Trois hommes, deux chiens et une langouste est un roman centré sur la question de l’emploi aux USA, la précarité, l’obligation de cumuler deux boulots pour seulement survivre, les petits arrangements avec la légalité des deux côtés du manche, chez les employeurs comme les employés.
Un roman du social, donc, d’un humour noir irrésistible, décapant, l’auteur, qui a connu la vie de ses personnages, n’ayant pas son pareil pour faire de la banalité une épopée tragi-comique des temps modernes.
Trois hommes, deux chiens et une langouste met en scène trois potes, précarisés, un peu paumés, bras cassés. Mitch est chef de rayon chez Accu-mart, le supermarché local, Doug est cuisto, Kevin, le seul marié et père de famille, est dog-sitter, il promène les chiens de riches propriétaires. Les trois végètent au propre comme au figuré, jusqu’à cultiver et vendre de l’herbe. L’expérience tourne mal, Kevin fait de la prison.
Le roman commence alors que tous trois tentent de reprendre leur vie en main. Echapper au «boulot, télé, herbe, dodo». Mais ils vivent à Walston, «symbole pittoresque de la pauvreté et du viol de l’environnement», «ville minière à moitié défunte dont les jours de gloire étaient fini depuis longtemps et dont les contribuables bénéficiaient en majorité de l’aide sociale». Et Kevin a beau être né, clin d'œil ironique, à Eden, rien dans leur histoire ne prédispose les trois comparses au bonheur :
«Mitchell Alden était venu au monde avec de nombreux atouts, mais la Malédiction de la Mauvaise Décision les gâchait tous. C’était génétique. Il se revoyait dans la cuisine du Queens où il avait grandi, écoutant son père discuter avec son associé qui essayait de quitter les aérateurs pour investir dans les ordinateurs. Il se rappelait ce qu’il avait dit pour essayer de le convaincre de continuer à vendre des extracteurs de fumée. "Bon Dieu, je ne sais pas combien de temps va durer cette folie des ordinateurs, mais toute ma vie on fumera dans les bars de New York."
Ça s’était avéré, mais seulement parce que le père de Mitch avait sous-estimé son espérance de vie. Six semaines avant que l’interdiction de fumer dans les bars de New York entre en application, il était mort sur la voie express de Long Island à cause d’une autre erreur d’appréciation qui concernait cette fois la distance de freinage d’un semi-remorque».
La vie est dure, le chômage frappe, Mitch d’abord, Doug ensuite. «Ils avaient avalé toutes les conneries qu’on leur avaient servies sur la possibilité qu’ils aient un avenir». Trouver un sens à sa vie passe alors sans doute par l’inventivité, voire l’illégalité. Ou mieux, combiner les deux : piquer l’écran plasma 42 pouces de leurs rêves, voler une Ferrari, vendre de gros stocks de médicaments, jusqu’au «Grand Projet», attaquer un fourgon blindé, tout pour échapper aux petits boulots… Le roman suit leurs aventures rocambolesques, leurs plans foireux, les multiples rebondissements de leur vie précaire, toujours en déséquilibre. C’est mélancolique et drôle, politique et loufoque, un cocktail irrésistible.
Les caves se rebiffent, se rêvent même en héros de Tarantino, «les types dans Reservoir Dogs»…
CM
Iain Levison, Trois hommes, deux chiens et une langouste, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi, Piccolo, 272 p., 10 €