Billet de blog 18 mars 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Tout Monsieur Manatane

Inédits en livre mais « vus à la TV » : les sketches de Benoît Poelvoorde et Pascal Le Brun, bijoux d’humour noir, de causticité, d’allusions, de trouvailles linguistiques paraissent aujourd’hui en Points Seuil.

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Inédits en livre mais « vus à la TV » : les sketches de Benoît Poelvoorde et Pascal Le Brun, bijoux d’humour noir, de causticité, d’allusions, de trouvailles linguistiques paraissent aujourd’hui en Points.

Le volume regroupe les morceaux d’anthologie des Carnets de Monsieur Manatane et Jamais au grand jamais ! diffusés sur Canal + entre 1996 et 1998, écrits par Benoît Poelvoorde et Pascal Le Brun. Et s’achèvent sur un texte inédit, une lettre de motivation que Monsieur Manatane adresse au PDG d’Albin Michel pour qu’il publie ses œuvres, suite à « l’extraordinaire triomphe qu’a reçu l’ouvrage que je viens de publier à compte d’auteur dans la Pléiade » qui « n’aura pas manqué de te perforer le fondement ». C’est arrivé près de chez vous, c’est en Points.

Souvenez-vous, Monsieur Manatane est un personnage caméléon. Tour à tour reporter, milliardaire, chirurgien esthétique, écrivain, il se prénomme successivement Siméon, Daniel, Jean-François,... Léon (forcément). Il est partout, croise tout le monde, endosse des identités multiples, se fond dans les personnalités phares du cirque médiatique.

Lui-même est un animal « vedette » et offre, systématiquement, un regard décalé et hautement, notoirement, sarcastique sur le monde. On savait les sketches hilarants. On découvre dans ce livre que ce n’était pas seulement en raison de l’interprétation décalée de Poelvoorde ou de la mise en scène. Les textes, sobrement illustrés, détonnent, enchantent, amusent, décapent.

C’est logique, du rire Monsieur Manatane est un spécialiste, il est même l’invité d’honneur d’ « Entre guillemets », émission littéraire télévisée, au milieu d’une « très belle brochette d’écrivains », consacrée aux liens méconnus des belles-lettres et du rire. Sont présents deux spécialistes du fou-rire dans l’œuvre tardive de Spinoza et « l’émergence du rire » chez Aristote. Et « Jean Manatane, qu’on ne présente plus », académicien, pour « Mon humour fascinant ». Tout le monde disserte sur une citation franchement « gebrüktlich » de Nietzsche, se monte du col et l’émission part en sucette, Manatane menaçant de se trancher la gorge avec son épée d’immortel.

Nonsense ? ou décalque à peine grossi de Bukowski à Apostrophes revu et corrigé par Gainsbourg brûlant un billet en direct ?

Monsieur Manatane - Entre guillemet © Kuon4109

Culotté, cet humour. Ou sans culotte. Révolutionnaire. Ça fait peur. Comme la prose d’Alexandre Jardin…

Monsieur Manatane se déclare être « comme vous : un défenseur des vraies valeurs ». Il s’étonne : pourquoi la petite Erika Odin a-t-elle été renvoyée de l’école communale alors que sa religion l’obligeait simplement à porter le couvre-chef traditionnel viking ? Il se pâme devant les paysages africains (« le Sénégal est à la faune sauvage ce que le Cambodge est à la jambe de bois : une véritable Terre promise »). Manatane se rend en Bosnie en guerre, défend les sans-papiers, s’incruste dans l’actualité. Qui n’a pas pris une ride, dix ans après. Toute ressemblance avec…

Ne cherchez pas de l’humour politiquement correct. Manatane choque en ce qu’il reproduit ce que nous avons de pire, il nous fait rire en nous citant. Et c’est drôle.

Jamais, au grand jamais ! est un manuel de savoir-vivre, en 26 leçons. « Navrant », évidemment, comme le déclare Nadine de R. en sticker sur la couverture du livre.

On y apprend comment comprendre la jeunesse, élever nos enfants, piloter une auto ou recevoir un homme d’église, aimer l’art, même oriental, parler aux jeunes, se faire des amis, recevoir du courrier aller à la piscine ou séduire.

Un sonore « Mes enfants, bonsoir… » ouvre chaque leçon. Suivent des conseils frappés du coin du bon sens le plus graveleux, des pastiches de manuels de bienséances, et surtout l’anaphore de ce qu’il ne faut « jamais – au grand jamais ! » faire… Comment garder contenance dans les situations les plus désespérées, ne jamais se départir de sa dignité, même lorsqu’un prêtre vous dévoile, bien involontairement son « vigoureux appareil reproducteur, rosâtre et hors d’usage » ou que vous faites un plat à la piscine ? Tout y passe, c’est noir, drôle et violemment incorrect, irrésistible. Le chapitre « Rions en plein air » nous donne les clés de cet humour génialement bête et méchant ;

« A l’occasion, l’homme moderne doit pouvoir se départir de son sérieux pour laisser parler sa fantaisie. Car l’humour est la cerise sur le gâteau de l’esprit ».

J'aimerai toujours le temps des cerises…

Benoît Poelvoorde et Pascal Le Brun, Les Carnets de Monsieur Manatane, inédit, Points, 287 p., 11 €