Billet de blog 9 avril 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Ainsi soit-il

Ainsi soit-il est un roman en poche d’un genre un peu particulier. D’abord parce qu’il s’agit d’un texte inédit en France, publié directement en 10/18, et dans une dimension particulière, du 13/20…

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Ainsi soit-il est un roman en poche d’un genre un peu particulier. D’abord parce qu’il s’agit d’un texte inédit en France, publié directement en 10/18, et dans une dimension particulière, du 13/20… Un semi poche en quelque sorte, les nouvelles mensurations du volume soulignant un rendez-vous privilégié de la collection, la volonté de faire connaître un auteur inconnu en France.

Ainsi soit-il (Now you see him) est le second roman d’Eli Gottlieb mais le premier traduit en français. Il a été qualifié de véritable « page-turner » par la presse américaine, de ces romans dont le lecteur ne peut arrêter de tourner les pages pour connaître la suite, un lecteur pris dans l’enfer diabolique de la curiosité. Il ne s’agit pourtant pas d’un thriller. Crimes et coupables sont connus dès les premières pages : Rob Castor, jeune gloire montante du monde littéraire new-yorkais vient de se suicider après avoir tué sa petite amie Kate. Les medias s’emparent du fait-divers et les amis d’enfance de Rob sont pris dans une véritable « lame de fond », involontaires « acteurs d’un reality show voué à exhiber les dessous sordides du quotidien dans une petite ville américaine ». Parmi eux, Nick, le narrateur du roman dont l’existence est de fond en comble bouleversée par le drame.

Illustration 1

Le suspense sur lequel repose le roman est entièrement psychologique et va bien au-delà de ce qui séduit les medias, l’« attrait universel » de ce type d’histoire : « on y retrouvait, pêle-mêle, la beauté, le talent, les gratte-ciel new-yorkais et une fin tragique ».

La fin tragique est de fait le début du roman, qui, d’analepses en ruptures chronologiques, de récits en souvenirs, retrace ce qui a pu conduire au drame, tente de reconstruire un fil comme de dénouer les conséquences de ce geste. Deux personnages sont l’objet de cette plongée en profondeur : Nick Framingham, de manière introspective, et Rob Castor, à partir de coupures de presse, de pièces du procès, de témoignages et des souvenirs de son ami d’enfance, Nick.

Le roman ne cesse de changer de sujet. L’écriture semble le premier mobile du meurtre/suicide : Rob, auteur culte d’une génération – il avait trouvé « la gloire en tant qu’auteur d’un livre qui, du moins le temps d’une saison, était devenu l’accessoire branché indispensable dans les trains et les avions pour son ʺatomisation lyrique du cœur humainʺ » – a peu à peu perdu toute inspiration au contact de Kate Pierce, sa petite amie, elle-même écrivain, publiée au prix d’une trahison de son amant. Nombre des personnages du roman sont auteurs ou voudraient l’être : Mac, un autre ami d’enfance, Shirley, la mère de Rob, Nick… Mais le roman a également pour centre d’autres questions essentielles : le désir, la passion, l’attirance sexuelle, l’amitié, la filiation. Les projections identitaires, la recherche de son moi essentiel, la volonté d’être autre. Chaque sujet est un motif, tissé, un temps abandonné, repris pour mieux former un nœud de l’intrigue, l’image dans le tapis demeurant fuyante, selon les lois du genre, depuis Henry James.

Le secret est le centre du livre. Chaque personnage du roman est exposé au regard des autres, certains sont même sous les projecteurs des medias. Tous ont des secrets enfouis, moteurs du désir, de la connaissance, comme de l’écriture. Mais ce passé que Nick désire tant connaître est-il un fantasme, une reconstruction, une vérité à trouver ? La réponse en est paradoxalement donnée très tôt dans le roman par Lucy, la femme de Nick, au cours d’une de leurs disputes :

« Tu te dérobes à notre vie de couple pour entretenir je ne sais quel fantasme à la Tom Sawyer autour d’un passé qui n’a jamais existé ».

Lucy ne sait pas à quel point cette lecture est juste, le lecteur non plus, il le découvrira au dénouement. Chaque mot prononcé par Lucy est un indice, ironique, dévié, compréhensible a posteriori seulement. Conformément à la démarche de Nick, contraint de relire, relier, reprendre. Le lecteur est dans la même confusion que le narrateur (« tu crois savoir, alors que tu ne sais rien »), se pense dans le même « état d’ébullition psychologique » que Nick, dans la même confusion, ce qui se révèle une autre illusion car le narrateur détient lui-même quelques lourds secrets :

« J’ignore au juste pourquoi je ne lui avouais pas la vérité. Peut-être parce que, peu à peu, quoique de manière plus fulgurante ces derniers mois, depuis la mort de Rob Castor, la vérité était devenue une ennemie ».

Le roman se présente comme un puzzle, dévoilant progressivement une vérité fuyante, pièce après pièce. La construction est diabolique, jouant d’effets d’annonce, de fausses pistes, de révélations obliques ou biaisées. Nick en donne la clé lorsqu’il retrouve le jeu de cartes de Rob :

« Je ressortis également son vieux paquet de cartes à jouer, lequel, avait-il toujours clamé, avait forgé sa compréhension de l’écriture grâce aux gestes répétés de couper, étaler ou battre le jeu, et je les mélangeai lentement en laissant affleurer les souvenirs ».

La métaphore se voit filée de loin en loin dans le roman. Nick est face à tout un « éventail de souvenirs » dont il peut « mélanger les images comme un jeu de cartes », certains visages, aux expressions ambiguës, lui semblent « comme un éventail de cartes à jouer ». Les deux scènes climatériques du roman – le meurtre de Kate, la mort de Rob – reviennent comme des leitmotive, des refrains, les deux scènes se voient dévoilées progressivement, réécrites, éclairées différemment selon les pièces reconstituées du puzzle, les secrets levés. Le récit se construit sur la « perte irrécupérable de pans entiers » de l’histoire de Nick, sur la chute de Rob, sur des révélations abyssales, des manques.

« Dans chacune de mes déchirures intérieures, Rob continuait à me manquer. Il disait que les mots étaient des morceaux d’adhésif à double face qui faisaient coller les symboles à la vie. Il m’avait déclaré un jour que toute la poésie était contenue dans le b du mot subtle ».

Subtle (subtil) dont le b ne se prononce pas. Un terme et une ellipse qui définissent ce roman du creux, de l’absence, du non dit.

Illustration 2

Ainsi soit-il est une partie de hold’em dont l’enjeu est la connaissance de soi, écrit « à la manière d’un joueur de poker voulant protéger son jeu des regards indiscrets », construit sur des arnaques, des coups tordus, des bluffs. Le livre de « l’atomisation lyrique du cœur humain » par Nick. Et seul le dénouement permet d’en prononcer pleinement le titre en version originale : Now you see him.

 Eli Gottlieb, Ainsi soit-il, traduit de l’américain par Nathalie Peronny, 10/18, 280 p., 13 €

Lire le premier chapitre