Aux lendemains d'élections qui ont vu le Parti socialiste perdre la moitié des départements qu'il administrait, « quel bilan, quels succès » justifient le refus du changement par Manuel Valls ? s'interroge Mehdi Ouraoui, membre du Conseil national du PS. « D'urgence », affirme-t-il, « la gauche a besoin (...) d’un Premier ministre qui ne soit plus un obstacle à son unité ».
Il y a un an exactement, Manuel Valls devenait Premier ministre. Le débat politique se réduit déjà trop aux querelles personnelles et aux attaques ad hominem pour se prêter à ce jeu mortifère et ridicule. Sans mettre en cause sa personne, l’heure du bilan est venue : son idéologie sociale-libérale, l’échec de sa politique, son ambition nocive pour le collectif, sont devenus le premier problème de la gauche, donc un problème pour le pays.
Il y a d’abord une pratique brutalement solitaire du pouvoir. Pas d’angélisme : par le passé, la gauche s’est accommodée du régime présidentiel, se trouvant régulièrement des leaders providentiels. Mais là, la Ve République est poussée dans son pire travers : gouverner sans être responsable de rien, devant personne. Pas même devant le président de la République, le Premier ministre annonçant son propre maintien avant les élections départementales. Ce scrutin est un échec cinglant pour sa majorité, avec une explosion du score de l’extrême-droite ? Il n’en est pas responsable.
Pas responsable, même s’il a choisi de nationaliser la campagne, éclipsant l’action reconnue des conseils généraux de gauche. Pas responsable, même s’il a tout centré sur lui-même au lieu de solliciter les grandes voix, de Bertrand Delanoë à Martine Aubry, de Vincent Peillon à Ségolène Royal, qui savent parler au peuple de gauche. Pas responsable, même si ce sont ses collaborateurs de l’Intérieur puis de Matignon qui ont inventé la funeste qualification à 12,5% des inscrits, qui a éliminé tant de nos candidats. Pas responsable même si, en la citant matin, midi et soir pendant toute la campagne, il a offert une publicité dangereuse à Marine Le Pen. Pas responsable lorsqu’un de ses amis, le maire de Montpellier, Philippe Saurel, présente des candidats contre les candidats socialistes ! Et face aux résultats, aucun mea culpa, un déni inquiétant, et même pire : toujours la même façon dérangeante de se mettre en avant, péroraison surréaliste au milieu d’une gauche en ruines.
Quel bilan, quels succès justifient un tel refus de changer ? Le chômage qui continue d’augmenter ? La croissance plus faible que dans le reste de la zone euro ? Les milliards d’argent public offerts sans contrepartie à Pierre Gattaz qui méprise ostensiblement ce gouvernement ? Parce que c’est là une réalité implacable : cette politique, qui se veut pragmatique et moderne mais relève du social-libéralisme le plus idéologique et le plus dépassé, est un échec. Et cette politique en échec, sanctionnée dimanche par les Français, est le principal obstacle au rassemblement de la gauche.
On ne rassemblera pas la gauche à coup de menton, avec le 49-3 pour contraindre un groupe socialiste traumatisé à adopter une loi qui précarise les jeunes, les femmes, les salariés les plus faibles. On ne rassemblera pas la gauche avec les déclarations violemment anti-communistes des proches du Premier ministre. On ne rassemblera pas la gauche en faisant imploser EELV par le jeu malsain des appétits ministériels. D’ailleurs, cette déstabilisation orchestrée de notre partenaire écologiste, est-ce une répétition, grandeur nature, de ce que Manuel Valls projette pour le PS ? Une implosion, la fin du Parti socialiste, remplacé par un cartel d’écuries présidentielles pour les primaires ? La fin du socialisme, au profit d’un vague « progressisme » qui au nom de l’émancipation individuelle renonce voire s’attaque aux conquêtes collectives ? Comment ces idées pourraient faire l’unité de la gauche, indispensable face à l’UMP et au FN en 2017 ?
Le poids politique de ces thèses est connu : 5,63 % aux primaires de 2011. Et aujourd’hui ? Un indice parle de lui-même : le Premier ministre et ses amis n’ont pas osé déposer au prochain congrès du PS la motion sociale-libérale – le fameux Bad Godesberg ou aggiornamento qu’ils réclament sans cesse ! – qui aurait permis aux militants de s’exprimer clairement sur la ligne politique du gouvernement.
Jamais un Premier ministre n’aura autant gouverné seul, contre son propre camp politique. C’est sa marque et sa méthode : la transgression, qui lui assure la faveur des médias et des sondages flatteurs, déstabilisait déjà le PS dans l’opposition. Comble de l’ironie : la gauche est désormais sommée d’être caporalisée autour de sa ligne, qu’elle n’a pas choisie et qui nous aliène les classes populaires se sentant trahies et oubliées. Dans cette période troublée pour notre pays, le républicanisme aurait pu être un point de rassemblement. Mais la République a besoin d’exemplarité. Etre exemplaire, ce n’est pas parler des « Roms qui n’ont pas vocation à s’intégrer » comme hier des « blancos », ce n’est pas nommer son chef de cabinet dans la préfectorale, ce n’est pas maintenir secrétaire d’Etat un de ses proches qui a menti dans sa déclaration d’intérêts.
Il faudra, pour éviter un nouveau 21-Avril en 2017, davantage que des éléments de langage mal écrits par Euro-RSCG. Il faudra un grand contrat de rassemblement républicain, social, écologique, de toutes les forces de gauche. D’urgence, pour retrouver la confiance des Français, la gauche a besoin de respect, d’apaisement, de valeurs, et d’un Premier ministre qui ne soit plus un obstacle à son unité.