Billet de blog 31 mars 2011

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La manifestation des petits pois

Après la journée de mobilisation des magistrats, mardi 29 mars, Alain Anziani, sénateur (PS) de Gironde, dénonce le «patient travail d'usure du contre-pouvoir judiciaire» par l'exécutif.

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Après la journée de mobilisation des magistrats, mardi 29 mars, Alain Anziani, sénateur (PS) de Gironde, dénonce le «patient travail d'usure du contre-pouvoir judiciaire» par l'exécutif.

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Il y a quelques mois, le président de la République comparait les magistrats à des «petits pois», avec cette précision aimable, «la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur».

Et puis un jour, les petits pois ont décidé de sortir de leur casserole. Mardi, ils ont défilé devant les Palais de justice avec un mot d'ordre: «il faut changer de cuisine et même de cuistot».

Le procureur général de la Cour de Cassation fut le premier à refuser de se laisser assaisonner. Dans son allocution de rentrée solennelle, Jean-Louis Nadal dressa ce réquisitoire aussi rare que courageux: «Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l'opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge... tout cela avilit l'institution et, en définitive, blesse la République.»

Oui, la République est blessée. Blessée plus par le mépris que par le manque de moyens matériels. Blessée à vif aussi par cette entaille faite à la séparation des pouvoirs.

Est-ce important, dira-t-on? Pas plus important que la Constitution elle-même, comme nous le rappelle l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: «Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.»

Ce principe est aujourd'hui constamment piétiné. Piétiné par les déclarations de l'ancien ministre de l'Intérieur, lui-même condamné pour injure raciale, qui désapprouvait une peine de prison prononcée par le tribunal de grande instance de Bobigny contre sept policiers qui avaient accusé un innocent. Piétiné par le Président de la République, garant de l'autorité judiciaire selon l'article 64 de la Constitution et qui pourtant bafoue la présomption d'innocence en confondant «prévenu» et «coupable» dans l'affaire Clearstream ou en s'en prenant à «un présumé coupable» dans l'affaire de Nantes. Piétiné par le silence des gardes des Sceaux successifs, plus attentifs à la discipline ministérielle qu'à la défense de leurs attributs gouvernementaux.

Nous assistons à un patient travail d'usure du contre-pouvoir judiciaire.

L'exécutif a débuté en jetant le discrédit sur son «adversaire» aux yeux de l'opinion. Voici les juges renvoyés sur le banc des pleureuses et désignés comme des privilégiés qui ne cessent de demander plus d'argent à un moment où «chacun doit faire des efforts». Il ne s'agit pourtant pas de la situation matérielle des magistrats, mais de l'état de notre justice. Ici, les factures d'électricité ne sont pas payées, là les experts refusent les missions pour protester contre le non-règlement de leurs frais, partout, la justice se fait attendre, faute de magistrats et de greffiers en nombre suffisant.

La besogne se poursuit en clouant au pilori ces juges négligents qui ne suivent pas leur dossier et en particulier ceux des récidivistes, des violeurs et des assassins.

Si la Justice va mal, elle le doit d'abord à une politique sécuritaire qui se contente de mots. En quoi, l'empilement des lois pénales, la multiplication des discours sécuritaires, les petites phrases dans les banlieues ont-elles amélioré la sécurité de nos concitoyens, évité les récidives ou empêché les drames les plus horribles? L'inflation verbale ne compense pas ce misérable 37e budget de la justice en Europe, nos 9 juges pour 1000 habitants contre 20 en moyenne dans les pays du conseil de l'Europe, la diminution constante de nos forces de police et de gendarmerie...

La dernière étape de cet affaiblissement consiste à retirer du pouvoir au juge: peines planchers, jurés populaires dans les tribunaux, dépénalisation de la délinquance en col blanc, mesures administratives substituées aux décisions judiciaires, notamment dans la répression de l'immigration... et ce sans que jamais, la moindre évaluation n'apprécie les effets de ces mesures de méfiance.

Le pire, peut-être, est l'inconscience de ce pouvoir. Je ne suis pas convaincu qu'il perçoive la conséquence de cette sape de l'institution judiciaire. Et en particulier de cet effet pervers: Nicolas Sarkozy, ravalé au rang de Président de la République des petits pois.

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