Reposer la question de la politique des langues dans notre pays est important. La campagne présidentielle a été plutôt pauvre en réflexions de qualité sur ce sujet. François Hollande a pris d’abord soin de souligner la valeur de la langue française, puis il a réitéré son engagement, dûment inscrit dans son programme, à faire ratifier la Charte européenne, « parce que c’est aussi une demande qui nous est faite et qui est légitime » (Dijon, 3 mars 2012). Même si la justification est un peu mince, il faut en prendre acte. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a annoncé le 15 novembre la mise en œuvre du processus. Tout récemment, le 29 novembre à l’Assemblée nationale, la Commission des lois présidée par M. Jean-Jacques Urvoas a organisé une importante table ronde sur les implications constitutionnelles de la question de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Pour mémoire, rappelons que la Charteeuropéenne des langues régionales ou minoritairesa été élaborée par le Conseil de l’Europe, il y a vingt ans. Cette Charte est un texte à options dans lequel notre pays a choisi de s’engager sur les principes généraux et pour seulement 39 mesures sur 98 proposées. La France l’a signée en 1999, sa ratification, souhaitée à l’époque par Lionel Jospin a été rendue impossible par une décision du Conseil constitutionnel.
Cette ratification suffira-t-elle à assurer la survie et la vitalité des langues ?
Tout d’abord permettez-moi de souligner qu’il serait important de cesser de parler de langues « régionales » ou « minoritaires ». En utilisant le terme « langue régionale », on a tendance à renvoyer ces langues à l’espace (et à la responsabilité politique) des Régions alors qu’elles appartiennent, cela du moins la Constitution l’a proclamé, « au patrimoine de la France » et que le nombre de locuteurs du corse, par exemple, est important en région parisienne et en Provence ou Côte d’Azur… Le terme « langue minoritaire » tend à définir ces langues comme par nature dans une situation d’infériorité. Il est préférable de parler, de façon plus objective, de « langues de moindre diffusion » comme l’a proposé récemment M. Adama Samassékou, président de Maaya, réseau mondial pour la diversité linguistique.
La question des langues de moindre diffusion ne se limite pas à la ratification de la Charte européenne. Il n’est pas du tout assuré que la volonté du Président de la République suffise à lever le veto du Conseil constitutionnel. Mais peu importe ! Il est affligeant et décourageant de voir notre pays enfermé dans un débat juridique stérile alors même que la protection de ces langues participe d’une exigence de démocratie et de politique culturelle plus large. Le combat traditionnel des militants régionalistes s’ouvre aujourd’hui sur des horizons planétaires. La nécessité de lutter contre la mort des langues et de promouvoir la diversité linguistique s’exprime avec force un peu partout dans le monde. La défense et la valorisation de la diversité linguistique dans le monde sont de plus en plus d’actualité et elles s’inscrivent désormais dans un combat plus large de défense de la diversité biologique. L’unité de la République n’est pas en péril : c’est notre richesse linguistique, du basque et du breton à l’occitan et au berbère ou au yiddish, qui est menacée à brève échéance.
La reconnaissance de l’idée que la problématique des langues est le levier essentiel de la culture de la paix s’impose de plus en plus fortement au niveau international, au sein de l’UNESCO, par exemple. Pour que la France participe pleinement de ce mouvement, il nous paraît indispensable d’engager une politique soutenant l’ensemble des langues en France. Les langues de moindre diffusion, du basque et du breton au corse et à l’occitan, mais aussi celles des communautés présentes dans notre pays : langues juives, yiddish et judéo-espagnol, rromani, arménien, berbère, arabe dialectal, sans oublier l’ensemble des langues des Départements et Territoires d’Outre-mer.
Que faire pour accompagner ce mouvement ?
Il convient de soutenir politiquement la ratification de la Charte européenne. Mais, à mon sens, les dispositions législatives seules ne suffisent pas. Si le Gouvernement actuel est réellement soucieux de répondre à la nécessité de préserver la diversité linguistique dans notre pays, il y a deux grands types d’actions qu’il peut entreprendre sans tarder.
Dans le domaine législatif, il est possible, en procédant avec intelligence pour contourner les crispations du Conseil constitutionnel, de faire voter une loi-cadre de politique linguistique. Cette loi-cadre devra préciser les principes fondamentaux garantissant les droits culturels des citoyens et les conditions du développement de la diversité linguistique. Ensuite, des lois et dispositions spécifiques, au niveau national ou régional, assureront la mise en œuvre de ces principes, pour chacune des langues.
Mais, pour que ces mesures législatives et leurs décrets d’application (qu’il ne faudra pas oublier de prendre !) soient appliqués, il est essentiel de se donner les moyens de faire évoluer les mentalités.
Il faut bien comprendre que la langue est ce qu’il y a de plus intime dans la construction de l’identité, au niveau de l’individu comme au niveau du groupe. La peur du différent nous saisit devant une parole incompréhensible qui nous atteint au plus intime de notre être, dans le désir de communiquer ancré en chacun de nous. La diversité, perçue comme une menace à notre identité, génère des attitudes de rejet et d’hostilité.
La connaissance permet de maîtriser ces réactions. Connaître la langue de l’Autre, ou du moins être informé de ce qu’elle est, des œuvres qui l’illustrent, est sans aucun doute la meilleure façon de préparer un dialogue indispensable à la paix.
Pour gagner ce combat, il est indispensable de rallier à cette cause l’opinion publique la plus large. Il s’agit moins ici de développer l’enseignement des langues que d’agir en amont, d’inventer des moyens de développer une curiosité pour les langues, un désir de langue, chez le plus grand nombre.
Concrètement, les actions que l’on peut imaginer sont nombreuses : émissions de TV, sites internet dédiés, etc. Il serait essentiel de donner une information précise sur les langues de France dans les écoles de la République, de la maternelle à l’université.
Interwiew publiée dans Idées en mouvement, janvier 2013.