Billet de blog 6 juin 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Stéphane Guillon aggrave son cas

Dès le titre, cela ne souffre d’aucune ambiguïté : Stéphane Guillon aggrave son cas. Le chroniqueur, auteur, humoriste que l’intelligentsia aime détester, ou encenser, voit ses portraits au vitriol, puissamment corrosifs, subtilement décalés ou même plus prosaïquement mais précisément pieds dans le plat, publiés en poche, dans la collection Points.

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Dès le titre, cela ne souffre d’aucune ambiguïté : Stéphane Guillon aggrave son cas. Le chroniqueur, auteur, humoriste que l’intelligentsia aime détester, ou encenser, voit ses portraits au vitriol, puissamment corrosifs, subtilement décalés ou même plus prosaïquement mais précisément pieds dans le plat, publiés en poche, dans la collection Points.

Ce volume est un second best-of des portraits qu’il a brossés sur Canal + dans l’émission 20h10 pétantes, de 2003 à 2006. On y retrouve les fausses bio enrobées d’acide qu’il a déclamées devant ses « victimes », mais aussi les papiers censurés, et des commentaires a posteriori sur les réactions à chaud des invités qui furent la cible de la verve de l’humoriste. Une sorte de making of des portraits, où l’on retrouve les angoisses de l’auteur avant certaines émissions, ou à l’annonce d’invités particulièrement difficiles à traiter – ou particulièrement difficiles tout court -, voire protégés par la production… les colères, les conséquences…

La table des matières donne le ton et la revue ne fait pas dans le détail. Il y aura « les mauvais coucheurs », « les protégés », « les monstres sacrés », « les anciennes gloires », « les nazes », « les enfants de star », « les originaux », « les humoristes », « les personnages », « les divers et variés ». Romain Gary, cité en exergue du recueil, se fait prophète et prévenant : « Rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l’humour à ceux qui, à cet égard, sont plus manchots que les pingouins ». Plus qu’une citation, une profession de foi.

Le lecteur de Stéphane Guillon aggrave son cas est donc invité à découvrir l’envers du décor. Ou les textes passés sous silence. Comme celui consacré à Benjamin Castaldi, jamais diffusé tant la colère de l’animateur fut grande, au point que l’émission dans son ensemble fut supprimée. Stéphane Guillon avait jusqu’ici refusé toute reproduction du texte, dans les journaux ou même dans le premier volume de ses chroniques (Jusque là… tout allait bien, Albin Michel, 2005), il le livre ici et aujourd’hui, une fois les passions apaisées, au nom de la liberté d’expression préservée, et parce que la « publication s’inscrit dans l’esprit de ce livre : expliquer, décortiquer un travail d’écriture ». Le livre illustre le refus de toute compromission par le chroniqueur : « il y a chez l’humoriste un côté sale gosse très prononcé : dites-lui de ne pas faire quelque chose, il s’y précipitera avec délectation ». A la lecture de tel ou tel papier, on comprendra les colères homériques ou sourdes des uns et des autres, les rictus, les visages crispés à l’antenne, de même que l’on se délectera de la langue de vipère du chroniqueur, qui soulève les voiles, refuse les faux semblants, et attaque une « bio en forme de bêtisier ». A l’image de l’ensemble de cette « comédie humaine », élaborée portrait après portrait.

Illustration 2

Guillon est drôle. Guillon est méchant, au sens étymologique du terme : il fait chuter les idoles de leurs estrades. Et c’est terriblement jouissif. Il se moque de lui-même (« petite fouine fouille-merde », « Desproges de supérette, physique à la Droopy, œil en couille de loup »), il confesse et rit de certains de ses reculs, de ses angoisses, de ses peurs qui le font parfois renoncer (Joey Starr). Guillon dégonfle les baudruches du show-biz quand il étrille Lorie dans une chronique avant de souligner que le père de la « chanteuse » tenta de faire interdire la diffusion de la séquence au tribunal de Nanterre et fut débouté. Il dit ses déceptions, lorsque Jean-Michel Ribes, créateur de Palace, l’homme du Rire de résistance, de Diogène à Charlie Hebdo (Beaux-Arts Editions, 2007) se révèle fat, imbu de sa personne et n’avoir « pas le plus petit atome d’humour sur lui-même ». Il avoue son bide pendant un portrait de Jacques Villeret – qu’il admire –, la mayonnaise ne prend pas, et il blesse l’acteur, à son corps défendant. Guillon suppliera la production de ne pas diffuser sa chronique.

Au fil des textes, c’est un art poétique du rire qui se construit peu à peu. Un traité de la chronique. Un manuel du comment amuser, et sur quelle frontière se tenir, une présentation de la « quadrature du cercle » à respecter : « être corrosif, insolent, mais ne pas fâcher l’invité. ʺPas de vagues, mais fais du Guillon quand même !ʺ ».

En direct et à 20 heures et quelques, Stéphane Guillon se lançait chaque jour dans un exercice hautement casse-gueule (à plus d’un titre). Avec un courage hors du commun et le phrasé qu’on lui connaît désormais, son air faussement abattu et hypocrite, il débitait et tirait à vue sur un invité heureux d’être enfin croqué par le sniper maison, tout en se méfiant (parfois avec raison) de la puissance de feu du chroniqueur de Canal+.

Le passage au format livre pouvait laisser craindre un manque tant ses interventions étaient vivantes, jouées, et assénées avec une veine et un humour à la fois visuel et sonore, lexical. A la lecture, on s’étonne de retrouver les intonations, les tics, les gimmicks. On se surprend à imaginer la tête de la cible des portraits et de l’inspiration de Guillon. Stéphane Guillon aggrave son cas va plus loin qu’une simple mise à plat, au-delà d’une banale retranscription de textes hors contexte. Et l’on y découvre un Stéphane Guillon qui a décidément du style. Un style.

CM & DB

Stéphane Guillon, Guillon aggrave son cas, Points, « Humour », 251 p., 6 € 50.

Illustration 3
Stéphane Guillon tire à vue sur France Inter, dans la matinale de Nicolas Demorand, à 7h55, les lundi, mardi et mercredi. Ses chroniques sont disponibles en écoute sur le site de la radio .