Billet de blog 8 juillet 2010

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Jim Morrison, Nuit américaine & Wilderness

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Illustration 1

Les éditions Christian Bourgois poursuivent la publication – en version bilingue – de son œuvre, inclassable, à mi-chemin de la poésie et de l’expérimentation, de la citation et de l’écriture automatique, dans un foisonnement qui passe par des scenarii de films, des notes, des aphorismes, des textes en prose ou en vers. La poésie (au sens alors de création) est pour Morrison une ouverture au monde :

« La vraie poésie ne dit rien. Elle ne fait que révéler les possibles. Elle ouvre toutes les portes. A vous de franchir celle qui vous convient.
C’est la raison pour laquelle je suis tellement attiré par la poésie, elle est si éternelle. Tant qu’il y aura des hommes, ils pourront se souvenir des mots et de leurs combinaisons.

(…) Si ma poésie a un but, c’est celui de libérer les gens de leurs œillères, de démultiplier les sens » (Wilderness)

La Nuit américaine s’ouvre, contre toute attente soutenue par le titre, sur un Journal de Paris, promenade et errance poétique, « j’écris ainsi / pour te capturer » (I write like this / to seize you), balade et ballade, inspirées des spleens parisiens de Baudelaire, de ses fleurs du mal (« Grande bête craintive et fleurie / Grande épave parfumée de l’enfer », Great flowing funky flower’d beast / Great perfumed wreck of hell).

On retrouve dans ces strophes le pavot, les os, les vers (worms) chers aux maudits, en une comédie de la mort propre au poète qui, toujours meurt « seul et complètement » (You die utterly & alone).

Envolées lyriques et infusions d’argot, la poésie de Jim Morrison est un melting pot, bouillonnant et acéré, violemment visuel et musical, une confluence (Blake, de Quincey, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Burroughs, Kerouac), un appel au rythme. Une Nuit américaine hantée par ses « rêves à la lisière » (Borderline dreams) et sa solitude, fondamentale :

« Je veux simplement te

Dire – Je suis seul »

(I just mean to tellYou – I’m alone)

Testament et art poétique, rêverie parisienne, La Nuit est aussi une charge contre l’Amérique, le « sombre Crépuscule Américain » (The dark American Sunset), une échappée, solitaire et désespérée :

« Certaines images me sont nécessaires

Pour parfaire ma propre réalité »

(There are images I need to complete my own reality)

« Voir toutes les perspectives à la fois.

Quand tout se fige

Et semble se replier

Sur soi-même. »

(Seeing all perspectives at once.When everything freezes& kind of turns backin on itself)

Illustration 2

Wilderness obéit à la même entreprise éditoriale : diffuser, en poche (la collection Titres), un autre texte épuisé jusqu’ici. Qui a la même valeur testimoniale que La Nuit américaine, qui rassemble les derniers écrits parisiens. Wilderness recueille les manuscrits et carnets d’une boîte référencée « 127 Fascination », dans laquelle Pamela Courson avait rangé, à Los Angeles, les derniers textes de son amant. Le spectre parcouru par ces textes est large : amour, Amérique, liberté et horreurs de la guerre, mort, création, solitude et éveil des sens. Le volume s’ouvre sur une auto-interview, dans laquelle le chanteur confie que ses seuls héros sont les artistes et les écrivains, qu’il a « toujours désiré écrire » en se figurant pourtant que « rien de bon ne sortirait ». La suite prouve le contraire, dès « l’ouverture du coffre », titre à la Pandore du premier poème qui libère les instants « de liberté intérieure / quand l’esprit s’ouvre, que / l’univers infini est révélé / et que l’âme est libre d’errer / enivrée et confuse en quête / ici et là de professeurs et d’amis ».

The opening of the trunk- Moment of inner freedomwhen the mind is opened & theinfinite universe revealed& the soul is left to wanderDazed & confus’d searchingHere & there for teachers and friends.

Explosions visuelles, sensorielles, colères, calligrammes même, Wilderness voit dans la poésie un défi, une drogue dure (Drugs are a bet w/your mind). Elle est addiction et exorcisme :

« Être né pour la seule

Beauté et voir la tristesse.

Quelle est cette frêle maladie ? »

(To have just been born For beauty & see sadnessWhat is this frail sickness ?)CMJim Morrison, La Nuit américaine, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patricia Devaux, Christian Bourgois éditeur, « Titres », n° 107, 245 p., 7 €Jim Morrison, Wilderness, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patricia Devaux, Christian Bourgois éditeur, « Titres », n° 106, 305 p., 8 €

Et toujours aux éditions Christian Bourgois : Arden lointain et Écrits