« Ce ne sont pas les discours qui mettent en lumière les problèmes du monde. Il faut frapper plus fort ».
Une bombe explose dans un immeuble de Manhattan. Nous sommes en 2010, le 11 septembre 2001 n’était pourtant plus qu’un « souvenir fané » et la terreur saisit de nouveau les New-Yorkais. Qui a placé l’engin explosif, pourquoi au « quinzième étage vide du 600, Madison Avenue » dans le bâtiment du grand magasin Barneys ? Est-ce Al-Qaida ? Nul ne le sait.
« Tout était tellement familier : les téléphones portables muets, la peur bourdonnante, le besoin désespéré d’informations, et puis autre chose… une curieuse fierté. Nous étions de nouveau une ville, unie par la tragédie en dépit de nos nombreuses divisions ». Et de nouveau, au cœur de New York, un « énorme orifice noir narguant la ville avec le mystère grandissant de son origine ».
La presse s’interroge, la police piétine, Internet amplifie le choc, lorsqu’Aidan Cole, bloggeur sur Roorback.com reçoit un e-mail anonyme accompagné de la photographie de la présumée coupable : Paige Roderick.
« Vous vous en souvenez : il s’agissait de cette photo à présent devenue mythique et représentant une jeune femme aux longs cheveux noirs marchant à grandes enjambées décidées sur Madison Avenue, avec les auvents rouges et flous de Barneys à l’arrière-plan ».
Aidan, piqué par le sujet qui pourrait lancer sa carrière de journaliste raté comme par la beauté de Paige, part sur les traces de la jeune femme à la silhouette semblant « sortir tout droit d’un récit de fantasy pour ados ». Conscient du danger (le FBI, les menaces que les terroristes font peser sur lui), conscient qu’il est dans ce moment « où votre histoire disparaît, ainsi que tout votre univers, au profit de l’inconnu », le jeune homme veut comprendre : pourquoi a-t-il reçu ce mail, pourquoi l’engagement de Paige dans les milieux écologistes radicaux, pourquoi cet engrenage de la violence ? Sa quête est multiple : journalistique, politique, personnelle et amoureuse et elle conduit le roman de New York aux Smoky Mountains, du Vermont au New Jersey pour finir dans une planque de Manhattan.
Le thriller fait alterner de chapitres en chapitre le récit d’Aidan et les confessions de Paige. Au centre du roman, les deux intrigues se rejoignent, les deux personnages se rencontrent enfin, pour mieux se perdre de nouveau, en un récit haletant qui ne vaut pas que pour son suspens. L’aventure est donc double, l’une allant vers l’attentat – lorsque Paige raconte comment elle est recrutée par un groupe « de radicaux professionnels, des éco-guerriers et anticapitalistes », comment elle s’engage peu à peu dans le terrorisme, « nous voulions exposer au grand jour les dessous minables du super système de l’énergie globale », lorsqu’elle confie son insensibilité depuis la mort de son frère, ses réflexions intimes et politiques –, l’autre commençant avec l’attentat et Aidan qui tente de retrouver Paige et de démêler les enjeux de cette action terroriste. La narration alternée entre un avant et un après, entre Paige et Aidan conduit d’abord le roman vers ce point de jonction, l’attentat, faille du récit, point atomique. Puis le récit se déploie de nouveau, vers une autre bombe…
« Tout s’était passé tellement vite – une seule et unique année avec une mort au début et une mort à la fin – (…). Ainsi nous voilà, deux gosses de milieux différents, inspectant les décombres de notre culture en quête d’indications sur comment vivre, comment survivre, que cautionner, et pourquoi se battre. Parce que le scénario américain avait été jeté à la poubelle ».
« L’Amérique avait dépassé un point de non retour invisible, s’était égarée trop loin des nobles principes inscrits dans ses fondements, et y revenir requérait de prendre des mesures radicales ».
David Goodwillie, considéré par la presse américaine comme le fils spirituel du Bret Easton Ellis de Glamorama et du Tom Wolfe du Le Bûcher des vanités, voire de Fitzgerald, interroge une Amérique superficielle jusque dans ses engagements les plus extrêmes, une Amérique déboussolée depuis le 11 septembre (voire bien avant), en quête de repères, prête à se donner à la première certitude venue, qu’elle soit terroriste (pour certains) ou ultra-conservatrice (pour d’autres). Comme le disait Roosevelt cité en épigraphe du roman, « ce n’est pas l’expérience qui apprend quoi que ce soit aux Américains, c’est la catastrophe ».
Argent, Iraq, Internet, usage politique de la peur, économie et jeux de pouvoir traversent ce premier roman ambitieux, qui interroge la question de l’engagement « dans le siècle du moi », un récit aux allures de thriller écologique comme de love story. Le lecteur n’est certes pas encore en présence du fils spirituel annoncé et le dénouement du roman est quelque peu déceptif. Pour autant, les 400 premières pages valent le détour, pour leur peinture sans concession d’une Amérique contemporaine qui voudrait sortir de son inertie mais butte sur les moyens, une Amérique désenchantée.
David Goodwillie, American Subversive, traduit de l’anglais par Édith Soonckindt, J’ai lu, 7 € 20.