Un homme exceptionnel,
une œuvre de portée universelle
Nous sommes dans la douleur de la perte d’un homme chaleureux et d’un esprit exceptionnel. Robert Lafont nous laisse une œuvre de premier plan qui a profondément marqué les domaines dans lesquels il est intervenu.
Le cœur de son engagement d’homme, de citoyen, de savant et de créateur se trouve dans une fidélité exceptionnelle à sa langue, l’occitan. Son enracinement a ceci de remarquable qu’il lui a permis de porter sa pensée et son acte créateur dans les plus larges horizons, découvrant l’universel dans le local. Sa fidélité à la langue et au pays lui a permis d’être l’un des premiers sociolinguistes français et d’inventer une théorie linguistique, la praxématique, qui fait de lui l’un des grands linguistes du XXè siècle.
Mais cet homme exceptionnel ne s’est pas borné à conquérir cette compétence au plus haut niveau. Il est vivant parmi nous à travers deux conquêtes majeures.
L’invention d’écriture
Robert Lafont a depuis sa prime jeunesse été un poète, un dramaturge et un romancier fécond. Son recueil de poèmes, Dire, 1956, marque un renouvellement encore très actuel de la poésie occitane. Au-delà de l’abondance de sa création littéraire, je voudrais souligner le plus important. Robert Lafont a enrichi la littérature occitane avec deux œuvres majeures : un grand roman en trois gros volumes, La Festa, publié entre 1983 et 1996 et une traduction en occitan du cœur de l’Odyssée, Lo viatge grand de l’Ulisses d'Itaca, véritable chef-d'œuvre dans lequel il dit la quête de sa vie entière dans une œuvre qui est à la fois de haute érudition et de l’engagement d’écriture le plus secret.
À travers ses travaux d’historien et de linguiste, mais plus encore par ces actes majeurs de création, Robert Lafont a montré que la langue occitane n’est pas une langue « régionale ou minoritaire » mais bien la langue qui a donné, au cours des siècles, l’une des grandes littératures de l’Europe.
L’homme engagé
Ces études, ces créations malgré leur ampleur, n’ont pas empêché Robert Lafont d’être aussi un homme engagé dans des combats sociaux et politiques qui auraient suffi à remplir une vie. C’est certainement cet aspect de sa personnalité qui est le plus connu : de ses essais novateurs des années 60 sur le régionalisme et la France, à son engagement au cœur des luttes sociales, auprès des mineurs de Decazeville, de Ladrecht ou encore des viticulteurs languedociens. Proche de la gauche autogestionnaire et de Michel Rocard, il a théorisé un régionalisme novateur avec deux essais fondateurs qui eurent un grand retentissement, La révolution régionaliste, 1967 et Sur la France, 1968. Il reprend le dessein dix ans plus tard dans Autonomie : de la région à l’autogestion, 1976.
Encore récemment, il ne renonçait pas à lutter pour une société à hauteur d’homme en participant, en 2003, à la création du mouvement altermondialiste Gardarem la Terra et en s’engageant pour « une Europe des peuples, géographiquement et culturellement remodelée ».
Le Colloque que Gardarem la Terra organise en septembre prochain à Nîmes pour analyser l’actualité de sa pensée nous permettra certainement de trouver les moyens de continuer les combats qui étaient les siens. C’est le meilleur hommage que nous pouvons lui rendre, celui qu’il aurait aimé.
Henri Giordan
Responsable du site Langues d’Europe et de la Méditerranée (LEM)
Une version enrichie de ce texte a été publiée ici