« J’évolue dans un rêve. Il peut se produire n’importe quoi ».
Une Thelma sans Louise, totalement fêlée, dans un roman complètement branque, c’est Décomposition de J. Eric Miller, en 10/18.
L’héroïne de ce conte de fées à l’envers vient de tuer Jack, son amant. Elle voudrait changer de vie et enfile les kilomètres de bitume au volant de sa Ford Mustang pour rejoindre Seattle et George, un « type bien » auquel elle a autrefois brisé le cœur.
« Mais avant d’arriver là-bas, il faut que je me débarrasse de Jack. Lui, ce n’était pas un type bien, et je l’ai tué. »

Derrière elle, La Nouvelle-Orléans et son cyclone annoncé. Dans son coffre, le cadavre de Jack. Trois jours de road trip, déjanté, des rencontres improbables, la mort en fil rouge. L’héroïne, nymphomane, torturée, dont on ignorera le prénom jusqu’au bout, va de l’avant, seulement dérangée par l’odeur de plus en plus prégnante de Jack dans son coffre. Un cadavre haï, adoré, elle ne sait pas très bien, en décomposition, comme le cerveau de cette fille qui part en sucette, se fragmente, échappe peu à peu à toute rationalité, laisse libre cours à ses fantasmes, ses phobies. En décomposition, comme le roman lui-même qui implose dans ses formes, flirte avec le conte de fées macabre, joue de ses codes pour mieux se recomposer.
« Il y a cinq heures, il était encore en vie.
J’étais encore sa prisonnière.
J’étais encore l’esclave de sa façon d’aimer, l’esclave de sa queue.
Jack était juste une dépendance.
Et y mettre fin ainsi, c’est excitant.
Désormais, tout ça, c’est une histoire d’amour, voilà tout. Et cette fois-ci je suis ma propre héroïne. S’il y avait un dragon, c’était Jack, et j’ai dû le tuer et m’échapper de la grotte où il me retenait prisonnière. Dans ce conte de fées, George est un peu comme la Belle au bois dormant.
Le soleil s’est levé, j’avale les kilomètres, et je me demande si je vais y arriver.
Nord et ouest ?
Je dois juste me débarrasser de Jack. »
Le lecteur est enfermé dans l’errance de la narratrice comme le cadavre dans le coffre. Malmené par ce texte épais, glauque, irrésistiblement drôle (versant cynisme), onirique (versant cauchemar et traumas), sordide, pornographique. Un roman bref, trash, original. Ames sensibles s’abstenir, et attachez votre ceinture avant les derniers pages, quand vous découvrirez comment et pourquoi l’héroïne a tué Jack.
« Jusqu’où vais-je aller ? »
CMJ Eric Miller, Décomposition, roman traduit de l’américain par Claro, 10/18, « Domaine policier », 205 p., 7 €.Décomposition est d'abord sorti en grand format aux éditions du Masque.
Les premières pages sont à découvrir ici
