renforcer dans l'Union européenne l’état régnant de déflation et de récession.
Mais tous ces « nouveaux sociaux-démocrates » ne survivront pas politiquement. Ils ne préparent que le chemin pour l’extrême droite, une menace vitale pour l’Europe que nous avons déjà à plusieurs reprises évoqué ici dans nos colonnes. En France, on aurait pu du moins attendre comme réaction politique la démission symbolique de quelques ministres.
Un certain Tony Blair n’a jamais laissé de doutes sur le programme (néoliberal) de son New Labour. Gerhard Schröder pourrait signaler, pour sa défense, qu’il avait avant les élections de 1998 de profondes différences de conception politique avec son rival Oskar Lafontaine. Ce qui l’aurait empêché de clarifier publiquement ses « vrais choix » avant les élections. Mais pour quelqu’un qui se fait élire expressément comme socialiste pur dans la tradition réformatrice (d’un Jaurès ou Roosevelt), on peut, à juste titre, reprocher qu’en prenant ce tournant brusque après dix-huit mois d’hésitations, il a menti à son électorat.
Heiner Flassbeck, économiste allemand, ancien directeur à la Cnuced, ancien secrétaire d’Etat au ministère des finances auprès d’Oskar Lafontaine, ancien professeur à l’université de Hambourg.
Article paru sur son blog flassbeck-economics le 15 janvier et traduit pour Mediapart par Gerhard Kilper