Il était une fois des princesses (a)mantes religieuses, des princes du crime parfait, des fées maléfiques et des récits à frémir, des Contes de crimes, où Grimm, justement, Perrault et toute la mythologie enfantine sont revisités et deviennent des « Perraultbredaines » et autres « Grimmalices ».
Bruno Bettelheim a montré en son temps dans La Psychanalyse des contes de fées (The Uses of Enchantements, 1976) combien les affects éprouvés à la lecture, par les enfants, sont sérieux, combien ils permettent d’exorciser des peurs, des angoisses, de verbaliser interdits et tabous.
Dans les Contes de crimes, nul écran, tout est directement horrifique, comme le montre l’incipit du premier récit, La Belle au bois dormant : « Il était une fois un homme qui vivait dans l’espoir d’assassiner sa femme ». Il l’emmène au Luna Park chaque samedi, dans l’espoir qu’elle tombe de la grande roue ou de la nacelle d’un grand huit… et finit par trouver l’idée du crime parfait dans au « Royaume des Contes », attraction qui met en abyme le principe même du volume :
« Se trouvaient là, assez atrocement reproduites en trompe-l’œil et figures de cire, les scènes les plus célèbres des contes pour enfants » et Monsieur Pepinster imagine « les cauchemars que ne devaient pas manquer de susciter de tels épouvantails auprès des jeunes âmes fourvoyées dans cette antichambre plus proche du placard de Barbe-Bleue que du boudoir de Dame Tartine ».

Dans le monde de Pierre Dubois, les petits chaperons rouges sont bien plus à craindre que les loups, le vaillant Petit Tailleur est un serial killer, et il ne faudrait surtout pas se fier aux belles endormies ni même aux amandiers. « Un crime n’a pas tant besoin de ténèbres ni d’orageux décors pour germer, il peut voir le jour au milieu des flanelles et du chintz, dans la buée des roses ». Les Contes de crimes sont une réécriture ludique et macabre de dix récits qui ont bercé notre enfance, La Belle au bois dormant, Riquet à la houppe, Cendrillon, Rapunzel, Peter Pan, Le Petit Chaperon rouge, Blanche-Neige… Mais attention, « les contes ne sont pas tous jolis, au fond des bois des « il était une fois » se cachent de grandes peurs et bien des douleurs »…
C’est cru, du Shrek pour les clins d’œil, du Telephone version Cendrillon pour le cynisme, un soupçon de gore, de sexe, pas mal d’hémoglobine, quelques cadavres bien découpés… Drôle et grinçant. Les bonbons roses du conte revisités par le Horla, Barbey d’Aurevilly ou la littérature libertine. Question d’époque.
Le « il était une fois » d’aujourd’hui est le « temps où les princes n’épousaient plus les bergères mais se pacsaient aux bergers »… On peut encore écrire des contes d’autrefois, mais au conditionnel (« aurait-il dû, comme dans le conte, dire. A quoi la charmante aurait répondu… »). Au présent Cendrillon est « depuis belle lurette sans pantoufles ». Certes une princesse passe « ses jours, comme il se doit, à ne rien faire de ses dix doigts, sinon se mirer, se coiffer, se manucurer. Ou bien, la mode n’étant plus au teint d’ivoire et veines bleues, à bronzer au bord de ses piscines et toutes les nuits à sortir en boîte. A dire vrai ce n’était pas sa pantoufle qu’elle abandonnait aux douze coups du clair de lune ! »
Comme l’écrit malicieusement Pierre Dubois, par ailleurs spécialiste reconnu des lutins, des fées et des contes, « en fait, cette histoire de Cendrillon-ci est presque semblable à l’original ». Presque. Dans ce mot se glisse toute la part ludique, terrible et magique de ces Contes de crimes. Pour adultes, exclusivement…
« Alors cela n’avait rien de commun avec le joli conte de Blanche-Neige ? finissait par demander Lily la Tigresse, la voix brisée par l’émotion et l’espoir d’entendre miraculeusement une autre réponse…
- Je crains que non ma chère. Je n’aime pas démystifier les contes de fées, mais les faits sont là, sans effet »…
Pierre Dubois, Les Contes de crimes, Folio, 297 p., 6 € 50