Le Président Hollande annonçait le 16 janvier dernier sa décision « de réviser notre Constitution dans le sens d'une plus grande indépendance de la justice et d'un approfondissement de notre démocratie ». La consultation des groupes politiques que le premier ministre vient de faire a montré qu’aucune des réformes proposées ne paraît en mesure de franchir la barre au Congrès. La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fait partie de cette liste de réformes.
Le danger politique majeur de cette situation serait que le gouvernement renonce à ces engagements en justifiant ce recul par l’absence de majorité des trois cinquièmes qui l’empêche de les mettre en oeuvre.
Il y a trente ans, la Charte n’avait pas été écrite et François Mitterrand, s’engageait de façon forte et précise : « le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique ».
En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait évoqué « la troisième dimension à laquelle aucun Européen ne saurait rester insensible : la dimension linguistique et culturelle. [...] Plus que jamais, en cette fin du XXe siècle […], l’Europe a besoin d’affirmer son identité qui est faite de la diversité de son patrimoine linguistique et culturel ».
En 2012, François Hollande a été particulièrement mal inspiré de limiter son engagement à la promesse de faire ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : « La République indivisible, c’est celle qui est fière de sa langue : la langue française. Belle langue ! Langue de la diversité, langue de l’exception, langue de la culture. Langue qui s’offre aux autres. Et parce que nous ne craignons rien pour la langue française, nous ratifierons aussi la Charte des langues régionales – parce que c’est aussi une demande qui nous est faite et qui est légitime ».
Belle façon de s’engager ! Le président Hollande n’a pas promis de faire ratifier la Charte pour ouvrir grandes les portes à la diversité linguistique dans notre pays. Il s’y résoudra, s’il le peut, simplement pour satisfaire les souhaits de quelques électeurs, la chose étant, de toute évidence, de peu de conséquences à ses yeux.
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Aujourd’hui, la difficulté à obtenir du Parlement cette ratification ne devrait pas être le prétexte pour renoncer à toute politique innovante dans ce domaine. Cette difficulté devrait être saisie par l’exécutif comme une occasion pour rebondir et inventer un traitement politique de cette question autrement plus dynamique que la simple ratification de la Charte. « À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir ».
Ratifier la Charte ? Ce serait tout à fait nécessaire pour un minimum de cohérence européenne. Alors même que tout pays candidat à rejoindre l’Union européenne doit, simplement pour que les négociations puissent être ouvertes, satisfaire aux critères de Copenhague qui exigent la garantie du « respect des minorités et leur protection ». La France ne pourrait même pas poser sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne si elle n’en était pas déjà membre ! Il y a quelque chose d’absurde et de choquant à exiger des autres ce qu’on ne respecte pas soi-même !
Exigence morale, donc. Mais aussi urgence politique. La crise que nous vivons montre avec violence qu’une solidarité européenne minimale est indispensable. Aucun pays européen n’est en mesure d’affronter seul les défis de la finance mondiale. Une solution fédérale s’impose et plus tôt on y parviendra, mieux ce sera !
Cet avenir dessine une Europe multiculturelle, fondée sur un projet de société audacieux. Dans une époque de régressions induites par la crise, de retour des nationalismes, de racisme, de xénophobie, il est tentant, pour les politiques, de surfer sur un populisme renforcé. On le constate à droite. On le constate, hélas, aussi à gauche. En France, en Italie, en Grèce… L’avenir n’est pas dans cette direction. Nous ne bâtirons une Europe forte qu’en recréant un espace économique, mais aussi culturel et sociétal qui fondera une Europe souveraine. Un tel projet créera une société capable de vivre avec ses différentes communautés, nationales certes, mais aussi régionales, ethniques, linguistiques, religieuses. L’Europe de demain sera fondée sur une autorité publique supranationale et une société multilingue, multiculturelle et multiethnique.
Comment la France se prépare-t-elle à cette mutation ?
Le chemin à parcourir, pour notre pays, est rude : héritiers de deux siècles de jacobinisme centralisateur, les responsables politiques français ont facilement tendance à se réfugier dans le mythe d’une France incréée qui est, par nature, incapable de se gouverner hors du carcan d’un centralisme d’un autre âge…
La question qui engage aujourd’hui notre destin est simple : les responsables politiques au pouvoir sauront-ils préparer notre pays au défi européen que je viens de pointer ? Plus prosaïquement, sauront-ils oublier les recettes du petit monde de la « haute » administration pour écouter ce que recommandent les experts les plus compétents et que des forces vives s’efforcent de concevoir un peu partout dans le pays ? Nous devons être ici particulièrement vigilants.
L’Avant-projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique, publié par le ministère de la Réforme de l’État et de la décentralisation, ne brille pas par son audace dans le domaine qui nous mobilise. Ce texte se borne à prévoir : « Le conseil régional peut adopter un plan de développement des langues et cultures régionales ». Mais cela est déjà possible ! Il est clair que les Régions n’auront pas la possibilité d’adopter des législations particulières pour organiser le développement des différentes langues au niveau territorial…
Autre sujet d’inquiétude : il n’échappe pas au ministre de l’Éducation nationale que « les résultats des élèves français en langues vivantes sont particulièrement alarmants. Les enquêtes internationales montrent […] qu’ils arrivent en dernière position de l’ensemble des élèves européens évalués pour la maîtrise de ces compétences ».
Mais on cherche en vain dans le récent Projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République la moindre allusion à l’enseignement des langues régionales ! Et les acquis des méthodes novatrices des écoles basques, bretonnes, occitanes, etc. sont, il fallait s’y attendre, ignorés…
Alors même qu’il est prouvé que le bilinguisme est un outil majeur de développement économique, notre pays reste paralysé par d’incroyables archaïsmes de la pensée. Il ne parvient pas à épouser les priorités de notre époque, priorités européennes, priorités régionales, indispensable invention d’une nouvelle société multiculturelle.
Il faut en finir avec ces archaïsmes et ces demi-mesures ! La ratification de la Charte est rendue impossible en France par une interprétation bornée de notre Constitution. Qu’à cela ne tienne ! Il est tout à fait possible de passer outre ! Il est tout à fait possible, sans attendre, que des moyens soient mis en œuvre pour garantir l’enseignement des langues régionales, et pour soutenir les nombreux projets de création dans tous les champs de l’expression artistique, ainsi que les manifestations culturelles des différentes communautés linguistiques de notre pays. Il est tout à fait possible d’avoir une vision à long terme de la réalité multiculturelle de l’Europe de l’avenir.
Une prise en compte d’un même mouvement des langues régionales et des langues non-territoriales, de l’amazight, de l’arabe dialectal, du yiddish, du rromani, de l’arménien, dessinerait le visage d’une société française engagée dans la construction d’une Europe multilingue, multiculturelle et multiethnique !