J'ai invité Yves Plasseraud, Président du groupement pour les droits des minorités, sur la crise en Ukraine. Voici son texte.
Ces dernières semaines, le comportement de la Russie de Poutine en Ukraine et particulièrement en Crimée ravive de bien nauséabonds souvenirs.
Après 1933, dans le cadre de sa Deutschtumpolitik, on se souvient qu’Hitler avait rapidement mis les minorités allemandes des États de l’Europe versaillaise - les Volksdeutsche selon la terminologie nazie - au service de ses ambitions stratégiques. Au prétexte d’une prétendue responsabilité de Berlin vis-à-vis des communautés allemandes de l’étranger, le Führer utilisa tous les moyens disponibles pour stimuler les nationalismes de ces groupes (notamment au sein des États baltiques) et créer chez eux un sentiment de frustration et une volonté de revanche.
On se souvient en particulier comment, en 1938, Hitler avait utilisé l’argument fallacieux d’une soi-disant maltraitance des Allemands de Bohème occidentale (les Sudètes, à 80 % germanophones) pour annexer la région et ensuite pour démembrer la Tchécoslovaquie[1] et faire de la Bohême - Moravie un protectorat du Reich.
Pourtant, à l’époque, les minorités allemandes étaient infiniment mieux traitées par Prague que ne l’étaient par Berlinun peuple slave comme les Sorabes pour ne rien dire des Roms et des Juifs.
Aujourd’hui, la Russie, s’éloignant de plus en plus des velléités libérales de l’ère Eltsine, renoue elle-même avec l’autocratie. Dans ce contexte, la politique de Poutine dans son « proche étranger » ressemble de plus en plus à celle d’Hitler en Europe centrale.
Partout, dans les États successeurs de l’URSS, la situation des « compatriotes » de l’étranger est aujourd’hui présentée comme attentatoire aux droits de l’homme. Dans chaque pays, Moscou choisit des hommes à lui qu’il rétribue et utilise pour créer le désordre. Ici encore, la situation de pays démocratiques comme l’Estonie et la Lettonie sont emblématiques, mais, Maidan oblige, c’est aujourd’hui l’Ukraine qui retient surtout l’attention.
Depuis 1991, les russophones de ce pays ont constamment été traités par Kiev avec une attention et un respect exemplaire. Aucune tension interethnique ne s’est fait jour dans le pays. Pourtant, dès que l’Ukraine s’est trouvée en situation de vulnérabilité extrême, la propagande du Kremlin est entrée en action pour manipuler une opinion interne russe, guère démocrate et peu informée, pour l’amener à « pousser Poutine à agir ».
Dans ce contexte, selon un plan manifestement muri de longue date, des troupes russes sont entrées en Crimée (60 % de russophones) au début mars 2014, soi-disant pour défendre des russophones, que personne ne menaçait et prendre le contrôle du territoire, avec l’approbation enthousiaste de comités de citoyens et d’autorités locales créés et formatés pour l’occasion.
Le nouveau Premier ministre de Crimée, Sergeï Aksionov, nommé le 27 février dernier, et supporter enthousiaste de cette opération, n’a au demeurant aucune légitimité à occuper ce poste[2] et n’est qu’un pion du Kremlin.
Nombreux sont les observateurs qui pensent qu’à brève échéance, l‘objectif de Vladimir Poutine est en fait d’annexer toutes les terres ukrainiennes situées à l’est du Dniepr (autrefois appelées Nouvelle Russie) et de transformer l’État ukrainien résiduel un protectorat russe[3]. La quantité de troupes russes massées aux frontières de l’Ukraine ne peut – hélas – que renforcer ces craintes.
Yves Plasseraud
Président du Groupement pour les droits des minorités
[1] L’une des rares démocraties de la région.
[2] Leader du parti unioniste ukrainien « Unité russe », il n’a recueilli que 4,02% des suffrages lors des élections de 2010 du Conseil suprême de Crimée
[3] La question de la Transnistrie se trouverait – aux yeux du Kremlin – ainsi réglée simultanément et la Moldova… en première ligne.